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«Parfois c’est Bernard Tapie, puis ce n’est plus vraiment lui»; INTERVIEW
FRANCE Jacques Séguéla, le communicant star des années Mitterrand, livre son regard sur la série Netflix de son fils Tristan, et sur cette époque dont il a été un acteur majeur
PROPOS RECUEILLIS PAR PAUL ACKERMANN , PARIS @paulac
Ça n’a pas manqué: la série «Tapie», sortie sur Netflix il y a une semaine, a fait réagir la famille du plus fantasque des businessmen français. Son fils, Laurent, critique notamment les «clichés» véhiculés et le manque de réalisme d’un biopic qui aurait mieux fait de le consulter, à son avis. Cette œuvre de fiction, saluée par la critique, est pourtant réalisée par Tristan Séguéla, fils de Jacques Séguéla, le communicant star, grand ami de Bernard Tapie. Nous avons donc demandé au père ce qu’il pensait de la série de son fils. Du haut de ses 89 ans et avec toute la subjectivité d’un paternel fier de son fiston, il nous répond sur les libertés de la fiction et sur cette époque, ainsi que sur ses grands personnages, qu’il a bien connus.
Qu’avez-vous pensé de la série de votre fils?
C’est le plus beau cadeau dont je pouvais rêver. Quand on connaît Tristan, c’est tout lui. La tendresse mêlée d’humour mais sans concession, avec une profondeur qui ne lasse jamais, sans pédantisme de l’image.
Est-elle fidèle au Bernard Tapie que vous avez connu?
Tristan annonce la couleur dès le départ en disant que seuls une moitié des événements décrits sont vrais. Il lui fallait ça pour exprimer son art et sa vision de la vie. Ce n’est pas un documentaire, c’est un biopic qui se veut littéraire. Et c’est le droit du poète de s’émanciper de la réalité. Laurent Lafitte y est pour beaucoup d’ailleurs. Lui aussi a tenu à rester l’acteur qu’il est sans se faire dévorer par le personnage. Il en résulte une sorte d’aller-retour, parfois c’est Tapie puis ce n’est plus vraiment lui, puis c’est à nouveau Tapie qui revient. Et on finit par avoir un personnage qui tient tout seul. Tous les grands biopics sont comme ça. Il y a une part de vérité et une part d’évasion, de création. Un exemple: Dominique Tapie avait un rôle de roc dans ce couple mais elle ne s’occupait pas du tout des affaires. En la montrant aux affaires, Tristan a voulu dire que sans Dominique, il n’y aurait pas eu Bernard. C’est elle qui donnait sa force au couple, une force qui les a tenus jusqu’au bout. C’était un amour complet, total. La partie fausse de la série donne du relief à la partie vraie de l’histoire.
Comment prenez-vous les remarques de Laurent Tapie, qui critique le manque de réalisme de la série?
Encore une fois, ce n’est pas un documentaire, c’est une œuvre, avec la possibilité et même l’obligation de s’échapper de la réalité tout en y revenant en permanence. Et puis ce n’est jamais contre Bernard. Tous ceux qui n’aimaient pas Tapie vont être obligés de l’aimer après avoir vu cette série. Et ceux qui aimaient Tapie vont l’aimer davantage. C’était mon ami de quarante ans, on pourrait dire qu’on a eu quarante ans de vie commune. Il n’y a pas une sortie médiatique sur laquelle il ne m’a pas demandé de l’aider. Rien ne m’aurait plus blessé que de voir mon fils réaliser une série qui mette à mal son image. C’est tout le contraire qu’il a fait: Bernard Tapie devient dans cette série le héros d’une époque de libération.
La relation entre François Mitterrand et Bernard Tapie vous semble-t-elle fidèle à la réalité?
C’est moi qui ai présenté Bernard Tapie à François Mitterrand, lors d’un déjeuner à la maison. Mitterrand séduisait Tapie, c’est la première fois que j’ai vu Bernard émerveillé comme un enfant devant quelqu’un.
Dans la série, la fascination va aussi dans l’autre sens, avec un Mitterrand qui défend Tapie presque jusqu’au bout malgré son entourage?
Je me souviens de déjeuners avec des ministres et Mitterrand à l’Elysée, pour parler de communication et de l’image du gouvernement. Le président leur disait: «Regardez Tapie, faites comme lui, demandez-lui des conseils!» C’est pour cela que Bernard s’est mis à dos tous les ministres, et finalement c’est comme cela que la politique a eu raison de lui.
Dans la série, la première rencontre entre les deux hommes ne se passe pas comme vous le racontez. Une manière d’éviter une sorte de conflit d’intérêts familial?
Oui, c’est normal. Tristan fait une petite référence à moi à un moment donné pour se débarrasser de ça, mais il n’allait pas faire la pub de son père. J’ai un fils qui est à la fois très pudique et très droit.
La série se termine sur un long échange entre Eric de Montgolfier et Bernard Tapie: le procureur dit au propriétaire de l’Olympique de Marseille à quel point son talent et son charisme ont été gâchés par son manque de morale. Vous en pensez quoi?
C’est l’apothéose de la série, un morceau de bravoure. On peut dire que ça n’a pas existé comme ça, peu importe, c’est ce qui fait la force de la série. Et, sur le fond, j’ai toujours pensé ça. Qu’il était extrêmement dommage qu’à force de dépasser la ligne, Bernard Tapie se soit égaré sur des chemins de traverse et ne soit plus jamais revenu sur l’autoroute.
«Rien ne m’aurait plus blessé que de voir mon fils réaliser une série qui mette à mal l’image de Bernard Tapie»
Le Temps