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L'histoire du fantasque Jaguaré, première star brésilienne de l'OM et du Championnat
Entre 1936 et 1939, le gardien Jaguaré Bezerra de Vasconcellos, acteur du premier titre de l'OM, est devenu la première star brésilienne du championnat de France.
Lorsqu'il débarque sur le Vieux-Port de Marseille à l'été 1936, Jaguaré Bezerra de Vasconcellos a tout du vagabond. Arrivé de Rio de Janeiro via le Portugal, il n'a pour seul bagage qu'un sac, une paire de vieux crampons et une obsession, jouer au foot.
Quatre ans plus tard, il retraversera l'Atlantique pour fuir le péril de la Seconde Guerre mondiale. Entre-temps, dans les buts de l'OM, le fantasque gardien est devenu la première star brésilienne du Championnat de France (la saison précédente, le premier Brésilien du Championnat, l'obscure Antonio Borges, a joué deux matches avec Cannes, inscrivant un quadruplé puis un triplé en mai 1935 avant de signer à Alès (D2) en août 1936) avant de sombrer dans son pays. Un destin tragique pour celui qui ne pensait qu'à flamber en dehors du terrain, à faire le spectacle et provoquer l'adversaire.
Ce n'est pas le premier séjour de Vasconcellos en Europe. Il a déjà joué à Barcelone dans l'indifférence générale. Et quand il arrive, il n'est personne aux yeux des Olympiens. Sa chance c'est Josep Samitier, croisé en Catalogne et qui était sur le point de s'engager avec l'OM avant d'opter pour Nice. Le buteur emblématique du Barça ne l'a pas oublié et lui permet de passer un essai au club. Une formalité. Le voilà marseillais, successeur de l'international Laurent Di Lorto parti à Sochaux.
Jaguaré Bezerra de Vasconcellos (seul joueur habillé en noir) et ses coéquipiers vainqueurs de la Coupe de France 1938. (L'Équipe)
Jaguaré Bezerra de Vasconcellos (seul joueur habillé en noir) et ses coéquipiers vainqueurs de la Coupe de France 1938. (L'Équipe)
Tout n'a pas été aussi simple pour lui jusque-là. Né en 1905 et docker sur le port de Rio, il se fait remarquer en soulevant d'une main des sacs de cinquante kilos de farine de blé, sous les applaudissements des collègues. Il joue au foot aussi dans le quartier de Saude. C'est là, début 1928, qu'un défenseur de Vasco da Gama le repère et l'emmène passer un test. Jaguaré, 22 ans, se pointe débraillé et en sabots au stade de São Januário avant de se mettre en tenue et de décourager les attaquants des blanc et noir. Conquis, le club fait aussitôt appel à un professeur pour lui apprendre à signer les feuilles de match (Goleiros : Heróis e Anti-Heróis da Camisa 1, Paulo Guilherme).
Il devient rapidement l'un des patrons de l'équipe et met le feu dans le Championnat carioca. Très joueur, décontracté et acrobatique, Jaguaré impose son style et un caractère facétieux qui aura raison des nerfs de bien des adversaires. Il fait tourner le ballon sur son index après un arrêt d'une main, le fait rebondir sur la tête de l'attaquant qui vient de tirer ou le lui rend tout simplement le pressant d'essayer encore une fois... Les foules sont sous le charme.
Au Barça, on lui demande de se faire naturaliser pour pouvoir disputer les matches officiels
Les sélectionneurs aussi qui l'alignent à trois reprises contre des équipes de clubs, à commencer par un match contre les Écossais de Motherwell en juin 1928. Mais pas une seule rencontre officielle ce qui ne semble pas le chagriner et ne l'empêche pas de flamber, cigares cubains au bec à bord de voitures de luxe ou dans les grands hôtels.
Sacré champion de Rio en 1929, il part en tournée européenne avec Vasco en 1931 et brille contre le Barça qui lui propose 30 000 pesetas. Mais le premier Brésilien de l'histoire du foot espagnol, n'ayant pas le droit de jouer en compétition, en est réduit aux matches amicaux. Pour espérer déloger le légendaire Ricardo Zamora, le club lui demande de se faire naturaliser.
