Nemanja Matic (Rennes), prince de SerbieLe milieu Nemanja Matic prolonge à Rennes une carrière remarquable qui n'était pas toute tracée. En restant très attaché à ses racines serbes et en s'investissant dans le foot et le quotidien de la région où il a grandi.
Paulo Dybala prenant la pose avec le maillot du FK Jedinstvo Ub. C'était fin juillet et c'était une idée de son ami Nemanja Matic, quand il était encore à l'AS Rome. De quoi mettre en lumière ce club serbe de deuxième division que le nouveau milieu rennais de 35 ans (arrivé le 14 août pour environ 2 M€) dirige en quelque sorte à distance, depuis 2016, avec des proches sur place.
Ub, à environ 60 km au sud-ouest de Belgrade, dans le district de Kolubara, est voisin de Vrelo, le village où il a grandi. Son père l'y a entraîné au foot et son petit frère Uros évolue dans le désormais célèbre Championnat saoudien, à Abha. Les frangins sont passés, jeunes, par le FK Jedinstvo.
En bref
Nemanja Matic
35 ans (SER)
Milieu de terrain.
48 sélections (2 buts).
2017 : il est transféré de Chelsea vers Manchester United pour environ 45 M€.
Palmarès : champion d'Angleterre (2010, 2015, 2017) avec Chelsea, champion du Portugal (2014) avec Benfica.
« Nemanja n'est pas seulement le président du club, mais aussi un ami des joueurs et employés, raconte Dejan Milicevic, milieu de cette équipe. Il est toujours ouvert à la discussion. C'est une personne très noble, avec un grand coeur, un esprit joyeux et prêt à plaisanter. Nemanja essaie de présenter le club sous son meilleur jour, alors il y a eu ce cliché avec Dybala, qui a suscité la sympathie en Serbie et au-delà. »
Dès qu'il en a l'occasion, Matic rattrape ses racines, avec l'aura d'un bienfaiteur discret. En plus de sa contribution au club local, il a notamment participé à la rénovation de son stade, en 2017, renommé Dragan Dzajic, légende yougoslave qui a notamment brillé à Bastia et née à Ub. En 2018, la BBC rapportait qu'il avait aussi soutenu la restauration de l'église de Vrelo et la modernisation de l'école.
« C'est quelqu'un de très apprécié en Serbie pour ses qualités humaines, observe l'ex-coach de l'Étoile Rouge de Belgrade, entre autres, Slavo Muslin, aujourd'hui conseiller de Gyor (D2 hongroise). Il est comme ça, il aide les gens et il est très famille. » Comme s'il s'était donné le devoir d'améliorer ou d'embellir le quotidien des gens de son coin à lui, par rapport à ce qu'il a connu plus petit, et de soutenir des piliers comme le sport.
Son attachement au pays se mesure aussi à son empreinte en sélection, lui qui a pris sa retraite internationale en 2019 (48 sélections, 2 buts). « Il fait partie des grands joueurs serbes, poursuit Muslin, qui a été sélectionneur de mai 2016 à octobre 2017. Et quand il était suspendu, comme à l'automne 2016, il demandait toujours à son club de le libérer. Même sans jouer, il voulait être solidaire. Comme homme, il est exceptionnel. Mais il a aussi beaucoup cravaché pour y arriver. »
Adolescent, Matic n'a pas été retenu par les deux clubs phares de Belgrade, le Partizan et l'Étoile Rouge. Ça ne l'a pas découragé, au contraire. Il a bifurqué par la D3 serbe (Kolubara), puis la Slovaquie et Kosice, à 19 ans, pour que le grand monde s'ouvre à lui, forçant la réussite.
Recruté par Chelsea à 21 ans, il s'est aguerri à Benfica avant de revenir à Londres
« Dans mon village, nous étions pauvres mais j'étais heureux, raconta-t-il en 2020 dans une manifestation organisée par l'association « Football beyond borders », qui oeuvre en Angleterre en faveur d'enfants déscolarisés. Suivez vos rêves, n'abandonnez jamais. J'ai eu beaucoup de doutes dans ma carrière, et certains ne croyaient pas en moi. Je savais que je n'étais assez bon, et qu'un jour je leur prouverais le contraire. »
Recruté par Chelsea à 21 ans, il s'est endurci en prêt au Vitesse Arnhem (Pays-Bas). Puis il a fait partie d'un échange avec David Luiz entre Benfica et Chelsea à l'hiver 2011. Lisbonne fut aussi un basculement.
