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Jean-Michel Aulas a vécu douloureusement les jours suivant sa destitution à l'OL
Depuis qu'il a été destitué, le 5 mai, Jean-Michel Aulas a vécu des jours tristes et douloureux, sans pouvoir s'approcher de l'OL autant qu'avant, et sans pouvoir s'en éloigner. Récit, à l'aube de l'immense hommage qui lui sera rendu, ce samedi au Groupama Stadium.
Il a dit quelques mots, le 13 mai à Orléans, après la victoire de l'OL sur le PSG en finale de la Coupe de France féminine (2-1). Il parlera ce samedi, encore, après Lyon-Reims, tard dans la nuit, après l'hommage, le feu d'artifice, et quelques larmes, c'est sûr. Jean-Michel Aulas évoquera son émotion, sa fierté de l'aventure d'une vie et le deuil qu'il en a à faire. Mais il ne dira rien sur la séparation.
Depuis ce que ses proches décrivent comme « le vendredi des longs couteaux », le 5 mai, et sa révocation par le conseil d'administration d'OL Groupe, aucune des deux parties n'a fait le moindre commentaire sur les conditions ou les motifs de la rupture. Aulas et John Textor, le nouveau propriétaire du club lyonnais, semblent se surveiller mutuellement en espérant un faux pas, tant que l'achat des actions du premier n'a pas été réalisé.
Une passation de pouvoir violente, brutale, inattendue
À 74 ans, la vie professionnelle, sportive et affective de JMA a basculé, tard dans la soirée du vendredi 5 mai. Le clan Textor, dans une volonté de contrôler le narratif de la passation de pouvoir, a tenté de faire croire qu'elle avait été chaleureuse. Elle a été violente, brutale, inattendue.
Le conseil d'administration d'OL Groupe a débuté à 17 heures, en visio. Aulas est alors au stade, avec ses collaborateurs, Thierry Sauvage, le directeur général, Vincent Ponsot, le directeur du football, Harry Moyal, DG adjoint, Emmanuelle Sarrabay, DG adjointe des finances, et les avocats. Certains administrateurs ont d'autres obligations à partir de 20 heures et s'éclipseront, sans imaginer autre chose que l'aboutissement du long débat sur la cession de l'activité féminine pour financer l'OPA d'Eagle Groupe sur les 12 % d'actions détenues par divers fonds et des petits porteurs. Une OPA que le président de l'OL refusera de voter, d'ailleurs, prétextant un conflit d'intérêts.
Le séisme est pour la fin de soirée, lorsque Textor prend la parole, lit un texte préparé avec ses avocats et demande la révocation d'Aulas pour faute lourde. Le débat s'ouvre, c'est-à-dire que JMA se débat, et Textor annonce un vote, au résultat sans surprise : les huit administrateurs français votent contre, les neuf Américains votent pour. Après trente-six ans de présidence, Aulas est débarqué et reçoit le coup de poignard dans le stade même qu'il a construit. « Je n'aurais jamais imaginé assister à une scène pareille », rapporte un témoin. Personne ne s'y attendait : l'après-midi même, Textor, en réunion avec Ponsot et Bruno Cheyrou, notamment, a pris note des pistes de recrutement pour la saison prochaine.
Aulas quittera le stade, après avoir « revu toutes les images de trente-six années de présidence », confiera-t-il à quelques proches. Il leur dira, aussi, son sentiment, en rentrant chez lui, « d'avoir été condamné à perpétuité ». Sonné, malheureux au-delà de tout, il parvient à ne rien changer à son rituel du samedi matin : il accompagne un fils de sa compagne à un match des moins de 9 ans de district, derrière la main courante, comme tous les samedis matin depuis quelques mois. Il ne dit rien, bien sûr, parvient à sourire quand même, pose pour des selfies, comme d'habitude, évoque le match du lendemain contre Montpellier, sans pouvoir confier qu'on ne l'y verra pas. Personne n'imagine la tempête, jusqu'à ce que la nouvelle soit révélée dans la nuit du dimanche au lundi sur le site L'Équipe.
Le dimanche après-midi, il regarde le match fou (5-4) à la télé, et pousse à la triple prime, une décision validée par Textor. Il attend l'Américain, qui arrive à 20 heures dans les locaux de Holnest. Chaque camp, avec ses avocats, entre dans la phase de négociations des modalités de la rupture, qui s'achèvent à 5h30 du matin, juste avant la publication d'un communiqué plat et lapidaire. Il n'est plus question de faute lourde, il s'agit seulement de mettre en musique les accords initiaux sur la clause de sortie de 10 M€ et le rachat des actions de Holnest, la holding familiale de JMA. Il est question, aussi, de sa présence avec l'équipe jusqu'à la fin de saison.
C'est une journée comme une tempête, mais un hommage géant, surtout, une nécrologie du vivant. À quelques proches et moins proches qui lui envoient des messages, il évoque « des jours horribles et destructeurs », et glisse, parfois, entre deux remerciements : « L'OL, c'est ma vie, et je ne veux pas mourir. » Il y a la dimension juridique et la dimension affective, en ces jours qui obligent ses anciens collaborateurs à s'éloigner de lui. À un proche, il dira faire la différence « entre les opportunistes et les tétanisés ».
