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« Le football français rentre dans un cercle vertueux »
VINCENT LABRUNE
Président de la Ligue de football professionnel
Dans quel état se trouve aujourd'hui le football professionnel français ?
Le football français est sauvé. Mais il reste convalescent. Nous avons su collectivement nous mobiliser pendant une période extrêmement compliquée et anxiogène pour faire de nos faiblesses une force et transformer nos contraintes en opportunités. Notre union nous a permis de créer les conditions d'un « New Deal » pour le football français qui va nous permettre de sortir plus forts de la tempête que nous avons traversée. Les éléments sont réunis pour que nous entrions dans un cercle vertueux, c'est le sens du projet Renaissance porté par la Ligue et les clubs.
Mais on n'est pas passé loin de la catastrophe ?
Le football français a perdu 1,8 milliard en deux ans. Le système était en quasi-faillite. Sans l'aide de l'Etat, et l'implication des clubs, nous allions droit dans le mur. Cela ne pouvait plus durer car nous avons vécu un triple tsunami. Au-delà du Covid-19, qui a frappé toutes les autres ligues, nous avons, en plus, subi un arrêt complet des compétitions qui a provoqué un manque à gagner de 250 millions d'euros et la défaillance de notre diffuseur MediaPro, qui nous a fait perdre 600 millions. Mais nous étions, avant même cette crise conjoncturelle, dans un cercle structurel vicieux.
Depuis des décennies, le football français doit faire face à des contraintes très fortes qui nous pénalisent face aux autres grandes ligues européennes. Nous avons un marché audiovisuel domestique qui est beaucoup moins porteur que celui de nos concurrents… Par ailleurs, nous avons des propriétaires de clubs qui n'ont souvent pas la même surface financière que leurs homologues européens. Nous souffrons enfin d'une fiscalité particulièrement lourde. Le club de Clermont, en Ligue 1, paye plus de charges à lui tout seul que l'ensemble des clubs de la Bundesliga [le championnat allemand]. Résultat, depuis l'arrêt Bosman du milieu des années 1990 [qui autorise la libre circulation des joueurs en Europe], nos équipes sont obligées, pour s'en sortir économiquement, de vendre leurs talents à leurs concurrents européens.
En quoi la donne a-t-elle changé ?
Nous avons réussi, en un temps record, à monter une société commerciale et à faire entrer, avec [le fonds d'investissement luxembourgeois] CVC, un partenaire professionnel qui va nous apporter des compétences et 1,5 milliard d'euros. Cet accord, soutenu à l'unanimité par tous les présidents de clubs de Ligue 1 et de Ligue 2, nous permet d'échapper, à court terme, au scénario du pire. Mais cela va bien au-delà d'une simple bouffée d'oxygène.
Ce n'est pas un plan de sauvegarde mais un plan de développement. Le football français va prendre un véritable nouveau départ. Nous allons avoir les moyens de nous professionnaliser, d'améliorer le spectacle et nos performances sur la scène européenne. Nous allons passer, par étapes, à une Ligue 1 puis une Ligue 2 à 18 clubs.
Surtout, pour la première fois, la redistribution des droits audiovisuels tirés de l'international ira aux clubs qui jouent les compétitions européennes. Pour avancer, nous avons besoin de locomotives et il faut récompenser les plus performants. Cela doit nous permettre de progressivement accélérer la hausse de nos revenus et d'avoir ainsi plus de moyens pour conserver nos talents et en recruter de nouveaux.
Le risque n'est-il pas que l'argent de CVC ne serve qu'à rembourser des dettes et à augmenter des salaires ?
Cet argent, c'est tout sauf un chèque en blanc pour récompenser les mauvais élèves. Nous allons nous assurer que les investissements seront fléchés sur l'amélioration de la performance à long terme. C'est notamment une opportunité unique d'investir dans le « produit Ligue 1 » pour le rendre meilleur, en utilisant le potentiel du digital comme moyen de renforcer les liens entre la Ligue 1 et les supporters, à l'instar de ce qui est fait dans d'autres sports comme en NBA [ligue de basket américain] ou en NFL [ligue de football américain].
Au niveau des contrôles, la DNCG [direction nationale du contrôle de gestion] veillera à ce que les salaires ne représentent pas plus de 70 % du budget des clubs désormais. Les actionnaires devront aussi jouer leur rôle. Ainsi, les clubs dans lesquels les fonds propres ne seront pas redevenus positifs à la fin de la saison ne toucheront que 50 % des sommes prévues. En parallèle, nous discutons avec les joueurs et les clubs pour allonger à cinq ans la durée des premiers contrats professionnels, ce qui permettra de mieux valoriser notre formation. L'ambition est de faire entrer le football français dans le top 3 européen d'ici 2028. Il n'y a pas de raison que le football des clubs tricolores ne soit pas au niveau de notre équipe nationale qui est championne du monde.
Les droits audiovisuels peuvent-ils réellement progresser ?
