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Laurent Blanc (OL) : « Ce qui me désole, c'est qu'on perd du temps »
L'entraîneur de l'OL Laurent Blanc explique qu'il ne s'attendait pas à la sanction de la DNCG et craint que l'encadrement de la masse salariale et du recrutement freine certaines arrivées.
La voix de Laurent Blanc porte sur ce terrain de la campagne néerlandaise où l'OL a pris ses quartiers pour un stage de dix jours. Bras croisé, debout, casquette sur le crâne, il crie ses conseils en cette matinée pluvieuse. "Faites vite, de l'autre côté !", "Tu joues sans contrôle ou tu perds le ballon, c'est impossible de faire des contrôles dans un espace réduit !" : Blanc dirige ses exercices, pointilleux avec son groupe de 27 joueurs.
Quelques minutes plus tard, il nous rejoint, détendu comme depuis le début de la préparation où il apparaît en privé très chambreur, très en forme. Ce sentiment contraste avec ses débuts à l'OL, où il lui a fallu du temps avant de trouver le meilleur dosage. Sans le stage à Dubaï en décembre et le mercato hivernal le mois suivant, Blanc (57 ans) aurait même pu laisser son poste. Il l'explique.
« Avec le recul, comment avez-vous vécu ce retour sur le banc ?
Très bien. On m'a offert cette opportunité et dans l'un des grands clubs de notre Championnat. Et je suis aujourd'hui très heureux ici. J'ai vu des bons matches, d'autres moins bons. Le foot français a évolué ces dernières années, j'ai vu des équipes bien jouer au foot, d'abord, et surtout là où il y a eu une nette progression, c'est dans le domaine athlétique. Certaines équipes peuvent élever leur niveau physique avec des courses incroyables, 121 km parcourus pour Lens, c'est énorme.
C'est la tendance mais je pense toujours que même si on court plus vite, plus longtemps, le mec techniquement fort qui comprend le foot aura toujours de l'avance. Chez nous, des gars moins costauds savent s'en sortir car ils sont intelligents sur le terrain. Et ça me plaît. Le problème, c'est qu'on en a de moins en moins de joueurs comme ça en général.
Un nouveau style d'entraîneurs arrive, qui s'appuie de plus en plus sur les datas, les GPS...
(Il coupe.) Je pense même qu'ils dorment avec ces GPS (rire). J'en parlais avec mes préparateurs physiques, il y a tellement de choses qui évoluent. Il n'y a plus besoin par exemple de s'étirer après une grosse séance mais attention, il n'y a aucune certitude dans le foot. La seule certitude, c'est le mec qui arrive à se démarquer, à marquer, qu'il soit grand, fin, petit ou costaud. Car il a cette intelligence. On a joué comme ça cette année car on n'avait pas l'équipe la plus athlétique et on a fait aussi des sacrés bons matches. Mais si on peut ajouter un peu de densité physique, je veux bien...
Pour le recrutement, regardez-vous de près les datas ?
Non, je regarde la vidéo du joueur, ses déplacements, mais ce n'est pas mon job, c'est celui des scouts. Maintenant je connais de très bons recruteurs depuis très longtemps et quand ils disent "Ce joueur est bon", il est bon. Pas besoin de voir son nombre de tacles ou des dessins. Je dis simplement qu'il ne faut pas se baser que sur ça. La data ne donne pas l'état d'esprit du joueur.
Le foot reste un sport collectif. Si le gars est très bon, c'est bien, mais s'il a un état d'esprit de merde, il peut te foutre le bordel. Dans ce cas, tu fais quoi ? Tu le prends ? La première difficulté de cette saison, ce sera de recruter de l'expérience. Si je regarde les six équipes devant nous, on n'est pas loin en qualité d'effectif, voire même à niveau, mais côté expérience, on est très loin.
La septième place était-elle une déception ?
Quand je suis arrivé, que j'ai vu l'effectif, je me suis dit : "Je comprends mieux la situation." C'était plus que compliqué, que ce soit dans le vestiaire, avec les joueurs... Comme j'ai dit sincèrement à mon staff : "Je vais repartir si on ne change pas les choses."
Vous avez voulu partir durant la saison ?
Oui, car tu as le sentiment que tu n'y arriveras pas. Il y a trop de boulot, des joueurs pas dans l'état d'esprit du club. Je ne les agresse pas en disant ça mais c'était mon constat. Il y avait bien trop de joueurs, des clans (il souffle)... Quand tu es entraîneur, tu dois prendre du plaisir, surtout à mon âge (sourire). Je ne me sentais pas capable d'y arriver avec ce groupe. Et quand on ne prend plus de plaisir, que les joueurs non plus... Il y avait une ambiance délétère.
Quand avez-vous changé d'avis ?
Il y a eu la fenêtre Coupe du monde pour remettre tout à niveau, comme dans une voiture, et ensuite on a fait des choix forts. Il y avait des bons jeunes mais ils ne jouaient pas. Il y avait des mecs confirmés mais ils n'avaient peut-être pas la motivation nécessaire pour être à Lyon. On a donc essayé de contenter les uns et les autres, d'inclure les jeunes et de prêter les anciens.
On a fait les bons choix en janvier et je remercie la direction de m'avoir suivi. Si on arrive en octobre, c'est que ça ne marche pas mais parfois, il y a une ossature qui te permet d'être positif. Là, il n'y avait pas grand-chose. Et on finit troisièmes sur la phase retour de L1. On a pris en plus du plaisir, joueurs comme staff.
Ludovic Giuly, l'un de vos adjoints, a pourtant décidé de partir.
Il veut aller au soleil avec ses enfants. Je lui ai dit de rester un peu mais ce n'est pas son truc. Quand je suis arrivé, il m'a dit : "Laurent, ça va être compliqué." À la fin, il disait au moins on rigole, on vit aujourd'hui.
