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L'OGC Nice, son avenir, sa relation avec les joueurs, ses méthodes... l'intégralité des confidences de Didier Digard à Nice-Matin
A 36 ans, Didier Digard réussit des débuts exceptionnels sur le banc du Gym. Il se confie à Nice-Matin.
8 matchs de L1, 6 victoires, 2 nuls, 17 buts inscrits, 2 buts encaissés. C'était envisageable lorsque vous aviez repris l'équipe début janvier ?
Il faut être sincère, non. Je savais qu'on en avait les capacités. Malgré un calendrier très costaud, on a réalisé de grandes performances. C'est dur d'espérer mieux.
Avez-vous une explication rationnelle ?
Il ne faut pas sous-estimer le quotidien. Le match a toujours une part d'inconnue. Mais le travail chaque jour donne les certitudes et les garanties. Ce qui est sûr, c'est qu'on s'est donné les moyens de faire ces résultats.
Démarrer par une victoire 6-1, ça facilite les choses ?
On sait que ça va avoir beaucoup d'impact, oui. Pour les joueurs, l'entraîneur, le staff, tout le monde est attendu sur un premier match. C'est comme la rentrée des classes, c'est le seul jour où ton cartable est prêt depuis la veille. Tu sais que tu es attendu. Quand tu réponds présent, ça facilite les choses. Je préfère ça qu'en avoir pris six... (sourires)
C’est quoi se "donner les moyens de"?
Bosser au quotidien.
Cela veut dire que vous n'avez jamais autant bossé ?
Je n'ai jamais été quelqu'un qui ne fout rien non plus (sourire). Je ne passe pas davantage d'heures aujourd'hui au centre que lorsque j'étais à la formation. Mais c'est différent. Tu n'es pas centré sur les mêmes choses, les mêmes besoins, les mêmes attentes.
Une journée-type, c'est quoi?
Réveiller d’abord mes filles, leur faire prendre le petit-déjeuner pour décoller à maximum 7h30 de la maison. Arrivé ici, on déjeune avec le staff, on fait un point sur l’effectif, les malades, les joueurs touchés. Je fais la même chose au centre de formation ensuite, pendant que le staff installe la séance sur le terrain. C'est mon petit moment à moi, on continue de créer ce lien important pour le club. Derrière, c'est la séance. La partie où on est le plus concentré, on est à fond. Le staff la gère, je prends du recul, j'observe. Sauf s'il y a une dominante tactique, là, je dirige. On refait un bilan après la séance, on mange à nouveau ensemble, puis on prépare celle du lendemain, on relève les points à voir en vidéo. Quand tout est carré, qu'on n'a rien laissé au hasard, on peut alors rentrer retrouver la famille.
Didier Digard Photo Dylan Meiffret.
Observer, c'est seulement ‘‘foot’’ ou repérer les coups de moins bien aussi ?
Il y a des attitudes qui envoient un signal. Il faut y être attentif. Les personnalités sont différentes, certains vont venir te dire les choses, d'autres vont attendre que tu viennes vers eux. Si tu ne le ressens pas, ils peuvent te le faire comprendre à travers des attitudes.
Vous le faisiez déjà en tant que joueur, capitaine ?
J'ai toujours été habitué à la vie en groupe, depuis le plus jeune âge. Beaucoup de frères, très rapidement la vie en centre de formation... Tu te dois de prêter attention aux autres si t'as envie d'atteindre tes objectifs. Seul, c'est impossible.
On peut aussi vous voir passer du temps avec les gardiens. Pourquoi?
Je ne me force pas, c'est naturel. Les gardiens, c'est une secte. Ils sont toujours entre eux. Mais j'ai toujours été proche d'eux, leur fonctionnement m'a toujours fasciné. J'aime beaucoup ce que fait Nico (Dehon, l'entraîneur des gardiens) en plus. Je le connais depuis très longtemps, je sais qu'il va faire un nouveau truc donc je vais observer. Mais le plus important, ce sont les blessés. Je sais ce que ça fait, trop bien même, de pouvoir se sentir à l'écart du groupe, d'avoir besoin de se sentir considéré. En dehors des séances, j'essaie de manger un peu de mon temps de repos pour venir les voir. ça peut être trente secondes, mais je pense que c'est important pour eux de leur montrer qu'on les regarde.