Un nouveau cycle pour la commercialisation des droits nationaux et internationaux s'ouvrira à partir de la saison 2024 qui sera l'année du rebond. Le business plan validé avec CVC est d'atteindre des droits de 1,8 milliard d'euros par an d'ici 2028. Il nous faudra, pour cela, franchir des étapes. Nous sommes aujourd'hui, en raison de circonstances exceptionnelles, à seulement 663 millions pour les droits domestiques. Nous avons là une première marge de progression réelle. Nous en avons une seconde sur les droits à l'international.
Aujourd'hui, sur les 3 milliards d'euros de droits internationaux vendus par les ligues européennes, la France ne touche que 3 %. Nous sommes à peine à 80 millions par an, quand la Serie A italienne perçoit 200 millions ! Nous avons déjà beaucoup de talents dans l'Hexagone, et si le spectacle et les performances s'améliorent, les recettes finiront par suivre. Nous aurons, d'ici peu, au moins trois équipes en Ligue des champions, qui auront plus de moyens pour briller. Toutes les conditions sont réunies pour attirer de nouveaux investisseurs prêts à donner plus de moyens pour valoriser la France et son football. L'Angleterre l'a fait. Il n'y a pas de raison pour que nous ne puissions pas en faire autant.
N'est-ce pas un peu trop tard ? Les autres sports et Netflix ne vont-ils pas vous compliquer la tâche ?
Je suis là depuis 18 mois, pas 18 ans, et nous avons déjà collectivement fait beaucoup de choses. Le football est un spectacle qui a toujours dû faire face à des concurrents. Le cinéma, les séries, les restaurants… A nous de nous donner les moyens de faire venir les gens dans les stades. Un film ou une série avec Leonardo Di Caprio et Brad Pitt aura plus de succès qu'avec des inconnus. A nous de mettre des stars à l'affiche. Nous sommes en train de nous en donner les moyens et, du coup, nous pouvons être confiants.
Le foot est un sport unique avec 300 millions de pratiquants dans le monde et 45 millions de licenciés. Par comparaison, la Formule 1, ce sont 20 pilotes qui, pour près de la moitié, doivent payer pour leur volant. Cela n'a rien de comparable. Le football est le sport numéro 1 dans pratiquement tous les pays, à l'exception des Etats-Unis, de l'Inde et du Pakistan. Et dans ces pays, c'est le sport en plus forte croissance.
Nous avons un produit unique. Ce sont plus les autres sports qui doivent s'inquiéter et revoir en partie leur modèle économique pour être de moins en moins dépendant des recettes audiovisuelles car le football a vocation à en capter une part croissante.
Mais le football français n'est-il pas trop dépendant du PSG ?
Il ne faut pas banaliser la présence du Qatar en Ligue 1. Le PSG est notre point fort à l'international et heureusement qu'ils sont là. Nous partageons avec eux l'ambition de faire du football français une marque planétaire. Il faut pour cela que tout le foot français progresse. Que nous ayons, nous aussi, comme en Angleterre, un « Big 4 » ou un « Big 6 », avec des clubs puissants qui se disputent les titres et les qualifications en coupes d'Europe.
Les Gafa seront-ils prêts à miser sur le football français ?
Ils ne vont pas miser. Ils misent déjà. C'est en France qu'Amazon a le plus investi dans le sport européen. Et leur expérience s'avère très positive. Dans les années qui viennent, les Gafa vont continuer de s'intéresser à des contenus premium et notre ambition est de pouvoir leur proposer ce spectacle exclusif et de qualité. Le football, c'est le sport du futur. En Italie, un investisseur du Golfe vient de mettre 1,8 milliard sur la table pour racheter le Milan AC, et en Angleterre, Chelsea va changer de mains pour 4 ou 5 milliards. CVC a investi 1,5 milliard dans notre projet. Il s'agit de leur plus gros investissement en France. Tous, Gafa comme investisseurs, voient un énorme potentiel de création de valeur dans le football.
Cela ne veut pas dire que la Ligue ferme la porte à Canal+, qui a été son partenaire historique. Il y a eu de la rancoeur et nous sommes en train de reconstruire avec eux une relation de confiance. Nous ne les ferons pas changer d'avis, s'ils devaient décider qu'ils n'ont plus besoin du football français. Mais nous n'avons jamais dit que nous voulions tout faire sans eux. Notre ambition est de consolider notre relation avec tous nos partenaires actuels et d'en trouver d'autres qui auront envie d'investir dans un football qui monte en puissance. Le « momentum » est bon. Nous n'avons pas perdu de temps mais nous devons encore accélérer pour être certain de basculer du bon côté avec les clubs, la fédération et les joueurs.
David Barroux
François Vidal
Son actualité
Arrivé à la tête du foot pro tricolore en pleine crise (Covid-19, faillite de Mediapro), Vincent Labrune n'a pas réussi à apaiser les relations avec Canal+, le partenaire historique de la Ligue, mais a convaincu Amazon d'investir sur le foot français. Il vient de créer une filiale commerciale qui, avec l'appui du fonds CVC, a vocation à financer un très ambitieux plan de renaissance du ballon rond. CVC mise 1,5 milliard et prend 13 % de cette société qui veut faire passer les recettes audiovisuelles du footballfrançais de moins de 800 millions aujourd'hui à 1,8 milliard d'euros en 2018.
Les Echos