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Todd Boehly L’homme du XXL
L’homme d’affaire américain, qui a racheté Chelsea au début du mois pour 4,9 milliards d’euros, un record, voit grand. Il a déjà réussi la relance de la franchise de base-ball des Los Angeles Dodgers. ROBERTO NOTARIANNI
La première impression est souvent primordiale dans une relation. Si Todd Boehly voulait apparaître comme abordable, décontracté et positif, il est parfaitement parvenu à ses fins lors de son « baptême du feu » en tant que futur nouveau patron de Chelsea. Le 7 mai 2022, quelques heures après la signature de l’accord de rachat du club pour la somme record de 4,9 milliards d’euros, cet Américain de 48 ans se présente à Stamford Bridge pour assister au match de Premier League des Blues face à Wolverhampton (2-2). En jeans, baskets et sweet à capuche, il se présente devant les habitués des lieux quasiment comme un quidam normal, souriant et disponible. Pas de bodyguard à cran, ni d’attachés de presse pour filtrer le moindre contact.
C’est que Boehly est conscient de la froide réputation qui colle à la peau de ses compatriotes, propriétaires de Manchester United (la famille Glazers) ou d’Arsenal (Stan Kroenke). Et il souhaite s’en démarquer. Sans pour autant être forcément dans le calcul : il se dit que le bonhomme s’est déjà promené incognito dans les parages lors de matches précédents de Chelsea. « Rien d’étonnant, souligne Paul Kennedy, le directeur du magazine Soccer America et juré du Ballon d’Or France Football pour les États-Unis. Todd Boehly est quelqu’un de discret et de passionné. Il aime vraiment le football et l’atmosphère qui l’entoure, qu’il a tout particulièrement appréciée au cours de ses années passées à Londres. »
“Quand je dis que je vais faire quelque chose, je le fais et je m’en donne les moyens
Todd BoeHly
Pourtant, Todd Boehly est loin d’être Monsieur Tout-le-Monde. Né le 20 septembre 1973 à Bethesda, la banlieue cossue de Washington, il est devenu un homme d’affaires dont la fortune se compte en milliards de dollars. Spécialisé en finance et économie d’entreprise, l’ancien élève du huppé College of William & Mary en Virginie, ainsi que de la London School of Economics de Londres, a d’abord fait ses armes à la City, avant d’entrer chez Guggenheim Partners en 2001. Il en est devenu le président avant de fonder, en 2015, l’Eldridge Industries. Ce bourreau de travail est le président et l’administrateur de cette holding basée à Greenwich dans le Connecticut et active dans des secteurs très variés : fonds de pensions, assurances, gestion de patrimoine, immobilier, industrie alimentaire, haute technologie, paris en ligne, médias, sport et e-sport. « Se diversifier pour surmonter plus efficacement les cycles économiques que traverse chaque activité », tel est son mantra régulièrement déclamé pour expliquer la politique d’expansion de son entreprise. Un autre, qu’il a notamment énoncé dans une interview à Yahoo Finance, pourrait être : « Quand je dis que je vais faire quelque chose, je le fais et je m’en donne les moyens ».
Champion régional de lutte deux années de suite (1990 et 1991) lorsqu’il fréquentait le lycée Landon de Bethesda (Maryland), Todd Boehly aime la compétition et les défis. « C’est un habile négociateur, capable d’œuvrer efficacement en coulisse et de faire consensus autour de lui », estime Paul Kennedy. Des qualités qui vont faire merveille à son entrée dans le monde du sport professionnel. Une entrée par la grande porte : avec Guggenheim Partners, il pilote un groupe d’investisseurs (qui comprend notamment le milliardaire Mark Walter, l’ex-star NBA Magic Johnson et une légende du tennis féminin comme Billy Jean King) dans le rachat, en 2012, de la franchise de base-ball des Los Angeles Dodgers à Frank McCourt, l’actuel propriétaire de l’OM. Pour 1,6 milliard d’euros, un record mondial (déjà !) à l’époque. « Chez les Dodgers, il a assis sa réputation de dirigeant de premier plan, énergique et efficace, estime Wulfran Devauchelle, cofondateur de l’Observatoire du sport business. Principalement parce qu’il a fait ce que les fans attendent d’un propriétaire de club de rang : investir en recrutant des grands noms, moderniser les infrastructures, et, surtout, obtenir de bons résultats sportifs. »
Oublié le règne mitigé de McCourt. Les Dodgers ouvrent en grand les cordons de la bourse (ils disposent de la plus grosse masse salariale de MLB sur six saisons sur dix, depuis 2013) et renouent avec le succès : premiers de leur division de 2013 à 2020, champions de Conférence Nationale en 2017, 2018 et 2020, et surtout lauréats des World Series, le titre suprême nord-américain, en 2020, une couronne qui leur faisait défaut depuis trente-deux ans. Sur le plan économique et médiatique, Todd Boehly fait aussi très fort, bouclant un accord entre les Dodgers et Time Warner Cable pour la création de SportsNet LA, un réseau régional retransmettant tous les matches des Dodgers. Le deal (estimé à plus de 7 milliards d’euros pour vingt-cinq ans) est l’un des plus lucratifs du genre dans les sports américains. « Son action aux Dodgers est une indéniable réussite », souligne Wulfran Devauchelle, rappelant qu’en dix ans la franchise a doublé sa valeur.
Une première approche en 2019
Également actionnaire des Los Angeles Lakers et des Sparks, le club de basket féminin de la cité des Anges, Todd Boehly aura-t-il la main aussi heureuse dans le football ? « Il adore ce sport pour la passion qu’il déclenche, l’atmosphère des matches, le côté imprévisible des débats. Il avait déjà tenté d’acheter un club à plusieurs reprises », remémore Paul Kennedy. Pressenti un temps au côté de David Beckham à l’Inter Miami, puis à la tête du club féminin du Washington Spirit, il a surtout lorgné sur la Premier League, tentant en vain, en 2019, de convaincre tour à tour les propriétaires de Chelsea et de Tottenham de céder leur club.
Et lorsqu’au printemps dernier, à cause de la guerre en Ukraine, Roman Abramovitch est poussé à vendre Chelsea, Boehly n’hésite pas un instant. Il monte avec son compère Mark Walter, le milliardaire suisse Hansjörg Wyss, l’homme d’affaires britannique Jonathan Goldstein, ainsi que la société d’investissement Clearlake Capital, un consortium capable de convaincre la Premier League et le gouvernement de Boris Johnson en déboursant 4,9 milliards d’euros. Balayant alors le précédent record pour un sport collectif, les 3 milliards d’euros sortis entre 2018 et 2019 par le Canadien Joseph Tsai pour l’acquisition des Brooklyn Nets en NBA et l’exploitation de leur salle. « Mais, attention, Boehly n’a pas l’approche d’un Abramovitch arrivant à Chelsea, prévient Devauchelle. C’est un financier, Il n’est pas là pour perdre de l’argent, mais en gagner à terme, en trouvant des relais de croissance. »
Ainsi, on parle déjà d’un projet de développement de Stamford Bridge, qui s’annonce toutefois compliqué. Ça tombe bien : il a la réputation d’exceller sur les dossiers difficiles !
L'Equipe