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À l'été 1992, pourquoi vendre Waddle et Mozer après Papin ?
Nous sortions d'un gros échec en coupe d'Europe, l'élimination à Prague avait laissé beaucoup de traces et quand nous nous sommes réunis, nous savions que l'histoire était terminée avec Jean-Pierre Papin, Bernard (Tapie) était d'accord. Après, nous avons voulu opérer un renouvellement d'effectif comme chaque année. Chris et Carlos n'étaient pas deux joueurs ordinaires, de gros titulaires très appréciés par le public. Mais nous avions discuté avec eux et estimé que c'était mieux ainsi. Carlos est retourné au Portugal, Chris en Angleterre, d'un commun accord, dans une atmosphère très positive entre nous. D'ailleurs, quand ces joueurs reviennent à Marseille, ils sont toujours aussi respectés.
Pour un nouvel entraîneur comme Jean Fernandez qui reprend l'équipe, n'est-ce pas un trop gros défi, de prendre la suite de Raymond Goethals, sans ces trois monstres sacrés ?
Oui, mais les joueurs qui les ont remplacés lors des trois années suivantes ont démontré qu'ils étaient à la hauteur des ambitions du club que Bernard avait fixées. Ils étaient soit internationaux, soit en passe de l'être, pas des joueurs quelconques. L'effectif se construisait ainsi. Entre 1989 et 1993, dans la politique de recrutement, on n'a pas fait souvent d'erreurs. Et c'est là que la saison se joue, en mai-juin. Avec Bernard Tapie, nous travaillions beaucoup pendant ces périodes-là. D'ailleurs, le succès, c'est le fruit du travail, de la professionnalisation du club pendant sept ans.
Comment est le moral, après Furiani et un Euro raté par les Bleus avec neuf Olympiens, en plus des départs de Papin, Waddle et Mozer ?
Il y a un élan, mais c'est plus difficile, car il y avait eu aussi l'échec contre le Sparta de Prague. Nous venions d'être champions pour la quatrième fois consécutive, mais il a fallu remonter tout le monde, staff, joueurs, personnel. Et ça, Bernard savait faire.
Croyiez-vous encore à une victoire en Ligue des champions ?
On ne peut pas programmer une victoire en coupe d'Europe. On voit que Barcelone a gagné sa première Ligue des champions en 1992 seulement. Une coupe d'Europe, ça ne tombe pas du ciel, il faut aller la chercher, bien travailler, bien recruter. C'est un ensemble de choses, pas uniquement la compétition, mais l'entourage, le travail à l'intérieur d'un club.
Il y a eu des échecs, des joueurs internationaux, arrivés en juin et vite repartis, comme Martin Vazquez et Omam-Biyik...
On s'est rapidement aperçu qu'ils n'entraient pas dans le moule. Ils ont vite quitté le club.
À l'intersaison, Bernard Tapie ne veut plus d'Éric Di Meco et il voudra se débarrasser aussi d'Alen Boksic après les premiers matches amicaux...
Bernard était parfois dans l'excès. Mais avec Raymond (Goethals), nous étions contre leurs départs. Nous avons eu des discussions avec Bernard et ils ont très vite fait partie du projet.
Comment se décide la titularisation de Barthez à la place d'Olmeta ?
Fabien était à Toulouse et Raymond Goethals m'avait dit : "Ce gardien m'a impressionné". Je suis allé à Toulouse, je leur ai laissé Éric Lada et sur mon épaule, j'ai pris Fabien Barthez. Là, nous nous sommes dit que nous avions le futur grand gardien français, sans savoir que ce serait même l'un des plus grands d'Europe. Les performances de Pascal Olmeta, notamment lors d'un match à Lens, ont conduit Bernard, encore une fois dans l'excès, à dire : "Il faut changer de gardien". Il a fallu annoncer à Pascal que contre Glentoran, il n'allait pas jouer.
Et quand je revois Pascal aujourd'hui, il reconnaît volontiers que si ça n'avait pas été moi qui lui annonçais qu'il perdait sa place, il ne sait pas quelle aurait été sa réaction. Tout le monde était d'accord mais personne n'osait le lui dire. J'ai donc annoncé la mauvaise nouvelle à Pascal qui l'a encaissée comme un professionnel.
Les premiers mois de la saison ont été tellement difficiles qu'une défaite à domicile contre Nantes avait abouti à des heurts avec des supporters...
Il ne faut pas croire que nous avons eu des saisons de tout repos. La concurrence de l'époque, contrairement à aujourd'hui, était une vraie concurrence. Il y avait Monaco, Paris, Nantes, Auxerre. Gagner le titre était une vraie compétition. Nous n'étions jamais sûrs d'être champions. Les débuts de saison ardus faisaient partie du sport. Nos titres, nous sommes allés les chercher.
