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Paul Mitchell (directeur sportif de Monaco) : « Recruter, c'est comme acheter une maison »
Paul Mitchell, le directeur sportif de l'AS Monaco, détaille son mode de fonctionnement et la façon dont il a redressé le club, à tous les niveaux.
(S. Mantey/L'Équipe)
Paul Mitchell est très rare dans les médias mais sa discrétion n'est pas de la timidité : très souriant et naturel pendant les trois quarts d'heure qu'il nous a accordés mardi en visioconférence, le directeur sportif de l'AS Monaco a raconté sa première année dans un club qu'il a totalement restructuré.
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Conclue à la troisième place de L1, la saison a été un succès qui doit être pérennisé, car les Monégasques veulent redevenir des habitués de la Ligue des champions. Le regard du Britannique (39 ans) ne s'arrête toutefois pas au terrain : après avoir posé les bases, il continue de rassembler toutes les compétences possibles, dans tous les domaines, pour attirer et développer les talents.
Et comme l'ancien responsable du recrutement du groupe Red Bull (RB Leipzig, Red Bull Salzbourg...) s'intéresse aussi au Cercle Bruges, le club satellite de l'ASM, il ne manque vraiment pas de travail.
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« À votre arrivée, vous avez dit que votre femme s'attendait à vous voir davantage car vous auriez moins de clubs à gérer qu'avec Red Bull. Lui avez-vous donné raison ?
Ça ne s'est pas passé comme ça (rires). Je savais que j'aurais beaucoup de travail ici, mais peut-être pas que j'en aurais autant. Ma femme m'a finalement moins vu qu'avant...
À quoi ressemble votre journée type ?
J'arrive au centre d'entraînement autour de 7 h 30, 8 heures. Je fais un tour d'horizon de la journée à venir avec James Bunce, le directeur de la performance (arrivé en octobre). J'essaye aussi de voir brièvement Niko (Kovac, l'entraîneur) pour faire la même chose, avant de me plonger dans l'organisation de l'ensemble du club jusqu'au soir. On doit toujours faire face à l'inconnu : cette saison, quand vous vous couchiez, vous ne pouviez pas savoir de quoi serait fait le jour d'après.
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Avant de partir en vacances, qu'avez-vous dit à Kovac ?
Je suis au Royaume-Uni mais je ne suis vraiment pas en vacances ! Le travail ne s'arrête jamais. On est dans un secteur qui bouge sans arrêt. On a fait un bilan et on a donné aux joueurs leur programme d'intersaison.
Je ne suis pas le gars qui tape sans cesse dans le dos de ses joueurs en leur disant que tout est parfait. J'attends d'eux qu'ils soient très sérieux pendant la coupure. Les meilleurs sont ceux qui font ce qu'il faut quand personne ne les regarde. Une carrière file à une vitesse folle, il ne faut pas la gâcher et c'est ce qu'on essaye de faire en inculquant une culture de la performance.
En France, on dit souvent que les jeunes commencent à travailler quand ils jouent à l'étranger...
J'ai entendu ça ici mais je l'ai aussi entendu partout où j'ai travaillé. C'est une critique qui vise les jeunes et pas seulement les Français. La culture du travail de nos jeunes ne doit pas dépendre de leur passeport, et ça passe par l'éducation. On leur dit pourquoi ils mangent ça, pourquoi ils doivent dormir comme ça.
Quelle a été votre décision la plus importante ?
Évidemment, il y a la nomination d'un nouvel entraîneur. De l'extérieur, cela pouvait sembler très rapide (il a remplacé Robert Moreno par Niko Kovac au lendemain du premier match amical, le 18 juillet 2020). Depuis longtemps, je me suis engagé à travailler avec des gens bien. Cela ne veut pas dire que ceux qui étaient là ne le sont pas, mais j'avais une idée claire et j'en ai parlé avec le président (Dimitri Rybolovlev) et Oleg (Petrov, le vice-président). Je leur ai dit : "On doit aller dans une direction ensemble", et ils ont été à 100 % derrière moi pour faire appel aux meilleures personnes. C'est difficile car l'AS Monaco n'est pas une dictature. C'est une collaboration perpétuelle entre l'entraîneur, moi, James, Laurence Stewart (directeur technique arrivé avec Mitchell) et beaucoup de personnes aux parcours différents. Nos décisions sont prises pour construire sur la durée, et j'y crois.
