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C’est le trade in France
Les rachats en cours d'Angers SCO et de l'OL par des intérêts américains confirment l'attrait croissant du football hexagonal pour les investisseurs (américains et autres), qui y voient un marché abordable à forte croissance. Jean Le Bail
À contre-courant. Alors que les investissements américains baissent en France depuis dix ans, le football français accueille à l'inverse de plus en plus d'argent venu de l'autre côté de l'eau, étant rappelé que le « pied ballon » reste dans l'Hexagone un « small business » avec un chiffre d'affaires de 2,5 Mds€ environ pour la Ligue 1 et la Ligue 2, transferts compris, soit l'équivalent du CA de l'entreprise de grande distribution Castorama.
Selon le « baromètre de l'attractivité de la France » (EY, mai 2022), « les entreprises américaines ne représentent plus que 19 % du total des investissements contre 32 % en 2012 », un constat qui contraste avec la pluie de billets verts sur les rectangles de même couleur en France depuis l'arrivée de Frank McCourt à Marseille en 2016.
Ont pris aussi l'accent américain Bordeaux, Toulouse et Caen, plus récemment le Red Star et Angers (rachat en cours), tandis que les rivaux Lyon et Saint-Étienne pourraient bientôt s'affronter dans un « derby de l'outre-Atlantique » (voir par ailleurs). De ce point de vue, la France imite l'Italie, terre de conquête américaine depuis le début des années 2010 (James Pallotta à l’AS Rome en 2011). Près de la moitié des clubs de Serie A sont aujourd'hui de propriété étrangère, pour la quasi-totalité entre les mains d'intérêts nord-américains. Et quand le champion d'Italie, l'AC Milan, a changé de main, début juin, il est resté sous pavillon étoilé, RedBird, actionnaire principal en France du Toulouse FC, succédant à Elliott Management, présent depuis 2018.
« Le ticket d'entrée dans les franchises américaines et les clubs anglais est devenu colossal, hors de portée pour beaucoup d'investisseurs, alors que le foot français et plus largement le sport en Europe, hors Grande-Bretagne, restent, disons, raisonnables, même si les prix grimpent aussi », décrypte Henri Philippe, associé d’Accuracy, conseil financier d’entreprise, impliqué récemment dans le rachat du Red Star par la société d'investissement américaine 777 Partners.
L’OL vaudrait 6 ou 7 fois moins cher que Chelsea
Loïc Féry, propriétaire du FC Lorient et financier à Londres (Chenavari), confirme que l'intérêt croissant des investisseurs – pas seulement américains – pour le foot tricolore va de pair avec une valorisation accrue (voir par ailleurs).
Pour comprendre l'intérêt des investisseurs pour ce « deuxième marché » continental, il suffit de comparer le prix de Chelsea, racheté 4,9 Mds€ par l’Américain Todd Boehly et ses associés le mois dernier, et celui dont on parle pour l'OL, six ou sept fois moins important. Comme l'a révélé L'Équipe, jeudi, l'Américain Foster Gillett aurait fait à OL Group une offre globale de 600 M€ incluant plus de 300 M€ pour le rachat de 40 % environ du capital du club.
Ce n'est pas tout. Si le prix est central pour un investisseur, la rentabilité de son placement l'est encore davantage, surtout s'il s'agit d'un fonds d'investissement, soucieux de gagner de l'argent à horizon cinq-dix ans. Pour garantir une rentabilité rapide aux fonds de pension ou aux grosses fortunes qui lui ont confié leurs économies, un fonds doit trouver un bon créneau avec un risque raisonnable. Mais quand la Bourse, les obligations ou encore l'immobilier sont déjà très chers, avec peu de promesses de croissance, il faut identifier d'autres « classes d'actifs ».
“Il ne faut pas négliger le côté moutonnier, mimétique, des investissements dans le football français
Henri Philippe, associé d’Accuracy, conseil financier d’entreprise
Ces niches sont soit peu chères mais risquées, comme les « junk bonds » (obligations pourries), soit moins classiques, comme les médias, l'innovation ou encore le sport, mais en croissance et susceptibles d'être rentables, surtout si les entreprises ciblées sont de « belles endormies » à réveiller. Sous-valorisée, notamment à l'international, la Ligue 1 présenterait de telles riantes perspectives. Le raisonnement est peu ou prou le même en Italie.
On l'a compris, l'accélération de l'intérêt américain pour le football français, marché abordable à potentiel de croissance (« pas encore mature » disent les économistes), a de solides motivations financières, mais une autre explication, plus psychologique, concourt également au phénomène.
« Il ne faut pas négliger le côté moutonnier, mimétique, des investissements dans le football français, sans que cela soit un mal, explique encore Philippe. C'est un phénomène connu dans le monde ultra conservateur de la finance : on préfère souvent avoir tort avec tout le monde que raison tout seul. » En clair, il est difficile d'être le pionnier d'un secteur, plus simple d'imiter un défricheur.« Frank McCourt a ouvert le chemin à d'autres investisseurs qui se sont interrogés : “Mais pourquoi regarde-t-il ce football français, avec ses problèmes de gouvernance, de revenus limités, de lourdes charges patronales ? Et si je regardais moi aussi ? Comment ce Championnat peut-il évoluer, ses droits télé augmenter ? Et comme ça ne me coûterait pas encore trop cher... ”»
Dans l'analyse des investissements américains, il faut distinguer les « industriels » des « financiers ». Logique financière ? C'était clairement le cas de GACP et de King Street à Bordeaux en 2018. De même, le fonds américain CVC, qui a posé 1,5 milliard d'euros sur la table contre 13 % du capital de la société commerciale de la Ligue, ne restera pas forcément une fois atteints les objectifs de progression des droits télé et sa part dans la société mécaniquement revalorisée.
À l'inverse, relève Philippe, « les investisseurs de 777 Partners n'ont pas l'épée dans le dos comme les fonds qui sont dans une obligation de rentabilité à court terme, car eux investissent, au Red Star et ailleurs, leur propre argent et s'inscrivent dans une logique d'entreprise familiale, sur le temps long. »
L'Equipe