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À Nice, une ambiance de tension maximale face à l'affaire Galtier
Depuis la révélation de l'affaire Galtier, Nice est plongé dans un climat pesant. Communication minimaliste, pressions pour que les salariés ne parlent pas, langues qui se délient en privé, enquête qui avance : la tension est maximale.
Cette fois, pas de mimiques ni de regards appuyés, sourires en coin, vers la caméra. Thierry Henry, dimanche soir, n'avait pas revêtu ses habituels habits de showman. Non, le champion du monde 1998 avait un message à diffuser. Et une question claire à poser : pourquoi aucun salarié du Gym ne prend la parole depuis la révélation, il y a une semaine, d'un mail dans lequel l'ancien directeur du football de l'OGC Nice, Julien Fournier, porte de lourdes accusations de comportements discriminatoires de la part de Christophe Galtier ? « Il doit y avoir quelqu'un qui doit venir nous expliquer ce qui s'est passé, indiquait le consultant Prime Video. Il faut que j'entende ce qui s'est passé de l'autre côté. Alors j'ai vu des gens défendre un côté (1)... De l'autre côté, pourquoi ça ne défend pas ? Les joueurs, à mon avis, voulaient parler. J'avais l'impression, de ce que j'entendais, le coach aussi... Il faut qu'il y ait quelqu'un à Nice qui parle. Et pourquoi les Niçois ne parlent pas ? »
(1) Références à plusieurs messages de soutien reçus par Christophe Galtier de la part de ses anciens joueurs dont Burak Yilmaz, Mevlut Erding, Andy Delort
La traduction publique d'un malaise palpable au sein d'un club qui, depuis la révélation de l'affaire, s'est muré dans une forme de silence. Et s'est contenté, au-delà des deux interventions de son entraîneur Didier Digard en conférence de presse puis de quelques éléments de langage du capitaine Dante avant le déplacement à Brest ( « Il y a une enquête judiciaire qui est ouverte, nous n'avons pas trop le droit de parler de quoi que ce soit » ), d'un communiqué de trois lignes, élaboré pendant toute une journée, validé par la communication d'Ineos, propriétaire du club puis diffusé à 18 h 30 le mercredi 12 avril. « Les faits relatés concernent deux personnes ne travaillant plus pour l'OGC Nice. Cette situation a été traitée avec le plus grand sérieux au moment des faits. Le club n'apportera pas plus de commentaires. »
Le club se défend d'avoir interdit de parler
En interne, en marge du match aller de Ligue Europa conférence à Bâle (2-2, le 13 avril), une consigne, très stricte, a été établie. Pas de communication sur cette affaire. Une règle rappelée régulièrement aux salariés de l'OGC Nice depuis, mal vécue en interne. « C'est un climat pesant. Au club, ils leur mettent une grosse pression. Ce ne sont que des non-dits. C'est pour ça que c'est lourd... », explique un proche d'un cadre. Alors que certains joueurs partis l'été dernier observent avec attention l'évolution de ce dossier au point de ne pas s'interdire de parler, que d'autres ont été dissuadés de s'exprimer par leur entourage professionnel soucieux de ne pas faire de vagues sur ce type de sujet brûlant et qu'une communication collective avait été, un temps, imaginé, deux à trois éléments du groupe actuel étaient prêts à témoigner publiquement sur ce qu'ils avaient vécu l'an dernier.
Et si Khephren Thuram, présent en conférence de presse la semaine dernière à Bâle, au côté de Digard, avait été interrogé précisément sur ce dossier, pas sûr du tout que le fils de Lilian, malgré les consignes du club quelques minutes avant ce rendez-vous médiatique, aurait refusé d'évoquer certaines scènes dont il aurait été témoin. La pression actuelle est telle qu'un salarié, prêt à s'exprimer, a reçu des appels de dirigeants. Avec un objectif clair : lui rappeler les sanctions lourdes, prévues par Ineos, en cas de prise de parole. « Aujourd'hui, c'est évident, il y a une crainte de parler. On sait ce qu'on risque... », plaide un jeune salarié, présent l'an dernier.
