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Un PSG presque champion de France et plus opaque que jamais
Sauf coup de théâtre majeur, le Paris-SG devrait remporter ce samedi au Parc son dixième titre de champion de France. Pour le reste (Pochettino proche de la porte, les prochains mois de Mbappé), il faudrait être dans le secret des dieux, car au sein du club, on s’exprime surtout par médias interposés. Il va se passer quelque chose, mais quoi ?
«Putain de ta mère !» Une vague d’émotion sur une mer d’huile : mercredi à Angers, le défenseur parisien Sergio Ramos, quatre titularisations en Ligue 1 cette saison les rares fois où son mollet l’a laissé tranquille, a laissé éclater sa rage après avoir inscrit de la tête le deuxième but parisien (3-0 au final) et sa grosse voix aura tonné le long des coursives. Un rappel du sport comme tempête des passions où les joueurs sont éternellement condamnés à échapper au gouffre où les circonstances – les 36 ans de Ramos, les blessures qui vont avec l’âge, la concurrence, l’adversité – les font glisser.
S’il ne perd pas ce samedi contre le RC Lens au Parc ou si l’Olympique de Marseille ne l’emporte pas à Reims dimanche soir, le Paris-SG fera rentrer son dixième titre de champion de France. Et si Ramos n’avait pas envoyé le monde entier se faire foutre, il ne se passerait rien. Troisième de Ligue 1 à 21 points de Kylian Mbappé et consorts, le Stade rennais a perdu 1 match sur 3. L’AS Monaco, qui est cinquième, en a perdu 9, et l’OM, deuxième, a subi 7 défaites et 8 nuls (!). Forts de la plus grosse masse salariale jamais vue dans le foot (plus de 600 millions d’euros annuels), les Parisiens n’avaient qu’à ramasser l’Hexagoal. Ce qu’ils vont faire.
«Question contractuelle»
Pour le reste, il faut une loupe. Ou être dans le secret des dieux. La brusque flambée offensive du Paris-SG depuis avril et la fin de la trêve internationale (16 buts en 4 matchs) doit tout à un Mbappé déchaîné, qui offrit un penalty et une passe devant le but vide à Neymar au stade Gabriel-Montpied de Clermont (6-1 le 9 avril) comme on assoit un coéquipier sur une chaise à porteurs : d’ici à imaginer que l’attaquant des Bleus a décidé de régler en cinq secondes la question, sensible chez lui, du titre de meilleur buteur de Ligue 1 – il était derrière Martin Terrier et Wissam Ben Yedder fin mars, le voilà devant – en s’aliénant toute l’équipe, il n’y a qu’un (tout petit) pas mais on n’en sait rien, nous.
Et les intéressés ne savent pas grand-chose non plus. Mis en concurrence avec le champion d’Europe italien Gianluigi Donnarumma, contre toute logique sportive puisque aucun des grands de ce monde (Manchester City, le Liverpool FC, Chelsea, le Real Madrid, le Bayern de Munich…) ne prend jamais le risque de fragiliser le poste de gardien, Keylor Navas a prévenu : «Je veux jouer tous les matchs [au lieu d’un sur deux cette saison, en alternance avec Donnarumma]. Je veux que ça change.» Traduire : filez-moi mon solde – il est en contrat jusqu’en juin 2024 – ou dégagez-moi le grand sifflet qui vous a coûté l’élimination en Ligue des champions début mars. Comme ça, on dirait que Navas attend surtout son chèque. Il n’est pas le seul.
Confortablement assis sur plus de 5 millions d’euros annuels sans jouer ou presque depuis l’arrivée de Neymar en 2017, le milieu Julian Draxler s’est brusquement souvenu publiquement voilà un mois que le sélectionneur allemand ne risquait pas de l’emmener au Mondial qatari cet automne s’il continuait à cirer le banc de touche. Plus utilisé, mais peu en cour dans un vestiaire qui lui reproche le soutien d’un Neymar qui l’a parfois imposé dans le onze, Leandro Paredes attend aussi un chèque de sortie. Ou un signe. Que l’entraîneur, Mauricio Pochettino, ne risque pas de lui donner : se sachant proche de la porte, il a souligné mardi en conférence de presse avoir «encore une année de contrat» jusqu’en 2023, qualifiant ses relations avec la direction de «question contractuelle», une façon de faire comprendre à son directeur sportif Leonardo et à son président Nasser al-Khelaïfi, et au-dessus d’eux à Doha, qu’ils vont devoir mettre le prix pour l’exfiltrer vers un championnat anglais que le coach argentin n’aura jamais cessé de sonder.
Même le Qatar est dans l’expectative
Ainsi va la vie du futur champion de France 2021-2022 : une gigantesque «impasse mexicaine» où l’on s’exprime par médias interposés, ce qui dit aussi que l’on ne se parle pas directement. Il va se passer quelque chose, mais personne ne sait quoi. Ça se passe loin, ailleurs. Et même le Qatar est dans l’expectative : en évoquant au début du mois «de nouveaux éléments, plein de choses, de nouveaux paramètres» susceptibles de faire évoluer une réflexion qui le poussait initialement à un départ vers Madrid, Mbappé a ravivé l’espoir de Doha d’organiser le prochain Mondial (21 novembre – 18 décembre) en comptant l’attaquant tricolore dans son plus beau vecteur de communication à l’export.
Ces «nouveaux paramètres» obstruent toutes les perspectives : la mise en ligne d’une photo postée mercredi sur les réseaux sociaux par le petit frère du joueur, Ethan, depuis Doha, où il se trouve en vacances avec sa mère, qui participe à toutes les négociations concernant la superstar des Bleus, a embrasé la planète foot jusqu’à Madrid. Mbappé n’ayant pas pour habitude de mélanger vie privée et destinée sportive, on peut entendre qu’il a obtenu un rééquilibrage en sa faveur. Une équipe à sa main, pour être clair.
Ce qui, d’une part, indiquerait que les dirigeants parisiens ont fini par utiliser des arguments alternatifs à l’argent, et c’est peu de dire qu’ils auront mis le temps. Et qui, d’autre part, pose la question de la place de Neymar et Lionel Messi dans la construction à venir si Mbappé prolongeait. Pour singer les Atrides en surexposant sous une lumière crue les mouvements de l’âme des grands de ce monde, qui ont par leur talent le pouvoir de jouer avec les émotions de centaines de millions de fans, ce Paris-SG-là est inestimable. En comparaison, un titre de champion de France fait pâle figure.
Libé