Votre carrière de footballeur nourrit celle d'entraîneur?
Je veux qu'ils fassent tous beaucoup mieux que ce que j'ai pu faire, les aider à tous aller au plus haut niveau. On est là pour ça. Il y a le collectif et l'individu, il faut faire en sorte que tout le monde se rejoigne. Mais en faisant progresser un maximum d'individualités, à la fin c'est le collectif qui en tire les bénéfices.
Adjoint d’Adrian Ursea, vous disiez dans Nice-Matin, en 2021: "Etre coach, c’est aimer ses joueurs." Vous les aimez vraiment tous ?
Ce n'est valable que pour moi. Tout ce que je dis n'engage que moi. Je ne donne de conseils à personne, c'est ma conception. J'ai beaucoup plus de facilités à dire les choses bien ou mal, à m'investir, à tout donner pour les gens que j'aime. Je me bats pour, jamais contre. Je n'ai rien à prouver à ceux qui me donnent tort. Par contre, je veux donner raison à ceux qui croient en mes idées.
Des ex-coachs ont-ils façonné votre vision d'entraîneur?
Certains sur le management, d'autres sur le football. C'est marrant parce que celui qui m'a le plus marqué sur le plan du foot, c'est le seul pour qui je n'ai jamais joué ! J'ai passé un mois avec Quique Setien où j'étais de côté (au Betis Seville ndlr). Mais dans ce qu'il voulait mettre en place, comment l'appliquer, comment faire adhérer les joueurs, c'est ce qui m'a le plus plu. Après, il y a René Marsiglia, dans sa gestion du passage d'adjoint à entraîneur. Dans le management, j'ai aussi connu un coach à Osasuna (Enrique Martin, ndlr) qui te donne envie d'aller à la guerre pour lui parce qu'il estime la personne. Il te donne de l'importance et le footballeur devient secondaire. On est footballeur qu'une partie de la journée mais on est un homme tout le temps.
Vous le rappelez souvent dans vos conférences de presse, il faut relativiser le football...
Tout le monde a vécu des choses difficiles dans la vie et l'être humain oublie vite. (Emu) Moi, je ne veux pas oublier. Parce que je sais ce que me procure le foot, je sais l'importance que ça peut avoir chez les gens. Mais j'ai vécu beaucoup plus important. Tant que dans le foot ça va, c'est très bien. Mais ça ne m'est pas vital. Je peux vivre sans le foot. Mais je ne peux pas vivre sans mes parents ou ma famille, ça ce n'est pas concevable. Quand on passe si proche ou qu'on y passe vraiment, là c'est brutal. Quand on perd un match, et surtout si on a tout donné pour ne pas avoir de regrets, on se réveille le lendemain et personne ne nous en voudra. Tout gagner, ça n'existe pas. Même les Invincibles d'Arsenal, ils n'ont pas tout gagné. Il faut relativiser.
Vous faites partie de ceux qui disent toujours avancer avec certaines personnes disparues, jamais sans?
C’est incroyable de se dire: "Je vis de ma passion." On a tendance à l'oublier parfois, parce que ça a toujours été mon quotidien. C'est presque normal, j'ai joué au foot et maintenant j'entraîne. Mais ce n'est pas normal. Il faut avoir du recul là-dessus pour s'épanouir et profiter. Savoir se dire: "J’ai de la chance et je ne vais pas la laisser passer. Je vais m’investir à fond pour ne jamais avoir de regrets. Je donne tout pour que ça continue." Mais ce n’est pas vital. ça ne remplacera jamais ta famille.
Comment partager ce message avec les joueurs?
Dans l'investissement au quotidien, les efforts à faire pour ne pas avoir de regrets... La prise de risques, c'est un bon exemple. Celle du football n'a rien à voir avec la prise de risques dans la vie ! Au pire, tu vas rater une passe, un dribble ou un tir. Dans la vie... C'est là qu'il faut relativiser, se rendre compte que ce n'est que du football. On a vécu un cas concret avec Aaron (Ramsey) : l'être humain est plus important que le footballeur. Et bizarrement, on a considéré l'homme et il nous a donné sa meilleure version de footballeur.