Comment analyser cette décision d'Ineos, alors que dès son arrivée au printemps dernier, Dave Brailsford (directeur d'Ineos Sports), aurait été mis au courant des faits rapportés par Fournier dans son mail ? Il aurait à l'époque redouté, en privé, les conséquences potentielles sur le plan judiciaire de la non-dénonciation de ces faits présumés de racisme, un délit particulièrement grave en Angleterre. Une position d'autant plus étonnante qu'Ineos, très soucieux de son image et investi sur les thématiques sociétales, soutient activement des personnalités engagées contre toutes formes de discrimination comme le pilote de F1 Lewis Hamilton.
La réponse officielle du Gym nous est parvenue hier après-midi : « Il n'y a pas d'interdiction de s'exprimer. Cette affaire est sortie la veille d'un match de Coupe d'Europe. Il a été demandé de se concentrer sur cette échéance historique pour le club. Aujourd'hui, une enquête judiciaire est en cours, nous ne pouvons faire aucun commentaire public mais toutes les personnes le souhaitant pourront s'exprimer dans le cadre de la procédure. » Une communication succincte qui interroge alors que cette consigne avait été donnée en interne avant qu'une enquête préliminaire du « chef de discrimination fondée sur une prétendue race ou l'appartenance à une religion » ne soit ouverte vendredi 14 avril.
« Il n'y a rien de faux dans ce que j'ai lu dans ce mail. Nous sommes plusieurs à avoir entendu par exemple qu'il voulait que l'équipe ressemble plus à la ville »
Un témoin
Est-ce une manière de « protéger » Jean-Pierre Rivère, dont la participation à certaines réunions très houleuses décrites dans le mail de Fournier a été avérée, et Bob Ratcliffe, président d'Ineos Football, représentant de l'actionnaire au sein du club jusqu'au printemps dernier, qui aurait lui aussi été mis au courant en temps réel de ces faits présumés de racisme ? Ces derniers jours, des échanges téléphoniques entre des responsables d'Ineos dont Jean-Claude Blanc, qui a pris la direction de la branche « sport » depuis son départ du PSG en février, et des dirigeants parisiens ont eu lieu.
Avec une volonté de la part de ces deux géants, parallèlement en compétition depuis des mois dans le processus de rachat de Manchester United, de ne pas nourrir ces débats brûlants par des interventions médiatiques : « Nous sommes face à d'un côté, l'une des plus grandes fortunes du monde (Jim Ratcliffe), l'un des hommes les plus puissants de Grande-Bretagne, et de l'autre à un État à la surface financière exceptionnelle. Vous imaginez bien que ce sont des enjeux qui dépassent le cadre de cette affaire », analyse un très bon connaisseur du dossier.
Vendredi, la rumeur d'une prise de parole publique explosive sur ce dossier de Digard a agité les bureaux du PSG et a donné quelques sueurs froides aux différents services de communication. Au sein du club de la capitale, on essaie toujours, au plus haut niveau de l'organigramme, de démêler le vrai du faux dans ce dossier. Dans ce climat où les attitudes sont scrutées par les deux parties, l'enquête préliminaire, ouverte vendredi, se poursuit.
Plusieurs dirigeants niçois, dont Rivère, personnage important de ce dossier, et dont la première prise de parole publique est particulièrement attendue, ont déjà été entendus. Certains documents relatifs au recrutement et au départ de Galtier ainsi que certains transferts de l'époque ont notamment été saisis par les enquêteurs de la PJ de Nice. Des boîtes mail ont déjà été explorées. Et d'autres témoins, dont très probablement Brailsford, seront auditionnés dans les tout prochains jours. Les policiers devraient pouvoir s'appuyer sur des témoignages circonstanciés. Car si publiquement, les salariés de l'OGC Nice sont donc invités à ne pas s'exprimer, ils sont un certain nombre à vouloir apporter leur témoignage aux enquêteurs.