« Quand il est arrivé chez nous, il jouait milieu offensif, se souvient Jorge Jesus, l'ex-coach emblématique du club portugais. Il avait le niveau technique et le sens de la passe mais il n'était pas assez rapide sur les premiers appuis, à mes yeux, pour évoluer si haut. Alors je lui ai proposé de reculer devant la défense, et il s'est vite adapté, au point de devenir un des meilleurs milieux défensifs d'Europe, ce qu'il est toujours selon moi. C'est le premier joueur que j'ai réclamé à Fenerbahçe (en juillet 2022), mais ça n'avait pas été possible. »
Brillant avec Benfica, Matic avait poussé Chelsea à le recruter une seconde fois, et il aura évolué à haute altitude avec les Blues et Manchester United huit saisons durant, en Premier League, sous les ordres de José Mourinho, Guus Hiddink, Antonio Conte ou encore Ole Gunnar Solskjaer. Sans laisser personne indifférent.
« C'est quelqu'un de très simple et discret, un très gros bosseur, toujours focus sur ce qu'il fait, témoigne l'attaquant international belge Michy Batshuayi, qui l'a côtoyé à Chelsea lors de la saison 2016-2017, celle du sixième titre de champion d'Angleterre pour le club londonien. On pourrait l'imaginer difficilement abordable mais dès qu'on discute avec lui, qu'on le voit sourire, c'est tout l'inverse. C'est un leader indiscutable sur le terrain. Et puis il a une super hygiène de vie, ça se voit à sa morphologie. Quand on enchaînait les matches, on rigolait et je lui demandais s'il n'était pas fatigué parce qu'il n'avait pas beaucoup de muscles. Mais dès qu'il mettait le bras, il était impossible à contourner. Je lui ai toujours dit que ses bras faisaient 50 kg (sourire). »
Sur son mode de vie, Matic s'était aussi livré ainsi, face aux jeunes de l'association « Football beyond borders » : « Je me lève tôt. Je ne veille jamais tard. Levez-vous, entraînez-vous, mangez, dormez. Même en vacances, j'ai besoin de m'entraîner. Le football, c'est ma vie. Je le prends très au sérieux. Je me sens comme un joueur pro depuis l'âge de cinq ans. Je ne sais pas comment être différent. »
Le spécialiste des gardiens Christophe Lollichon, qui l'a aussi pratiqué dans le vestiaire des Blues, imagine l'apport d'un tel joueur dans le vestiaire breton : « Il va susciter le respect sans arriver avec le boulard. C'est un boss qui ne va pas donner l'impression de l'être, un très bon relais pour le staff, c'est judicieux. »
Et dans le jeu, Jorge Jesus envie Rennes : « C'est un sacré renfort pour une équipe très mobile, où tout le monde court beaucoup. Lui aussi court bien, il n'est pas très rapide sur les cinq premiers mètres mais il est puissant et va vite sur les courses longues. Il fait ses 12 km par match sans problème. Il peut jouer dans tous les systèmes, même s'il est vraiment à l'aise seul devant la défense. Défensivement, il va apporter aussi, parce qu'il est très bon dans le jeu aérien. Il a de l'envergure, sait faire la bonne passe au bon moment, ne se trompe presque jamais. »
Rennes en a eu un aperçu dimanche soir à Lens (1-1). Il a sans doute trouvé un protecteur engagé, prêt aussi à défendre Novak Djokovic après un tournoi de tennis organisé par l'icône serbe où plusieurs joueurs avaient été touchés par le Covid en 2020. « Des souris sont sorties pour critiquer le chat, avait-il déclaré. Mais moi, ça m'est égal. Car très bientôt, le chat sera de retour et les souris dans leur trou. »