Certains ont oublié dans l'instant d'être reconnaissants, d'autres, plus fidèles mais encombrés par leurs devoirs à l'égard de leur nouvel employeur, lui ont fait savoir qu'ils ne pouvaient pas lui rendre les mêmes services qu'avant, une autre manière douloureuse, pour lui, de mesurer le vide, soudain. « C'est difficile pour lui, mais il a vendu le club, il a préparé sa sortie, soulignent plusieurs d'entre eux. Nous, on n'a rien, à côté. On travaille désormais pour quelqu'un d'autre, c'est la vie professionnelle. » Dans l'esprit d'Aulas et de ses proches, c'est le zèle et la rapidité du demi-tour qui font la différence.
Il est nié par la communication du club, n'apparaît pas sur le site quand il est honoré à la soirée des trophées de la D1 Arkema, le 15 mai, ni quand il reçoit une récompense avec l'OL aux trophées Philippe-Seguin, mardi dernier. La direction de la communication est devenue dans l'instant un outil de Textor, c'est la loi du genre, même si elle saura sûrement répercuter l'hommage, ce samedi soir.
L'élégance de Blanc, l'absence de Textor
Le changement d'ère a été spectaculaire dès le week-end des 13 et 14 mai. Le samedi, jour de la victoire de l'OL féminin en Coupe de France, à Orléans face au PSG (2-1), il voyage en famille dans un autre avion que celui de l'OL, et doit renoncer à sa causerie traditionnelle avant les grands rendez-vous. Le communiqué le disait président d'honneur de l'OL, esquissant le droit de suivre l'équipe mais plus de la précéder, et ses autres fonctions en font toujours le vice-président de la FFF, futur patron de la Ligue professionnelle féminine : après leur succès face au PSG, alors que les filles insistent pour le faire venir sur la photo, il accepte mais pousse aussi Michelle Kang, la nouvelle actionnaire majoritaire du secteur féminin d'Eagle Football.
Le lendemain, il se rend à Clermont (1-2) et fait la route avec Bernard Lacombe et ses anciens collaborateurs, comme avant. L'image, rare, le montrera seul en tribune, pendant toute la mi-temps, vissé à son siège. Mais si sa place n'est plus dans le vestiaire à la pause, Laurent Blanc lui a demandé élégamment de venir, avant le match, saluer les joueurs, et l'a fait applaudir. Le vendredi suivant, le 19 mai, son siège est vide en tribune présidentielle face à Monaco (3-1), pendant que le public chante son nom à plusieurs reprises.
Il est parti quelques jours avec sa compagne à Venise et suit le match à la télé, les yeux embués. Ses semaines s'organisent autrement, pour la première fois en trente-six ans. Il a perdu 70 % de son emploi du temps, mais l'OL occupe plus de 70 % de son temps de cerveau disponible. Au fil des jours, il essayera de répondre aux messages par centaines, mais il n'a aucune chance d'y parvenir. Il continue de s'investir dans le football féminin, la vente des droits télé, les premiers pas d'Hervé Renard à la tête des Bleues, la préparation de la Coupe du monde féminine, et cet hommage, ce samedi, au Groupama Stadium.
Textor, qui n'est pas revenu à Lyon depuis la semaine de la passation de pouvoir, ne sera pas là aujourd'hui. La remise de diplôme universitaire à son fils, une cérémonie typiquement américaine et familiale, lui évitera l'embarras, ou l'hypocrisie, mais il a forcément validé l'hommage à l'homme qui aura présidé le club de 1987 à 2023, et les amis de JMA préféreront le voir seul sur la photo.
Ce sera sa dernière journée d'allure présidentielle. Président d'honneur, comme annoncé, est une coquille vide, un accord ponctuel de quelques semaines, avec réserves mutuelles. Sa présence est tolérée jusqu'à la fin de la saison, ou plus exactement jusqu'à la fin de la soirée. Il ne sera pas à Nice, la semaine prochaine, pour le baisser de rideau de la saison.
Une mi-temps en tribune présidentielle, l'autre avec les Bad Gones
Mais cette soirée sera la sienne, avec l'enchaînement de l'OL-Reims des filles, à 17h30, et de l'OL-Reims des garçons, à 21 heures. Au milieu, un dîner au stade avec Philippe Diallo, le président intérimaire de la FFF, Hervé Renard, et Jean-Pierre Caillot, le président du Stade de Reims, avant qu'il ne passe une mi-temps en tribune, à son ancienne place, une autre dans le virage Nord, avec les Bad Gones. Suivront un hommage d'une vingtaine de minutes sur la pelouse, à la fin du match, puis un feu d'artifice qui refermera une histoire longue de trente-six ans. Après, ce sera fini. Mais, bien sûr, c'est déjà fini.