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Dans les coulisses de la reprise des Girondins de Bordeaux par Gérard Lopez
Trois mois et demi se sont écoulés entre la décision de King Street de lâcher les Girondins de Bordeaux et le rachat du club par Gérard Lopez qui va officiellement en devenir le propriétaire demain. Retour sur une reprise mouvementée.
Gérard Lopez au centre, aux côtés de Pierre Hurmic (à gauche), le maire de Bordeaux, et Alain Anziani, le président de Bordeaux Métropole, lors de la présentation de son projet de reprise, le 8 juillet. (R. Perrocheau/L'Équipe)
Le coup de massue est tombé le 9 avril. Ni le PDG des Girondins Frédéric Longuépée, ni son directeur général adjoint Thomas Jacquemier ne l'ont vu venir : à la barre depuis décembre 2019 et l'éviction de General American Capital Partners - le fonds qui l'avait embarqué dans le rachat du club treize mois plus tôt -, King Street ne s'engagera pas au-delà de la saison en cours, et le fait savoir à la direction bordelaise. Le facteur ayant probablement convaincu le fonds d'investissement d'arrêter les frais : un courrier envoyé par la DNCG quelques semaines plus tôt. Le gendarme financier du football français a exigé des clubs professionnels qu'un montant équivalent au déficit prévisionnel de la saison à venir (ventes de joueurs non comprises) soit bloqué sur un compte au 1er juillet.
Pour le fonds d'investissement, qui s'était déjà engagé à remettre 40 M€ au pot lors de son précédent passage devant la DNCG au mois de décembre, c'est sans doute la goutte de trop. Non seulement un nouvel apport de 23 M€ correspondant aux ventes prévues cet été est exclu, mais il décide aussi de ne plus honorer sa promesse : sur les 40 M€ qu'il devait injecter pour remettre les capitaux à zéro, il n'en met que 12 M€, juste ce qu'il faut pour répondre aux besoins de trésorerie pour boucler la saison.
Depuis le mois de mars, son représentant en France Daniel Ehrmann est en discussion avec Nicolas Hoang, le directeur général délégué du groupe immobilier MI29-Eurobail. Un rendez-vous est organisé le 21 avril en présence de Longuépée et Jacquemier. L'homme d'affaires - dont la fortune familiale est estimée à 750 M€ - tombe des nues le lendemain lorsque la nouvelle du désengagement de King Street est révélée dans un communiqué : le club est officiellement placé sous la protection du tribunal de commerce et un mandataire ad hoc, Frédéric Abitbol, est nommé.
Au départ, Lopez visait plutôt Southampton, Valence ou le Genoa
Dans nos colonnes, il est déjà question d'un intérêt de Gérard Lopez, mais l'ancien propriétaire du LOSC est encore loin de Bordeaux. Il a plutôt en tête Southampton, Valence et le Genoa. Parmi les autres candidats potentiels, deux autres sont immédiatement identifiés : Pascal Rigo et Bruno Fievet. Le premier a fait fortune dans la boulangerie. Il avait tenté d'entrer dans le capital du club à hauteur de 40 % il y a un an. Le second est un financier, ambassadeur du club en Suisse. Lui aussi avait déjà essayé de se porter acquéreur des Girondins, sans succès.
Pour le maire de Bordeaux Pierre Hurmic, qui ne veut « ni aventurier, ni fonds d'investissement », ils présentent tous les deux l'avantage d'incarner un projet « local ». L'élu EELV est également contacté par le président du club de rugby du Biarritz Olympique, Jean-Baptiste Aldigé, alors que Ravy Truchot, un homme d'affaires franco-américain, se montre lui aussi intéressé. L'ancien directeur général exécutif de la LFP Didier Quillot est également de la partie. Au total, ils sont une dizaine à signer des accords de confidentialité pour avoir accès au document « Project Navy » concocté par Rothschild, la banque d'affaires mandatée pour gérer la cession des Girondins.