Est-ce plus simple d’apprivoiser la nouvelle génération lorsqu’on est un jeune entraîneur comme vous?
Je n’arrive pas à répondre à cette question car je ne me la pose jamais. Je suis comme ça depuis toujours, à l’aise avec les jeunes, les vieux, les moins vieux. C’est mon fonctionnement.
Des garçons ont-ils changé de comportement depuis que vous êtes devenu numéro un?
(Direct) Non.
Vous n’avez mis aucune barrière entre vous et eux?
Absolument pas. Le joueur attend toujours de voir le comportement qu’adopte son entraîneur. J’ai une personnalité singulière, on me prend comme je suis, on m’aime ou on ne m’aime pas. Par contre, quand on me prend, on m’accepte. Je ne changerai jamais. J’étais le même en U17, avec la réserve, adjoint et aujourd’hui chez les pros. L’affinité avec un joueur ne m’interdit pas d’être juste, bien au contraire, d’être très exigeant avec lui. Je ne fais que des choses auxquelles je crois. Sinon, je ne les fais pas et je ne suis pas bon.
On peut donc trancher dans le vif lorsqu’il y a de l’affect?
Pour ma part, je vais être plus à l’aise avec les personnes pour qui j’ai de l’affection. Dans le foot, par exemple, tu peux mettre un mec sur le banc. Si tu n’es pas proche de lui, on va dire que tu ne l’aimes pas. En revanche, si tu es proche de lui, il va mal le prendre mais c’est une décision juste, pour l’équipe. C’est mon fonctionnement, je ne perçois pas l’affect dans le management comme une faiblesse. Le plus facile, c’est de mettre de côté ceux que tu n’aimes pas.
Est-ce que cela vous aide d’avoir un fils aîné du même âge que certains de vos joueurs?
(Il réfléchit) Certains sont même plus jeunes que lui (sourires). Mais c’est différent. Les jeunes joueurs de foot sont dans leur bulle depuis qu’ils sont dans un centre de formation. Ils sont focus sur le foot. Mon fils, et ce n’est pas parce que je l’aime plus que tout, est dans une autre dynamique. C’est une machine,
il a un fonctionnement différent. Mais c’est vrai qu’il se fixe également des objectifs très élevés, il regarde des séries en VO, utilise les réseaux sociaux. Mais je n’arrive pas à comparer. Ce qu’il faut, c’est s’intéresser à eux. Mais je m’intéresse tout autant aux autres. En réalité, je me suis toujours intéressé aux gens tout simplement.
Comment vos proches vivent-ils la bascule dans cette nouvelle vie d’entraîneur de Ligue 1?
C’est marrant, mais ma famille est beaucoup plus investie aujourd’hui que lorsque j’étais joueur.
Pourquoi?
Parce que je n’ai pas tout bien fait avant. En voulant les protéger, j’ai sans doute écarté mes proches de ma carrière de joueur. Je rattrape un peu le temps perdu, ils me voient épanoui. Mon discours n’est plus le même, j’ai plus de recul. Je ne cesse de leur dire que ce n’est pas grave ce qui va se raconter au stade, ce n’est pas grave qu’on critique papa. Après le match, papa sera là, quoi qu’il arrive, et tout ira bien. Aujourd’hui, je sens mes proches heureux. Je leur dois tout, je n’oublie rien. Ce sont eux qui me font apprendre des choses sur ma personne, qui me font progresser. Le mari, l’enfant, le frère ou le père ne fait pas que des choses bien, ils me le disent, ils ont ce droit. Cela ne peut qu’être bénéfique pour ma personne et, donc, pour mon travail. Car, le mien est principalement basé sur le relationnel.
Parvenez-vous à débrancher votre cerveau et à couper avec le football?
