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Ligue 1 : l’Olympique lyonnais se débat contre son déclassement
Lyon, actuel 9e du championnat de France, pourrait vivre une troisième saison sur quatre sans qualification européenne. De quoi s’interroger sur la politique sportive du club. L’OL joue à Ajaccio dimanche à 17 h 05.
L’Olympique lyonnais incarne un surprenant paradoxe. Valorisée à près de 800 millions d’euros lors de son rachat par l’Américain John Textor en décembre 2022 – un record pour un club français – l’OL vit dans le même temps un déclassement sportif qu’il n’avait plus connu depuis 25 ans.
Propriétaire de son grand stade, de rutilantes infrastructures, d’une franchise américaine de soccer féminin et bientôt d’une Arena multifonctions, Lyon est un mastodonte économique. Neuvième de Ligue 1 à l’issue de la 19e journée, septième en 2020 et huitième en 2022, le club du président Jean-Michel Aulas, qui se déplace à Ajaccio, dimanche 29 janvier à 17 h 05, n’a plus rien d’un géant sportif, ou de la Formule 1 que vantait le dirigeant il y a quelques années. « On a peut-être la belle carrosserie d’une Ferrari avec des infrastructures magnifiques, mais il y a des grosses lacunes dans le moteur, le secteur sportif », assène Sidney Govou, ancienne gloire du club.
Un constat que réfutent les dirigeants lyonnais. « On reconnaît un passage difficile, on conteste le déclassement sur le moyen ou long terme », plaide Vincent Ponsot, directeur général du football. Egalement interrogé par Le Monde, le président Jean-Michel Aulas explique, optimiste : « On a de moins bons résultats depuis deux ou trois ans, mais ce n’est pas un déclassement sportif. On sait pourquoi et on a bien identifié les causes. On vient de corriger et ça va repartir. »
Mal embarqués en 2023 (17 points du podium avant la 20e journée), les Gones pourraient pourtant manquer pour la troisième fois en quatre saisons une qualification européenne. A Lyon, joueurs et entraîneurs passent – nommé en cours de saison, Laurent Blanc est le cinquième coach en six ans –, les contre-performances restent. Comment l’OL, club phare du début du XXIe siècle en France, s’est-il retrouvé à évoquer davantage un bateau ivre qu’un voilier de course ?
Bruno Cheyrou, futur directeur sportif
Après une défaite à domicile en Ligue 1 le 14 janvier contre Strasbourg, les groupes de supporteurs ne se sont pas bornés à incriminer certains joueurs. Ils ont appelé aux démissions du conseiller technique et directeur du recrutement Bruno Cheyrou et de Vincent Ponsot. « Monsieur Ponsot il est grand temps de laisser le sportif et de revenir à votre premier amour », ont proclamé les ultras sur une banderole, rappelant que, pendant dix ans, le dirigeant était en charge du juridique en tant que directeur général adjoint du club.
Jean-Michel Aulas n’a pas goûté ce mécontentement ciblant ses hommes de confiance. « Les kops peuvent avoir un avis sur les joueurs. C’est leur droit, a déclaré le désormais président délégué – depuis la vente du club. Mais qu’ils attaquent des dirigeants qui sont exemplaires. C’est moi qu’ils attaquent… »
A Lyon, les responsables ne sont jamais ceux qui ont le pouvoir de prendre des décisions. Début 2023, lors d’une galette des rois en petit comité avec quelques médias, Bruno Cheyrou a insisté, selon une source, sur le fait qu’il n’était pas directeur sportif, comme pour décliner toute responsabilité devant la situation actuelle. De son côté, Vincent Ponsot répète à l’envi qu’il ne gère pas les questions sportives. Qui le fait du coup ?
Ce dernier, s’il reconnaît « que l’organisation manque de lisibilité depuis l’extérieur » la défend : « Depuis le départ de Juninho, on a réintégré Bruno Cheyrou. On travaille en binôme, moi sur la partie gestion globale, lui sur la partie technique, au soutien de l’entraîneur. » Jean-Michel Aulas annonce même au Monde de futures évolutions : « Ma volonté est que Bruno prenne le poste de directeur sportif. Et on cherche avec Vincent une sorte de conseiller sportif, qui soit un très grand ancien joueur. »
L’équipe dirigeante sera donc maintenue malgré les critiques. En octobre 2022, Sidney Govou avait souligné dans L’Equipe la responsabilité de « personnes incompétentes » dans l’entourage du président. « Je n’ai rien contre Ponsot. J’ai été trop loin dans les termes. C’est surtout de l’incompétence au poste dont je parlais », précise-t-il au Monde.