Longuépée et Jacquemier, eux, sont à pied d'oeuvre : ils font appel au cabinet d'avocats Bredin Prat pour défendre les intérêts du club et sollicitent le cabinet indépendant Eight Advisory pour effectuer une vendor due diligence (un audit de l'entreprise) pour accélérer le travail de l'acheteur. Ce sont eux qui entreprennent également les démarches pour bénéficier de l'aide aux coûts fixes de la part de l'État et des moratoires sur les charges sociales. Cela aura son importance dans le sprint final.
Parmi les candidats au rachat, figure le fils du propriétaire des Houston Rockets
Pour accéder à la deuxième étape et à la data room (la chambre de données informatiques où sont stockés les documents relatifs aux comptes du club), les potentiels repreneurs ont jusqu'au 24 mai pour montrer patte blanche et transmettre une offre non engageante. Seulement quatre franchissent cette étape. Parmi les recalés : Fievet. Il lui est reproché de ne pas disposer de suffisamment de fonds propres, un argument qui ne le convainc pas. La candidature de Rigo, elle, est retenue, au même titre que celle de Quillot. Mais contrairement à l'ancien dirigeant de la LFP, l'entrepreneur n'a pas montré l'évidence des fonds dont il dispose.
S'il est encore là, il le doit d'abord au soutien des ultras et à la présence de l'ancien président Stéphane Martin (2017-2018) dans son projet : le club veut éviter les foudres de la communauté locale. Quillot, lui, en fait les frais. Des banderoles contre sa candidature fleurissent en ville, et l'un de ses investisseurs décide de se désister. De 60 M€, ses fonds retombent à 30 M€ malgré l'appui d'investisseurs anglais, du fonds Montefiore et du fondateur de Betclic, Nicolas Béraud. Le porte-parole des UB87 Florian Brunet ne le ménage pas lorsque Quillot le contacte pour tenter de comprendre cette hostilité.
À cet instant, ni Hoang, ni Lopez ne font partie des heureux élus. En contact régulier avec Ehrmann, le premier s'est bien entretenu avec François de Breteuil, Guillaume Schmitt et Paul Chaput, qui représentent Rothschild. Il a également discuté avec le principal bailleur du club, Fortress, mais il emprunte un circuit parallèle. Son père, Chuc, patron d'Unibail, n'est pas favorable du tout à l'idée d'investir dans le football. Lopez, lui, a été sollicité par la banque d'affaires et par King Street mais sa décision de passer à l'action n'est pas encore arrêtée. Les deux concurrents de Quillot et Rigo sont en réalité américains. L'un représente une franchise de sport. L'autre est Patrick Fertitta, fils de Tilman Joseph Fertitta, le propriétaire du club de basket des Houston Rockets, dont la fortune est évaluée à 4,5 milliards de dollars par le magazine Forbes. L'un comme l'autre ont très vite renoncé. Les délais étaient trop courts pour les convaincre d'aller plus loin.
Quand Rigo fait déchanter Lopez
Alors que Quillot s'est attiré les foudres de King Street en exigeant du fonds d'investissement qu'il tienne son engagement pris devant la DNCG - remettre les capitaux du club à zéro - sous peine de se retrouver devant les tribunaux, Lopez, lui, se décide enfin à formuler une première offre. Très vite, sa candidature et sa présumée puissance financière le désignent comme le favori. Après une première tentative de rapprochement avec Hoang, le duo Rigo-Martin le sollicite pour une éventuelle fusion des projets. Une idée que l'ancien patron du LOSC accepte de considérer : même si le Club Scapulaire - qui regroupe 150 entrepreneurs locaux - lui a déjà témoigné son soutien, cette association peut lui permettre de gagner du temps et une crédibilité locale. Il compte aussi secrètement sur la manne financière présumée dont dispose Rigo : faute de temps, Lopez a été lâché par Oak Hill Capital partners, le fonds d'investissement qui le soutenait. Il ne le sait pas encore, mais il va de nouveau déchanter...