Il s'occupait de Rayan Cherki, non ?
Oui, je lui avais délégué Cherki, et ce n'était pas un cadeau (rire).
Comment envisagez-vous ce mercato avec la décision de la DNCG ?
C'est un mercato difficile. Il faut améliorer et trouver des solutions à des joueurs de retour de prêt. Il y a beaucoup de travail. Et avec un recrutement et une masse salariale surveillés, ce n'est pas simple... On ne s'attendait pas à cette décision de la DNCG mais on va voir comment ça se termine avec l'appel. Ce qui me désole, c'est qu'on perd du temps.
Et, financièrement, si un joueur veut venir, on passe ensuite au contrat et, sans l'argent, il est plus difficile de conclure. On avait déjà préparé cette saison, même s'il y a eu des changements dans le club. Il faut s'adapter et faire confiance aux gens en place. Mais pour réussir l'an prochain, il faut commencer par avoir une belle équipe.
Vous êtes en quête d'un meilleur équilibre que l'an passé ?
Je l'espère. Sinon, on s'apprête à vivre une saison difficile. L'an passé, elle l'a été pour tout le monde car ce club a connu le succès et surtout la domination. Tu as du mal à accepter que d'autres te passent devant. Mais il faut en avoir les moyens.
Sans Coupe d'Europe, avec 34 matches de L1, c'est une saison où l'effectif ne devra pas être trop important...
On a donc moins de joueurs à prendre. On aimerait avoir d'autres matches, et j'espère la Ligue des champions dès la saison prochaine. Prenons surtout des bons joueurs plus confirmés comme Clinton Mata (arrivé du Club Bruges).
On voulait mettre Saël (Kumbedi) en concurrence avec un gars d'expérience car avec un jeune, ça n'aurait pas eu de sens. Mata sait aussi qu'il a un petit qui ne lâchera pas. Il n'y avait pas assez de concurrence l'an passé. Mais c'est de notre faute. Car on a pris la décision en décembre de faire partir des joueurs pour laisser la place à des jeunes de qualité. C'est à eux de confirmer cette année et c'est souvent le plus dur. Ils sont attendus.
Êtes-vous bluffé par ces jeunes ?
Barcola, ce n'est pas une surprise pour moi. Oui, il a éclaté, mais on lui a fait de la place. Il devait partir en Suisse (en janvier), je ne sais pas s'il aurait eu la même saison et si son impact aurait été le même qu'à l'OL.
Quelles sont vos prérogatives avec Santiago Cucci, le tout nouveau président exécutif par intérim ?
Je suis heureux sur un terrain de foot et, plus je vieillis, plus ça me le confirme. Je peux donc participer dans un bureau aux discussions mais plein de gens ont des prérogatives pour faire ça. Échangeons, croisons nos compétences avec messieurs Textor, Matthieu (Louis-Jean), Santiago (Cucci). Mais si un mec me dit j'ai les datas, je veux ci ou ça, ça veut dire qu'il t'impose le recrutement. Bientôt, les entraîneurs vont subir ça, et là, sincèrement, je serai parti avant.
Ce n'est pas le cas à l'OL ?
J'espère que non (rire). Je vous dis ça et je vais voir que trois joueurs ont signé (rire). Mais si ce sont des bons joueurs, pas de soucis ! En fait, on en parle avant. Que vous faut-il ? Quel profil ? Etc. L'entraîneur n'est pas le gars qui doit décider de tout mais il apporte sa réflexion. Ensuite, il y a la stratégie du club. Si une opportunité se présente sur un jeune, pourquoi pas ?
Je ne suis pas contre le trading mais si tu fais du recrutement uniquement sur du trading, il te manquera quelque chose. Et en quarts ou en demi-finales de Coupe, un jour, tu prendras un but et tu te diras : "Si j'avais un défenseur de 28 ans, plus expérimenté, je ne l'aurais pas pris." Mais tu en as un de 21 ans que tu vas revendre certainement... Et il ne te permet pas de passer (*).
Avez-vous peur de perdre ces jeunes ?
Non, je sais que certaines propositions ne se refusent pas, pour le joueur comme pour le club, à l'image de Malo Gusto (Chelsea). Il faut donc anticiper sur les joueurs qui se font attaquer.
Savez-vous aujourd'hui quelle équipe vous aurez au début de la saison ?
Non, mais j'en ai une petite idée car on a quelques certitudes. Mais après...
Lukeba, Cherki, Barcola seront-ils lyonnais à la fin du mois d'août ?
J'ai un discours qui me dit : "On n'est pas obligés de vendre pour passer la DNCG." On doit libérer surtout de la masse salariale. Je réponds : "Et si on a une proposition de tel niveau ?" Ces jeunes ont montré des choses mais ne sont pas encore prêts pour aller au sommet, même si des clubs intermédiaires ont une capacité financière importante.
Comme Leipzig avec Lukeba ?
Effectivement mais tu dois dire, à ce prix-là (il y a eu une première offre à 26 M€), reste un an de plus à Lyon.
Ça vous ennuierait vraiment de perdre Lukeba ?
Oui. Pareil pour Cherki et Barcola. Je veux débuter avec eux, d'autant plus qu'on leur a fait de la place cet hiver. Ce serait un peu tôt pour partir mais je suis peut-être un peu égoïste (rire).
Vous avez vécu la saison la plus incroyable de l'OL au XXIe siècle, avec le départ inattendu de Jean-Michel Aulas...
Tout le monde a été surpris, mais on sait ce que monsieur Aulas a fait pour ce club. Il sait très bien ce que je pense de lui. Mais on se doit aujourd'hui de faire confiance au nouveau propriétaire. On commence une nouvelle ère. »