Et peu à peu, au moins en privé, les langues se délient : « Il n'y a rien de faux dans ce que j'ai lu dans ce mail, souligne, amer, un des témoins de l'époque. Nous sommes plusieurs à avoir entendu par exemple qu'il voulait que l'équipe ressemble plus à la ville. Je témoignerai devant la police parce qu'il faut faire éclater la vérité. Ça doit sortir, ça sortira. Sur ce type de sujet, je refuse qu'on en parle pendant quelques jours et que dans deux mois, ce soit oublié. » Les enquêteurs, au-delà de mails, savent que le dossier sera essentiellement nourri par des témoignages.
Todibo dénonce la « mémoire défaillante » de Delort
Galtier, « satisfait de l'ouverture d'une enquête », a démenti en bloc les accusations ce week-end et maintient une position constante, résumée en préambule de la conférence de presse de son club : « Je suis profondément choqué par les propos que l'on me prête et qui ont été relayés par certains de manière irresponsable. [...] Toute ma vie d'homme, de footballeur puis d'entraîneur a été dictée par le souci du partage et le bien vivre avec les autres. »
Il n'existerait pas dans ce dossier d'enregistrements oraux de Galtier ou de son fils et conseiller, John Valovic-Galtier, également mis en cause dans le mail, qui valideraient les écrits de Fournier. En l'état, quelques messages sur Whatsapp, dont un où Galtier regrette la « tenue traditionnelle » portée par Jean-Clair Todibo sont connus. D'autres seront-ils versés au dossier ? Le témoignage de l'international français sera central. L'ex-Barcelonais, qui a recadré vendredi sur Snapchat Andy Delort à la suite de son message de soutien à Galtier en regrettant que l'ex-Niçois ait, selon lui, une mémoire défaillante sur les « évènements de l'an dernier », a été de ceux autour desquels les tensions se sont cristallisées au printemps. Avec une volonté assumée chez Todibo de jeûner de manière continue durant le ramadan.
Jean-Clair Todibo (F. Porcu/L'Équipe)
Jean-Clair Todibo (F. Porcu/L'Équipe)
Deux témoins que nous avons interrogés décrivent une colère intense de Galtier à l'issue d'un rendez-vous avec son défenseur central et des propos très durs qu'aurait tenu le technicien peu après ce rendez-vous sur une position jugée « extrémiste » de Todibo.
Au-delà des faits très lourds décrits dans le mail, les enquêteurs, qui ont pris connaissance de remarques qu'aurait effectuées Galtier à l'égard de joueurs dont il découvrait a posteriori la religion musulmane (le Néerlandais Pablo Rosario), seront aussi amenés à travailler sur au moins une prise de position, en interne, de Galtier. Selon des témoins, il se serait étonné de la confession musulmane de Digard, alors entraîneur de la réserve et d'une possible influence sur les jeunes joueurs. Une intervention longtemps cachée à l'ex-milieu pour le préserver.
Ineos surveille de près la communication de Digard
Digard, promu entraîneur numéro 1 en janvier, traverse la tempête actuelle en tentant de coller avec la communication souhaitée. Entre son intervention à la veille du match aller à Bâle - « On est concentrés sur le match et on ne parlera que de ça. Il y a deux versions qui s'affrontent et la vérité arrivera de toute façon » - et celle, plus neutre, tenue quelques heures avant le déplacement à Brest - « Je pensais que ma phrase était française : j'avais dit que deux versions s'affrontaient et que la vérité allait sortir. C'est passé pour une prise de position alors que, pour moi, je ne prenais pas parti. Maintenant, tant mieux pour nous que la justice ait été saisie, on a la certitude qu'une vérité sortira et à ce moment-là, on pourra peut-être s'exprimer, mais pas jusque-là. Qu'il y ait une enquête préliminaire ? C'est génial, sincèrement, sinon c'est le tribunal public, et c'est terrible » -, le ton a changé.
Ineos observe de près la communication officielle de son technicien. Nice le sait : le temps de la vérité judiciaire sera long. Le Gym va devoir vivre avec les conséquences de l'affaire Galtier pendant plusieurs mois. Plusieurs années, peut-être.