Le symbole, c'est PSG-OM, très violent, où vous démontrez surtout votre solidité...
Nous gagnons par le mental. Ce match hors normes est resté dans l'histoire. On le cite souvent pour sa grande agressivité sur le terrain. Autour, entre joueurs, dirigeants, le contexte était très spécial et nous avons vu que nous avions une équipe de costauds. Cet épisode a marqué les joueurs des deux camps.
Quand vous voyez la composition des groupes en Ligue des champions, en face, il y a Milan, PSV, Göteborg, Porto et vous, vous prenez Glasgow Rangers, FC Bruges et CSKA Moscou. Vous êtes contents ?
Nous aurions pu tomber plus mal. Mais quand on a pour objectif de gagner une coupe d'Europe, les groupes, c'est bien de les passer, mais après, il faut aller au bout et on n'a pas droit à l'erreur et au final, on doit battre les meilleurs.
Le match à Glasgow, c'est une bonne entrée en matière ?
Un match déterminant pour la suite de la saison, à l'extérieur, sous la pluie, dans un stade en folie, un match physique où on arrache le nul. On en a tiré beaucoup de positif parce qu'on a senti un mental très fort.
Et pourtant, en rentrant, vous voulez de nouveau changer de gardien, remettre Olmeta à la place de Barthez. Mais Olmeta se casse la jambe à l'entraînement...
C'est l'histoire d'une vie. Fabien reconnaîtrait volontiers qu'à Glasgow, il n'avait pas satisfait Bernard. Mais Pascal se casse la jambe au Vélodrome à l'entraînement, la veille du match suivant. Fabien reste donc dans les buts et entame sa grande carrière. Un coup très dur pour Olmeta. Comme quoi, le foot n'est pas un livre où on peut tout écrire à l'avance. Il y a des aléas, notamment les blessures. Peut-être que sans cette blessure de Pascal, Fabien n'aurait pas fait la même carrière...
Raymond Goethals reprend les rênes de l'équipe en novembre. Comment ça se passe ?
Il était toujours au club. C'est un entraîneur, un homme de terrain, il ne peut pas être directeur sportif. Jean Fernandez avait fait du bon boulot, il faisait partie de l'histoire du club. Il devait supporter une pression terrible. Peut-être que le retour de Raymond a été un soulagement.
Vous avez été le premier à prendre contact avec Raymond Goethals en 1990. Il est devenu, entre 1991 et 1993, une légende olympienne. Comment est-il arrivé à l'OM ?
C'est une histoire unique. Il entraînait Bordeaux avec qui la rivalité de l'OM était pire que celle avec le PSG aujourd'hui. Quand Bernard me dit qu'il faut qu'on trouve un entraîneur, il suit Tomislav Ivic et moi, Raymond Goethals. Quand je le contacte, il me répond : "Mais petit, tu te rends compte ! L'OM et les Girondins sont rivaux, si on sait que nous sommes en contact, ça va faire un scandale."
Nous nous mettons donc d'accord pour nous rencontrer à mi-chemin, à Carcassonne. Une histoire qui me fait encore rire aujourd'hui. Je réserve un petit hôtel de routiers à Carcassonne où Raymond se pointe avec son adjoint belge, Lippens. La dame de l'hôtel voit arriver ces trois hommes qui prennent une chambre et elle nous réclame de payer d'avance, parce qu'elle se demandait vraiment ce qu'on allait faire tous les trois dans une petite chambre ! J'explique donc à Raymond que Bernard cherche un entraîneur pour gagner la coupe d'Europe. Il me répond : "Jean-Pierre, si un entraîneur te dit qu'il va te la faire gagner, ne le prends surtout pas, parce qu'il ne l'a jamais gagnée. Moi, je l'ai gagnée, la coupe des vainqueurs de coupe, avec Anderlecht, je sais combien c'est dur, alors je ne te dis pas que je vais la gagner encore."
En rentrant, je vois Bernard qui me dit qu'Ivic l'a assuré qu'il pouvait la lui faire gagner. Je lui dis alors que je suis favorable à Raymond. Et on prend Raymond. Mais ce rendez-vous de Carcassonne, dommage qu'il n'ait pas été immortalisé par des images...
Vous vous qualifiez de nouveau pour la finale. Quelle leçon avez-vous retenue de celle perdue en 1991 à Bari ?
Les leçons, il faut toujours les retenir et nous l'avons fait dans la préparation. Après, il ne faut pas non plus se trouver des raisons à une défaite, en disant que nous avons perdu une finale parce que nous étions dans un hôtel qui ne nous convenait pas.