« Ce que j'adore chez Niko (Kovac), c'est qu'il a l'état d'esprit de quelqu'un qui veut toujours grandir. Mais avec la répétition des matches, tu es dans un tourbillon
Cette fois, vous n'allez donc pas changer d'entraîneur en juillet ?
Dans le football, on ne peut jamais dire jamais. Mais on a planifié méticuleusement l'intersaison avec Niko, et on est constamment en contact. Avec une telle implication, la question de l'entraîneur ne se pose pas. C'est un homme avec une très grande intégrité, il colle à ce qu'on veut. Mon job est de le soutenir, mais aussi de le pousser. On en a parlé ensemble : comment faire de lui un Niko Kovac 2.0. ?
En quoi le poussez-vous ?
Je veux le rendre meilleur, comme on peut tous l'être. J'ai invité le staff à en faire de même avec moi, en discutant de tout. Ce que j'adore chez Niko, c'est qu'il a l'état d'esprit de quelqu'un qui veut toujours grandir, en savoir plus sur la médecine, les datas, la périodisation... Mais avec la répétition des matches, tu es dans un tourbillon. Le pousser, c'est lui donner un espace pour réfléchir et continuer à apprendre.
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Dans quels domaines le club a-t-il le plus progressé ?
On a voulu mettre à chaque endroit la bonne personne, avec un très grand soutien d'Oleg. Parfois, des gens amènent avec eux des personnes de qualité mais essayent de les contrôler. Ils engagent un médecin, et soudainement, ils deviennent médecins... On a amené des personnes hautement qualifiées, d'Angleterre, des États-Unis, de France, d'Allemagne, de Croatie, et on les laisse travailler. Avec un niveau de contrôle, mais aussi une liberté qui leur permet de se dépasser.
« On crée des dossiers sur des cibles, on les compare, on utilise les datas, nos rapports sur tous les aspects. Ce n'est pas une science exacte, mais on vérifie tout ce qu'on peut
James Bunce semble très important. Qu'apporte-t-il au club exactement ?
Je dois faire attention parce qu'il va attraper la grosse tête avec tout le bien qu'on dit de lui... James est un directeur de la performance très talentueux, mais il y a aussi d'autres personnes de grande valeur. Sylvain Blanchard (médecin en chef arrivé en janvier) n'a pas non plus la reconnaissance qu'il mérite, puisqu'il faut se souvenir de la liste de blessés longue durée qu'on avait.
Pouvez-vous détailler le processus de recrutement d'un joueur ?
Recruter, c'est comme acheter une maison, c'est un engagement financier sur le long terme. Pour une maison, vous vérifiez plein de choses. On fait pareil avec les joueurs qu'on suit et il y a de très nombreux points de contrôle de leur qualité. On crée des dossiers sur des cibles, on les compare, on utilise les datas, nos rapports sur tous les aspects. Ce n'est pas une science exacte, mais on vérifie tout ce qu'on peut.
« On a un gros soutien du président, qui est très ambitieux. Je ne sens pas de pression de sa part pour vendre
Combien de personnes sont impliquées ?
Ça dépend du statut du joueur. Nos scouts se déplacent régulièrement d'un pays à l'autre pour multiplier les regards sur nos cibles. Les responsables des datas stimulent aussi la réflexion. Ensuite, Laurence et moi discutons avec Niko, Oleg, pour élaborer une short-list et activer le recrutement. C'est un long processus. On est capables de pallier le départ de n'importe quel joueur, on espère que ça n'arrivera pas mais quelque chose est prévu pour chaque élément.
Que se passe-t-il si vous voulez absolument recruter un joueur, mais que Niko Kovac ne le souhaite pas ?
Dans des clubs, il y a des dissensions entre un entraîneur et un directeur sportif qui peuvent être liées au recrutement. Si ça arrive, c'est que quelque chose s'est cassé au tout début du processus de l'embauche de l'entraîneur. Notre façon de jouer correspond à ce que nous voulons avec le coach et le président. Si un profil s'éloigne de ce que souhaite Niko, c'est qu'on n'est plus alignés dans la stratégie.
