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A l’Olympique lyonnais, une atmosphère nationaliste perdure parmi les fervents supporteurs
Dans les deux « virages » lyonnais, une minorité d’extrême droite marque son territoire. Certains se sentent en confiance pour exprimer leur racisme, ouvertement ou plus insidieusement, surtout lors des matchs à l’extérieur.
Deux supporteurs de l’Olympique lyonnais (OL) doivent être jugés, mardi 16 janvier, à Marseille, dans le cadre d’une enquête pour provocation à la haine raciale et injures à caractère racial. Agés de 33 et 34 ans, ces deux hommes avaient été interpellés, début décembre, pour des faits remontant au 29 octobre 2023.
Ce soir-là, l’Olympique de Marseille (OM) recevait l’OL pour le compte de la 10e journée de Ligue 1, mais le match avait finalement été reporté après le caillassage du bus des joueurs rhodaniens et la blessure de leur entraîneur, Fabio Grosso, sur la route du Stade-Vélodrome.
Dans le secteur de l’enceinte accueillant les quelque six cents fans de l’équipe visiteuse qui avaient fait le voyage dans la cité phocéenne, une dizaine d’individus s’était agrippés au grillage. Parmi eux, « des supporteurs lyonnais ont fait des saluts nazis et [ont poussé] des cris de singe à destination des supporteurs marseillais », avait ensuite détaillé le procureur de la République de Marseille, Nicolas Bessone.
L’OL avait condamné « fermement les inacceptables comportements racistes d’individus dans le parcage » et « demandé les vidéos [du stade] pour identifier les auteurs ». Si la plupart d’entre eux dissimulaient leur visage avec une cagoule, tous n’avaient pas agi avec précaution, surchauffés par les incidents survenus en amont de l’arrivée au Vélodrome.
« Mal au cœur »
Ces images de saluts nazis et d’imitations de singe ont encore nui à la réputation des supporteurs lyonnais. « Je lis régulièrement sur les réseaux sociaux “OL, club de fachos”. Ça me fait mal au cœur », regrette Moulaye, un fan rhodanien, rencontré lors d’un autre match à l’extérieur cette saison.
Le jeune homme d’une vingtaine d’années, originaire de la région parisienne, est tombé amoureux du club à la grande époque du milieu de terrain brésilien Juninho, dans les années 2000. Il est aussi l’un des rares supporteurs noirs de l’OL à effectuer des déplacements. Cela fait plusieurs points communs avec Mike Tanzey, qui a décidé d’exprimer son ras-le-bol. Parce qu’il se sentait « pris en otage » le soir du 29 octobre, ce dernier a publié sur le réseau social X un « cri du cœur d’un supporteur noir de l’OL ». Dans cette série de messages largement relayée, Mike Tanzey témoignait du racisme ressenti à plusieurs reprises dans sa propre tribune.
Interviewé ensuite par L’Equipe, dans l’émission « After Foot » de la radio RMC ou encore le média StreetPress, il raconte ce déplacement à Porto (Portugal), en mars 2022, où des regards haineux se sont braqués sur lui lors d’une Marseillaise : « Ils chantaient et me regardaient comme un ennemi. »
Un corps difficile à appréhender
Après l’épisode du Vélodrome, les projecteurs médiatiques se sont braqués sur la Mezza Lyon, un groupuscule de hooligans, habitué du virage sud du Groupama Stadium lors des matchs à domicile de l’OL, qui n’existe pas officiellement en tant qu’association. En 2011, plusieurs membres de cette bande avaient vandalisé et inscrit des tags néonazis sur le local des Magic Fans, un groupe rival de supporteurs de l’AS Saint-Etienne. Plus récemment, ils avaient affiché leur drapeau noir à tête de mort, rappelant l’insigne de certaines unités SS, sur le tombeau de Benito Mussolini.
Bien qu’il soit interdit par l’OL dans son stade, un autre drapeau siglé Mezza Lyon avait été affiché, quasiment au bord de la pelouse, lors des adieux du président emblématique Jean-Michel Aulas, en mai 2023. Le 29 octobre, ce même étendard a été brandi sur les grilles et au premier rang du secteur visiteurs du stade Vélodrome.
Puisqu’elle n’existe pas en tant qu’association, la Mezza Lyon est un corps difficile à appréhender, et, donc, à dissoudre. Elle se composerait aujourd’hui d’une vingtaine de membres. Ces derniers se sont fait une renommée dans les « fights » auxquels se livrent les groupes de hooligans en dehors des stades.