Jaguaré Bezerra de Vasconcellos lors d'une rencontre en 1938. (L'Équipe)
Jaguaré Bezerra de Vasconcellos lors d'une rencontre en 1938. (L'Équipe)
Il préfère rentrer chez lui au bout de six mois avec moins de 10 000 pesetas et une paire de gants de cuir. Selon la légende, il est le premier gardien brésilien à en porter. Pas avec Vasco qui le considère comme un traître, mais aux Corinthians dès 1934. Avant qu'il ne retourne tenter sa chance sur le Vieux Continent.
Il repousse un ballon d'une bicyclette, balance sa casquette dans les pieds des attaquants ou cueille des trèfles pendant les matches
À Marseille, le style du « Jaguar », séduit tout de suite le public du stade de l'Huveaune. Avec lui, et le buteur Mario Zatelli, l'OM décroche son premier titre de champion en 1937. Vasconcellos, qui anticipe beaucoup, parfois trop, et règne en maître dans les airs, continue de faire le show. A ses provocations de Vasco, parfois sanctionnées par les arbitres français, il en ajoute de nouvelles, repoussant un ballon d'une bicyclette, balançant sa casquette dans les pieds des attaquants en plein cafouillage, se désintéressant du ballon pour aller parler à un coéquipier, se prenant la tête à deux mains horrifié ou cueillant des trèfles face à la maladresse des adversaires qu'il déstabilise en leur criant « shoote ! shoote ! »
Les Marseillais brandissent la Coupe de France 1938. (L'Équipe)
Les Marseillais brandissent la Coupe de France 1938. (L'Équipe)
Et quand le public le prend en grippe, il canarde les tribunes à chaque dégagement avant de quitter le stade en fourgon cellulaire. Zatelli racontait même : « Certaines fois, les dirigeants se précipitaient derrière son but pour le convaincre de sortir le grand jeu moyennant espèces sonnantes et trébuchantes. Aussitôt, il devenait imbattable » (Équipe Magazine, 20 juin 1987)
Il trouvera pourtant son maître en pitreries en 1937 dans le film Les Rois du sport, tourné à l'Huveaune avec l'OM et où Fernandel, dans les buts adverses, lui vole la vedette, le Brésilien apparaissant juste le temps d'un but encaissé.
À un attaquant espagnol qui s'apprêtait à tirer un penalty, il rappelle que la guerre d'Espagne n'est pas terminée et qu'il n'est qu'un déserteur... l'attaquant tire au-dessus
Il entrera dans la légende olympienne le 1er mai 1938. Ce jour-là, à Sète en Championnat (1-1), dans la course au titre et une ambiance de corrida, Vasconcellos, sauvé à quatre reprises par ses montants, va d'abord tirer un penalty. Il interpelle le gardien des Bleus René Llense. « Toi René, petit gardien, toi en équipe de France, parce que Vasconcellito pas français. Moi, te marquer penalty là... », rapporte Le Petit Provençal (OM1899.com). Et il transperce les filets à ras de terre comme annoncé.
Puis c'est à lui de faire face à deux tireurs de penalty. À l'Espagnol Balmanya, il rappelle que la guerre d'Espagne fait rage et qu'il n'est qu'un déserteur. L'attaquant réfugié tire au-dessus. Se pointe alors le jeune Danzelle - « Toi petit jogador, tu voudrais marquer un but au grand Vasconcellos ! Tu vas manquer ! » - dont le tir échoue dans ses bras. Une semaine plus tard, il remporte la Coupe de France face à Metz puis termine deuxième du Championnat comme en 1939.
Après un passage anonyme à l'Académico Porto, il rentre au pays en 1940 sans un sou. Il a tout claqué. Adieu la gloire, l'argent. Jaguaré ne fait plus rire. Il termine sa carrière à São Cristóvão et meurt en 1946 dans l'oubli lors d'une rixe avec la police dans les rues de Santo Anastácio, à l'ouest de São Paulo avant d'être enterré avec les indigents.