Pour être honnête, ça n'est jamais arrivé. Il n'y a jamais de non à 100 % car c'est mon job et celui de Laurence d'arriver devant le coach avec le profil de joueur qu'il faut. On peut discuter de détails, mais ce n'est jamais un désaccord frontal.
Serez-vous capable de refuser des grosses offres cet été ?
On a un gros soutien du président, qui est très ambitieux. Il y a un prix que chaque club ne peut pas refuser, que ce soit Monaco, Liverpool, ou Barcelone. Mais le président suit le chemin que l'on a choisi. Je ne sens pas de pression de sa part pour vendre. Ça peut arriver, car nos joueurs peuvent affoler le marché, mais on n'en a pas besoin.
Ma femme serait extrêmement heureuse si on pouvait garder tous nos joueurs car ce serait moins de travail (rires). L'ambition est toujours de garder l'effectif, mais cette industrie est très mouvante. La clé, c'est d'être consistant sur la durée, du point de vue de l'organisation.
Combien de recrues ? Entre 4 et 7, c'est le turnover moyen
Combien de joueurs allez-vous recruter ?
Je ne sais pas, on est toujours aux aguets. Entre 4 et 7, c'est le turnover moyen. Mais on est conscients qu'on peut perdre tout le monde à tout moment, et on doit s'y préparer du mieux qu'on peut.
Voulez-vous plus de joueurs pour disputer la Ligue des champions ?
C'est la condition physique qui est importante. Si vous regardez le nombre de joueurs utilisés quand vous disputez la Ligue des champions, ça ne change pas tant que ça. Il y a toujours une rotation et le management est crucial, afin d'optimiser les rendements. Chaque joueur doit être capable de commencer un match et d'être performant. Ça vient en les poussant comme il faut lors de chaque séance. On doit être très prudents par rapport à notre académie car si notre effectif est trop riche, les jeunes ne pourront pas s'intégrer. C'est un équilibre à trouver.
« Stevan (Jovetic) a eu un gros impact cette saison mais il a 31 ans, Kevin (Volland) 28, Wissam (Ben Yedder) 30, on avait besoin d'un autre profil pour équilibrer
Vous n'avez pas prolongé le contrat de Stevan Jovetic. Cela signifie-t-il que vous êtes focalisés sur les jeunes ?
Je suis focalisé sur les bons joueurs, et c'est beaucoup plus dur que ça en a l'air ! La façon dont on joue, ce que ça demande physiquement et mentalement, est plus adaptée aux jeunes. J'ai travaillé dans ce domaine avec Red Bull, Tottenham, Southampton, et j'aime développer des jeunes. Mais comme on l'a vu avec Kevin (Volland), on a aussi besoin d'ajouter à notre groupe des éléments expérimentés pour être sûrs de garder de la consistance dans la performance. Stevan a eu un gros impact cette saison mais il a 31 ans, Kevin 28, Wissam (Ben Yedder) 30, on avait besoin d'un autre profil pour équilibrer.
Vous allez disputer le troisième tour préliminaire de la Ligue des champions début août. Cela change-t-il votre mercato ?
Un peu, car il y a moins de clarté. Certains joueurs veulent savoir quelles compétitions ils vont disputer, ça peut donc retarder certaines transactions. Mais il y a des pistes qui ne sont pas affectées par ça.
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Vous êtes reconnu dans le milieu mais ne parlez pas dans les médias. Est-ce qu'il ne manque pas à Monaco une voix qui porte pour mieux peser dans les instances ?
On préfère être reconnus pour le travail qu'on fait. Ç'a toujours été ma philosophie. Je suis dans ce milieu depuis longtemps. Je me suis forgé une réputation, j'espère une bonne (sourire), et je me concentre sur mon travail.
Mais l'ASM n'a pas besoin d'avoir des figures bien identifiées comme le président de l'OL, Jean-Michel Aulas, qui sait aussi mettre la pression sur l'arbitrage ?
Vous avez sûrement déjà entendu mon accent de Manchester quand je crie en tribunes contre les arbitres (sourire). Je pense sincèrement que la logique sportive finit toujours par s'imposer au fil de la saison. Mettre la pression sur les gens et apporter du stress n'est pas une bonne chose. Mais on a montré que si on a quelque chose à dire, on le fait. Je veux que notre travail, notre intégrité, parlent pour nous. »