Un accord est entériné le 17 juin avant qu'un communiqué du club ne vienne doucher l'enthousiasme ambiant. En dépit de la deadline fixée par Rothschild, le trio n'a formulé aucune offre binding (ferme). Quillot si, mais elle n'a aucune chance d'aboutir en l'état. Un ultime délai est fixé au 22 juin.
Pour la première fois, l'hypothèse d'un redressement judiciaire est mise sur la table. Face à cette menace, le maire de Bordeaux décroche son téléphone dans la soirée pour s'entretenir avec Quillot. Il a publiquement donné sa bénédiction à Lopez quelques jours plus tôt, et il tient à recoller (un peu) les morceaux, au cas où. Du côté de Rothschild, la candidature de l'ancien dirigeant de la LFP n'est plus totalement exclue non plus : même si Lopez garde leur faveur, ni King Street ni Fortress ne veulent aller jusqu'au redressement judiciaire. Il ne reste plus que quarante-huit heures à l'homme d'affaires hispano-luxembourgeois pour trouver les fonds nécessaires et finaliser l'opération.
Ce sera quoi qu'il arrive sans Rigo, qui lui avait garanti pouvoir apporter 160 M€ avant de progressivement réduire la voilure : 60 M€, puis 30 M€, puis 10 M€ qu'il n'a pas non plus puisqu'il compte sur le financement d'un autre ancien candidat, Elie Simon, soutenu par la plate-forme de cryptomonnaies Tezos. Dans l'urgence, Lopez songe un temps à faire appel au fonds Paragon, mais les taux sont extravagants (15 %). Il va finalement trouver un accord durant le week-end pour que King Street et Fortress lui prêtent respectivement 12,5 M€ et 7,5 M€. En parallèle, Fortress accepte aussi de diminuer et d'échelonner la dette, qui devait initialement lui être remboursée à l'automne 2022 : elle passe de 38 M€ à 30,5 M€, payables d'ici 2025 avec un taux d'intérêt beaucoup moins important, 5 % contre 9,25 % auparavant.
Le 22 juin à midi, la menace d'un redressement judiciaire n'était pas encore écartée
Le term-sheet (document synthétisant les termes du contrat) pour la cession du club est signé le 22 juin en fin d'après-midi, alors que la menace d'un redressement judiciaire n'était pas totalement écartée le midi lors d'un conseil d'administration. Il a fallu que Lopez apporte les preuves de ses fonds - 10 M€ de capitaux propres - pour basculer dans une autre étape du processus : le passage devant la DNCG et le vote de la Métropole concernant le loyer du stade. Avec le soutien de Fortress, qui s'est porté garant à hauteur de 10 M€ dans l'éventualité où le club ne serait pas parvenu à tenir son budget au 30 juin 2022, les garanties apportées par Lopez (*) sont suffisantes pour que les Girondins, rétrogradés à titre conservatoire le 2 juillet, retrouvent leur place en L1.
(*)
10 M€ de fonds propres, 20 M€ de prêt de King Street et Fortress, 10 M€ d'aide aux coûts fixes et 10 M€ qui résultent de l'aide de la Métropole et des moratoires sur les charges sociales.
Malgré des mesures restrictives (encadrement de la masse salariale et interdiction de recruter sans ventes au préalable), l'essentiel est préservé. Concernant la Métropole, elle lui accorde les mêmes facilités de trésorerie que celle obtenues par Quillot pendant le processus de vente : il ne devra honorer l'ensemble des montants dus (plus de 15 M€) que fin 2025. Les élus valident surtout ses garanties pour le paiement du loyer. Le closing doit intervenir demain après l'homologation de son projet de reprise par le Tribunal de commerce. Une nouvelle ère peut commencer.