« Tout le monde se rejette la responsabilité »
Novateur dans son développement économique, Lyon n’a pas su moderniser son fonctionnement sportif. « L’essence même du haut niveau est de se renouveler en permanence, tant dans la façon de fonctionner, de recruter, de coacher…, analyse le septuple champion de France. Or, l’OL n’a pas changé. »
D’abord club qui inspirait le respect par ses résultats, Lyon est devenu une grande entreprise, symbolisée par l’inauguration de son propre stade, à Décines, en 2016. « J’ai connu le club avec trois employés en deuxième division, se remémore Gérard Bonneau, éducateur puis recruteur au club jusqu’en 2018, et qui a assisté à cette mue. Avec le grand stade, le projet n’était plus le même. C’est devenu une grande marque avec des centaines de salariés. »
Oublié le club familial, qui s’était progressivement hissé au plus haut niveau national et européen. « Il y avait une interaction très forte avec des gens qui ont travaillé vingt ans ensemble. On était tous sur le même site : les jeunes, l’académie, les pros et le bureau du président, se souvient Bonneau. Dans le foot, il faut une communion entre gens solidaires. » Ancien joueur et entraîneur des gardiens de 2018 à 2020, « parti sans un coup de fil de son président » à la fin de son contrat, Grégory Coupet abonde en ce sens : « Il n’y avait plus cette relation entre les dirigeants et le sportif. Tout le monde se rejette la responsabilité. »
Obnubilé par sa croissance extra-sportive, Jean-Michel Aulas a, selon plusieurs observateurs, peut-être oublié la vocation première d’un club de football. Un tournant se serait produit lorsque le président lyonnais a investi de son argent propre pour la construction du stade. « Il fallait peut-être valoriser le projet dans le but d’une future vente », confie un proche du club. Une vision battue en brèche par le principal intéressé : « Non, ce n’est pas du tout le cas ! » Vincent Ponsot complète : « Tout ce qui est construit dans le modèle est au profit du sportif, il suffit de regarder nos comptes. »
Au fil des saisons, Lyon a néanmoins laissé partir ses meilleurs joueurs – de Nabil Fekir, à Memphis Depay, Bruno Guimaraes ou Lucas Paqueta – sans vraiment les remplacer. « Petit à petit, le sportif a pris de moins en moins de place », insiste Sidney Govou.
Aulas assume le modèle de son club
Le départ à la retraite de Bernard Lacombe, ancien conseiller du président, fin 2019, n’a rien arrangé. « Bernard, c’était la piqûre de rappel sportive quand ça allait moins bien. Il était essentiel dans le fonctionnement », plaide l’ancien Bleu. Depuis, personne n’a réussi à incarner le domaine sportif, malgré l’espoir de la nomination de Juninho au poste de directeur sportif. En 2019, alors que le club a déjà entamé sa chute progressive et ne parvient plus à remporter de trophée depuis 2012, Jean-Michel Aulas convainc l’ancienne vedette du club de revenir au bercail, lui promettant les pleins pouvoirs. Mais l’expérience Juninho ne connaît pas le succès escompté.
« La première grosse difficulté a été de devoir trouver tout de suite un entraîneur qui vienne seul, sans staff, et qui ne coûte pas cher », rappelle Thomas Lacondemine, ex-journaliste et homme de confiance de Juninho. Dans ce cadre très contraint, l’ancien spécialiste des coups francs choisit Sylvinho, avec l’accord d’Aulas et de Ponsot, qui le rencontre aussi. L’aventure tourne court et le coach brésilien est rapidement licencié. Dès lors, Juninho pèse moins au sein du club. Puis, très vite, il se heurte à Vincent Ponsot, qui tient fermement les cordons de la bourse.
Le Brésilien est étonné par un fonctionnement très différent de celui qu’il a connu en tant que joueur, éloigné de sa vision d’un club moderne. Lorsqu’il veut embaucher son ex-coéquipier Patrick Müller à la tête du recrutement, on lui impose Bruno Cheyrou. Circonspect devant l’archaïsme de cette cellule essentielle du club, désireux de l’étoffer et de la moderniser, il se heurte à un refus. Il s’intéresse à un jeune scout spécialiste des datas, repéré sur les réseaux sociaux. « Après un entretien en septembre 2021, il m’avait rappelé pour me dire que le club ne comprenait pas le besoin d’investir un peu plus dans la cellule de recrutement », raconte Mickaël Marques.
Anxieux de nature, pas assez politique – il le reconnaît –, Juninho voit sa relation avec les autres dirigeants et le coach Rudi Garcia se dégrader. Il finit par quitter le club en décembre 2021. « Juni, c’est 200 % football. C’est un émotif et il a été confronté à des bureaucrates », analyse Sidney Govou. Pour le président Aulas, « Juni » est, au contraire, « sa première erreur stratégique » : « Je lui ai confié les clés du sportif, ça n’a pas fonctionné. Je l’ai mis à un poste qui ne correspondait pas à ses compétences. »
Si le Brésilien sert désormais de bouc émissaire, son départ n’a pas inversé la trajectoire déclinante du club. Revenu aux affaires pour s’occuper de la délicate vente de l’OL, qui l’a accaparé de longs mois, Jean-Michel Aulas n’affiche publiquement aucune remise en question de son modèle.
Est-il encore capable de se renouveler ? « J’ai du mal à le voir faible, mais il est comme tout le monde, il vieillit, constate Grégory Coupet. Pas sûr qu’aujourd’hui il puisse faire seul la bagarre. » L’ancien gardien s’inquiète : « Il vaudrait mieux que ça se mette à marcher rapidement. Avec les Américains, il n’y aura pas de pitié. » Le président, lui, ne s’en fait pas : « J’ai plus de cinquante titres [OL féminin compris], aucun président en Europe n’a ça, vous pensez que j’aurais su faire et que je ne sais plus faire ? Vous charriez », conclut-il.
Le Monde