Non (rires). On m’a pourtant conseillé, voire même forcé de le faire. Je dois me dire que sans moi, le club vit. Il ne faut pas que je me donne une importance démesurée. Si demain je veux couper mon téléphone pour profiter de la famille ou aller jouer deux heures au padel, j’ai le droit, tout ira bien. Mon staff, qui est exceptionnel, me le permet. Je dois m’aérer l’esprit et garder une certaine fraîcheur pour prendre les meilleures décisions aux moments opportuns. Si tu ne prends jamais de recul, tu ne peux pas être toujours performant. A un moment, tu prends un mur à 200 et ça fait très mal en général.
Comment fonctionnez-vous avec votre staff?
J’échange énormément mais, au final, je tranche. Coach, il faut accepter la lumière et le tonnerre. Je dois donc assumer mes choix. Cela fait partie de notre job. Si tu veux que les gens autour de toi donnent le meilleur d’eux-mêmes, s’investissent à fond, tu te dois de les considérer, de les valoriser. Ici, c’est facile car ce staff est extraordinaire. Je ne me force pas à parler d’eux en bien. A mes yeux, les membres de mon staff sont tout aussi importants que moi, voire plus importants. La particularité du numéro un, c’est d’assumer en public ce qu’on fait en privé.
Didier Digard Photo Jean-François Ottonello.
Vous êtes invaincu en Ligue 1, Jim Ratcliffe a enfin vu le Gym gagner un match, l’Europe n’est plus inaccessible, vous lancez des jeunes : il n’y a aucune raison de changer de coach la saison prochaine, non?
Je préférerais que ce soit une affirmation (sourires). Je n’ai pas à me poser cette question.
Ce qui est sûr, c’est que vous faites tout pour rester sur le banc…
Mais c’est normal, non ? Un jeune qui débute chez les pros a envie de jouer le match d’après. Quand on t’offre une opportunité, il faut la saisir. Si tu n’en veux pas, c’est que tu es bête. On m’a donné cette chance d’entraîner l’OGC Nice en Ligue 1. Quand je suis sur le terrain, je veux gagner, donc, forcément je veux rester. C’est d’une logique implacable.
Ce que je peux assurer, c’est que lorsque j’ai pris ce poste, je ne me suis pas dit: “Vite, que ça s’arrête !” Je n’en fais pas une fixation mais si tu dis que ce n’est pas un objectif, tu es un menteur ou tu n’es pas un compétiteur, c’est peut-être pire.
Vous pensez entraîner jusqu’à quel âge?
A 60 ans, je ne serai plus coach. Je me connais, je mets un investissement de chaque instant dans ce que je fais. Si je veux être performant, je ne peux pas faire moins qu’actuellement. Cela me demande beaucoup de force. Ce sont aussi quelques sacrifices.
Entraîner ailleurs, c’est possible?
Je suis à Nice, j’ai le souhait de gagner tous les matchs et donc de prolonger l’aventure ici. Je ne me projette pas plus loin que ça mais je connais le foot… Mon envie, c’est de rester.
Avez-vous déjà eu des sollicitations?
Oui, mais je n’y prête aucune attention.
Le Digard joueur ressemble-t-il au Digard entraîneur?
(Il réfléchit) Je ne sais pas.
Vous affichez une sérénité à toute épreuve dans votre zone technique…
Il ne faut pas donner du grain à moudre aux autres. En tant que coach, tu représentes en grande partie l’image de ton club. Un joueur peut faire tout et n’importe quoi après un but, personne ne lui tombera dessus. Je ne ferai jamais de roulade après un but (sourires).
Votre relation avec le public niçois?
On se connaît depuis treize ans, le lien est fort. Nice, c’est Nice, un club, mon club, avec une forte identité, des supporters passionnés. Rien ne me procure plus de plaisir que de les voir heureux et fiers de se rendre au stade.
On a de grandes échéances jusqu’en juin, l’Europe notamment, on doit vivre cette aventure à fond, ensemble, sans calculer. J’ai envie de voir l’Allianz rugir et s’enflammer. Nice a tout pour être un grand club de Ligue 1, il faut en avoir conscience. C’est le moment rêvé pour remplir ce stade!