Mais ce groupuscule n’est pas le seul à être venu à Marseille dans un esprit conflictuel qui dépassait la rivalité sportive. Au-delà des saluts nazis et des cris de singe, le 29 octobre, des supporteurs de l’OL ont agité leur passeport devant leurs homologues de l’OM, connus pour leur identité multiculturelle et antiraciste.
Dans la tribune visiteurs, des drapeaux français ont aussi massivement été déployés, dont certains parés du logo d’une marque de saucisson. Le message sous-jacent ? « On va vous apprendre à respecter la France », traduit un fervent fan rhodanien souhaitant rester anonyme. Lui qui aime habituellement brandir l’étendard bleu-blanc-rouge a senti, cette fois, le caractère xénophobe dissimulé derrière ces actes.
Tard dans la nuit, quand les six cents supporteurs lyonnais ont finalement été autorisés à quitter le stade, des dizaines d’entre eux ont crié en chœur « la France aux Français ». Une provocation xénophobe animée par l’antagonisme entre supporteurs lyonnais et marseillais ? Ou la démonstration que le problème soulevé par Mike Tanzey est profond ?
« Il y a un problème de fond »
La dernière fois que le club lyonnais a reçu son rival olympien, en avril 2023, des bagarres ont éclaté à la fin du match entre des locaux et des visiteurs éparpillés dans la foule. Sur des vidéos diffusées sur les réseaux sociaux, on pouvait voir un homme noir se faire rouer de coups sur le parvis du stade de l’OL. « Tu n’es pas chez toi, sale nègre ! », criait un individu parmi la foule.
« Des insultes racistes, cela m’est arrivé une fois d’en subir en tant que personne noire », confie Ingrid Fiston, agente de sécurité d’une entreprise prestataire de la formation rhodanienne, ayant encadré cinq déplacements au contact des supporteurs en 2022 et 2023. « Les insultes viennent souvent avec la frustration de la défaite et surtout avec l’alcool », explique-t-elle.
Près d’une dizaine de supporteurs lyonnais interrogés pour cet article nous ont confié leur malaise d’entendre régulièrement des invectives racistes en tribune, surtout lors des matchs à l’extérieur. « C’était ostentatoire seulement à Marseille, mais il y a un problème de fond », témoigne l’un d’entre eux, ayant demandé l’anonymat par crainte de représailles.
A domicile, les individus en question sont disséminés dans la foule et se savent scrutés dans un stade à la pointe en matière de vidéosurveillance. Lors des déplacements, cette minorité se retrouve proportionnellement plus nombreuse et plus en confiance pour se « lâcher ».
Effet d’annonce
En septembre 2018, lors d’un match de Coupe d’Europe face à Manchester City, à l’Etihad Stadium, un fan lyonnais a été filmé en tribune avec le bras droit tendu. Un salut nazi ? La justice ne l’a finalement pas considéré comme tel. A l’époque, le club présidé par Jean-Michel Aulas avait affirmé dans un communiqué que l’intéressé serait exclu du stade à vie. Cinq ans plus tard, c’est le directeur général adjoint chargé du stade, qui, ironiquement, dégonfle cet effet d’annonce.
« Je suis à peu près sûr que cet individu va toujours au stade, avance Xavier Pierrot. Pourquoi ? Parce que la loi nous interdit d’aller au-delà de dix-huit mois en ce qui concerne les interdictions commerciales de stade. Un club de football ne peut pas condamner judiciairement un individu. »
L’auteur du bras tendu à Manchester était membre du Kop Virage Nord, la principale association de supporteurs lyonnais, dont les Bad Gones forment le noyau. Si ces derniers ne se revendiquent pas du mouvement ultra, ils en partagent la plupart des codes, à commencer par la volonté d’être acteurs du spectacle au stade à travers des animations visuelles et des chants. Créés en 1987, ils traînent un passé sulfureux.
A leurs débuts, les Bad Gones s’affichent ouvertement comme nationalistes – une croix celtique, symbole suprémaciste blanc, figurait sur l’une des premières écharpes du groupe. A l’époque, certains d’entre eux se signalent par des actes racistes et antisémites.
Au cours des années 2000, le groupe est contraint par Jean-Michel Aulas de lisser significativement son image. « A cette période, la plupart des hooligans de la tribune partent au virage sud pour retrouver une atmosphère plus radicale », retrace Nicolas Hourcade, enseignant en sociologie à l’Ecole centrale de Lyon et spécialiste des supporteurs de football.
