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TEXTOR Un visionnaire plus qu’un chef d’entreprise
Le futur propriétaire américain de l’OL, qui a gagné des millions de dollars dans les nouvelles technologies, n’a pas toujours brillé par ses choix de gestion aux États-Unis. Sa fortune actuelle serait également surévaluée. De notre correspondant
Maxime Aubin New York (USA) – Parfois, il suffit d’une rencontre qui change tout. Celle entre John Textor et le futur réalisateur à succès Michael Bay (Armageddon, Pearl Harbor) a eu lieu au début des années 1980. Les deux adolescents sont colocataires à l’université de Wesleyan dans le Connecticut, où le premier prépare un master en économie, le deuxième un double diplôme en langue anglaise et cinéma. Diplômés respectivement en 1987 et 1986, les deux amis se retrouvent en 1996 pour fonder leur première société d’investissement, Wyndcrest Holdings. Ils réussissent à lever 2,4 millions de dollars (2,4 M€) pour racheter Art and Technology Group (ATG), une entreprise qui développe un logiciel de suivi des utilisateurs sur les sites internet, une technologie révolutionnaire au développement du web. « ATG a été introduit en bourse en 1999. Textor pensait qu’il doublerait ou triplerait sa mise. Mais les 2,4 millions de dollars se sont transformés en 550 millions, dont 20 millions directement dans sa poche », commente Andrew Abramson, auteur de plusieurs articles sur l’entrepreneur américain pour le Palm Beach Post en Floride.
Son studio d’effets spéciaux récompensé par un Oscar en 2008
Fascinés par les nouvelles technologies, Textor et Bay investissent tous azimuts au début des années 2000. Ils reprennent une banque en ligne (VirtualBank), un service de voix sur IP (IntelliSwitch), un site internet de produits pour bébé (BabyUniverse), jusqu’à frapper un nouveau gros coup en 2006 en faisant l’acquisition de Digital Domain, un studio d’effets spéciaux pour le cinéma fondé par le réalisateur James Cameron (Terminator, Titanic, Avatar). Cet investissement à 35 millions de dollars est un succès. Digital Domain collabore avec de nombreuses productions hollywoodiennes comme Pirates des Caraïbes et Transformers en 2007. Le studio décroche même un Oscar en 2008 pour la transformation sensationnelle du physique de Brad Pitt dans l’Étrange Histoire de Benjamin Button.
L’histoire va pourtant tourner au vinaigre en 2012, quand Textor décide d’ouvrir un nouveau studio dédié aux films d’animation chez lui, dans le sud de la Floride, financé par 80 millions de dollars d’aides publiques. « Le studio a fermé ses portes quelques mois seulement après son ouverture, laissant 200 employés sur le carreau. Digital Domain a ensuite déposé le bilan », raconte Abramson. Suit un procès pour escroquerie porté par l’État de la Floride, au bout duquel Textor est finalement innocenté en 2014. « Il s’était énormément endetté pour développer l’activité en Floride où il voulait aussi ouvrir une école de cinéma. Mais son principal créancier l’a lâché au dernier moment », résume le journaliste américain, qui ajoute que Textor a touché 8,5 millions de dollars de dédommagement.
Digital Domain n’est pas le premier échec de Textor. L’entrepreneur américain avait déjà coulé JesterDigital en 2001, une entreprise dont l’activité semblait pourtant en avance sur son temps. « C’était une sorte de métaverse, un site internet en 3D où les jeunes pouvaient jouer à des jeux vidéo, se rencontrer virtuellement, et surtout acheter la musique de leur groupe préféré dans cet univers imaginaire », se rappelle Michael Koretzky, ancien éditeur de contenu pour JesterDigital. Si l’idée semblait brillante, la technologie n’a jamais été au point et l’entreprise a fermé ses portes après moins d’un an et demi d’activité. « John Textor est quelqu’un de sympa au premier abord, qui a une capacité à convaincre les gens de mettre de l’argent dans ses projets. Il a un profil d’investisseur, mais c’est un très mauvais chef d’entreprise », estime son ancien employé. « Pour Textor, les hauts et les bas font partie de son quotidien de businessman. Il a assimilé que certaines entreprises allaient marcher, d’autres non », ajoute Abramson.
Textor a vite rebondi après le dépôt de bilan de Digital Domain. Il s’entoure d’anciens employés en 2013 pour lancer Pulse Evolution, un studio spécialisé dans les hologrammes. Après avoir ramené à la vie le rappeur Tupac le temps d’un concert à Coachella en Californie en 2012, Textor et sa bande font renaître Michael Jackson en 2014 à la cérémonie des Billboards Awards à Las Vegas. Qualifié de « gourou de la réalité virtuelle à Hollywood » par le magazine Forbes en 2016, l’entrepreneur américain investit ensuite dans l’intelligence artificielle en rachetant Evolution AI. « J’aime à imaginer ce que les gens vont faire dans les cinq à dix ans grâce à la technologie », raconte-t-il à l’époque. Ses deux entreprises vont lui faire toucher le jackpot. En 2018, il cède 100 % d’Evolution AI et la majorité de Pulse Evolution contre 200 millions de dollars.
“Il est quasiment impossible d’évaluer la fortune de Textor
Andrew Abramson, journaliste
Outre ses investissements récents dans des clubs de football (à Crystal Palace en Angleterre, Botafogo au Brésil, Molenbeek en Belgique et désormais à Lyon), Textor (56 ans) a également racheté FuboTV en avril 2020, une plateforme américaine de streaming d’événements sportifs. La société, introduite en bourse six mois plus tard, était évaluée à plus de trois milliards de dollars en 2021. « Je pense que c’est d’ici que vient la confusion sur sa fortune. Les trois milliards de dollars évoqués dans l’entourage de l’OL représentaient la valeur de FuboTV l’année dernière, explique un banquier d’affaires français, familier du dossier de rachat de l’Olympique Lyonnais. Mais le marché boursier s’est écroulé depuis et l’entreprise ne vaut plus qu’environ 470 millions. De plus, Textor a quitté FuboTV et ne détient que 10 % des parts aujourd’hui. »
Pour Andrew Abramson, « il est quasiment impossible d’évaluer la fortune de Textor car son argent est dispatché à travers de nombreuses sociétés qui en détiennent d’autres et ainsi de suite ». « Si vous mettez bout à bout son patrimoine, ses entreprises actuelles et déduisez ses dettes, sa fortune est bien inférieure à trois milliards. On est plus autour des 250 millions », évalue le banquier d’affaires. Contacté par L’Équipe, John Textor n’a pas répondu à nos appels.
L'Equipe