Un espace fortement autogéré
En même temps qu’il devient plus fréquentable, le Kop virage nord s’avère un soutien puissant pour l’équipe… et un levier politique pour son président, quand il s’agissait, par exemple, de mettre la pression sur un entraîneur.
Depuis, les Bad Gones ont noué des relations institutionnelles avec le club, à tel point qu’en 2016, Jean-Michel Aulas et le maire de Lyon de l’époque, Gérard Collomb, sont présents à l’inauguration de leur nouveau local. Cette légitimité permet notamment à l’association de bénéficier de tarifs préférentiels pour renouveler les abonnements de ses adhérents.
Aujourd’hui, si le Kop virage nord se présente officiellement comme apolitique, une tendance nationaliste se diffuse pourtant. « N’apporte en tribune que le drapeau de notre patrie ou de notre ville, qui sont les seuls acceptés dans notre virage » est l’une des règles imposées par écrit à ses plus de 6 000 membres.
Dans cet espace fortement autogéré, un drapeau argentin ou brésilien peut se fondre dans le décor. En revanche, celui qui rapporte un drapeau algérien risque de se faire menacer et sortir de la tribune. « C’est comme ça », justifie laconiquement un abonné de longue date du virage. C’est toute l’ambiguïté d’un groupe qui a aussi fait de Karim Benzema et Nabil Fekir des idoles locales. Sollicité, le Kop virage nord a refusé de nous répondre.
« Les amitiés des tribunes lyonnaises, le choix de certains emblèmes, de certains types de lettrages, de références codées dans le monde des tribunes marquent une coloration politique nette d’une minorité active à l’extrême droite », souligne Nicolas Hourcade.
La position légaliste du club
Les Bad Gones entretiennent une longue amitié avec les Ultras Sur, un groupe de supporteurs du Real Madrid connu pour ses chants franquistes et banni du stade Bernabeu depuis une dizaine d’années. En 2022, ces derniers affichaient leurs couleurs au premier rang de la tribune nord du stade de l’OL lors du 35e anniversaire des Bad Gones.
Embarrassée par la mauvaise image renvoyée par de tels « amis », la direction du club adopte une position strictement légaliste. « Je considère que les clubs n’ont pas de devoir moral vis-à-vis de leurs groupes de supporteurs, mais qu’ils doivent aider à faire respecter la loi », déclare Xavier Pierrot. Brandir son passeport ou crier « White Power » ? Ce n’est pas interdit par la loi.
Dans le grand stade de Décines-Charpieu, l’OL est soutenu par deux tribunes ferventes. Moins massif que le Kop virage nord, Lyon 1950 regroupe environ 1 700 adhérents au virage sud. Ce deuxième « kop » est un espace plus désordonné, où se mêlent ce groupe ultra officiellement reconnu par le club, des familles, beaucoup de supporteurs « lambda », mais aussi des groupuscules de hooligans, au nombre et au comportement fluctuants selon les affiches.
De part et d’autre du stade, la tribune devient un lieu de rencontre pour des personnes penchant politiquement à l’extrême droite. « La politisation des tribunes est évolutive et dépend des rapports de force entre les individus et entre les groupes », précisait Nicolas Hourcade, en 2000, dans la revue Politix.
A Lyon, cette volonté d’une minorité nationaliste d’occuper le territoire dépasse le cadre du stade et fait écho avec la situation dans le centre historique de la ville. Variable, là aussi, au fil des années, une porosité existe entre des supporteurs actifs de l’OL et des actions de l’ultradroite. Récemment, un des prévenus jugés pour violence raciste dans le centre-ville, en 2019, reconnaissait avoir fréquenté le groupe Lyon 1950.
Le 29 octobre, la Mezza Lyon, le groupuscule de hooligans au penchant néonazi, s’était rendue au stade Vélodrome dans le même car que… le noyau de Lyon 1950. Deux jours plus tard, le directeur général de l’OL, Xavier Pierrot, remerciait l’association de supporteurs du virage sud pour son communiqué dénonçant « les agissements de certains en parcage [la tribune visiteurs] ». Une prise de parole où il n’était pourtant pas fait mention de saluts nazis, de cris de singe, ni du terme racisme. De leur côté, les Bad Gones étaient restés muets sur leur page Facebook officielle.
Le Monde