En 1991, à Bari nous étions dans un camp retranché, en 1993, dans un Club Med. Au lieu de l'ordre, de l'absence de visites, on a produit l'inverse, on faisait les footings autour de l'hôtel en rigolant, Chris Waddle est venu nous rendre visite, les journalistes étaient là. Aujourd'hui, si on dit qu'on va préparer une finale de coupe d'Europe comme ça, personne ne va le croire. Bernard s'est même entraîné avec moi, la veille de la finale...
Une décontraction qui n'empêchait pas le sérieux...
Avec Raymond, dans mon bureau nous avions installé un paperboard sur lequel il y avait tous les joueurs de Milan, l'équipe type. Après chaque entraînement, il passait dans mon bureau et on travaillait sur la finale. Je l'ai vu dessiner des schémas pendant des heures. Je me souviens aussi que nous étions allés voir Milan passer cinq buts à Naples en championnat et dans la chambre d'hôtel, je me gavais de biscuits, en me lamentant : "Mais comment on va faire contre une équipe pareille ?" Raymond me calmait : "Tu es trop nerveux, Jean-Pierre, ne t'inquiète pas, on va gagner ce match."
Dans ce Club Med, la veille de la finale, vous surprenez Barthez réveillé à 2 h du matin ?
Il ne dormait pas. Mais il était tellement décontracté. Le stress, il ne connaissait pas ! Il ne savait pas ce que c'était. Il préparait la finale de la coupe d'Europe comme il préparait un match amical. Ça a toujours été sa force, il supportait la pression. Il s'était même endormi dans le car en allant au stade. Un tel personnage, il ne faut pas chercher à le formater autrement. Fabien, c'était l'insouciance. Sa carrière en témoigne : ça ne l'a pas gêné.
Sa première mi-temps contre Milan en est la preuve...
C'est le but qu'on marque qui nous fait gagner. Mais Fabien a commencé par nous empêcher de perdre. Il nous a fait quelques arrêts décisifs. S'il n'est pas là, à la mi-temps, c'est terminé. Il a fait une très très grande finale.
Sur les photos de la finale, on vous voit côte à côte sur le banc avec Raymond Goethals. Vous tenez un talkie-walkie...
Raymond vivait seul à l'hôtel à Marseille. Nous étions proches. Il venait souvent manger à la maison, puis on jouait à la belote. C'était quelqu'un de tactile, avec nous, avec les journalistes. Pendant le match, il m'a broyé la main. Et dans l'autre main, je tiens ce talkie-walkie qui fait partie de l'histoire. J'étais ainsi en liaison avec Bernard qui était dans la tribune. On voulait échanger. Quand Basile (Boli) se blesse au genou, il veut sortir, Raymond hésite, Bernard me dit : "Il reste", je m'approche donc de Basile pour le lui dire.
Et Raymond ajoute : "L'autre con a dit que tu ne dois pas sortir"...
Oui (rires), c'était sur l'impulsion. À la marseillaise, sans agressivité... À l'arrivée, c'est une décision qui pèse lourd. Nous sommes en finale de la coupe d'Europe, notre défenseur central veut sortir alors qu'on est dominé, c'est lourd comme choix à faire. Bernard a voulu qu'il reste, moi aussi.
Le but, vous le voyez, vous le revoyez dans la tête ?
Nous sommes dominés. On espère arriver 0-0 à la mi-temps. Ce but, c'est une délivrance. Et puis, c'est juste Basile. Qui devait sortir, qui reste, qui marque. Il y a un concours de circonstances qui fait qu'on se dit que c'est notre soir. Comme à Bari, on s'était vite dit que ça ne l'était pas. C'est la beauté du foot.
Et à la fin, comment ça se passe ?
Avec Bernard et Raymond, nous sommes tous les trois enlacés. On sait le travail effectué. Je me revois comme supporter en 1965-1966, dans le virage nord sous le tableau d'affichage. La coupe d'Europe était inaccessible. Et là, j'étais dirigeant et on l'avait. Et puis, je voyais ce public, ces Marseillais heureux. Des instants grandioses. C'est le plus beau moment (le retour à Marseille). Chez nous, dans ce Vélodrome rempli d'histoire, c'est inoubliable, le coeur se renverse.
Le match contre PSG, c'est la cerise sur le gâteau ?
On sait qu'il y a un grand match dans un stade comble. Nous étions dans une quinzaine d'euphorie totale.
Malheureusement, il y a eu la cassure, l'affaire VA-OM. Quand avez-vous senti que ça allait "péter" ?
Je sentais les jalousies et cette histoire au-dessus de notre tête qui allait mal tourner. Effectivement, nous avons commis une erreur, mais je pense qu'elle aurait pu être réglée autrement. Sans ces décisions aussi drastiques à l'encontre du club. Nous, pourquoi pas ? Mais le club et les joueurs, non. On les a empêchés de jouer la coupe intercontinentale, alors que le match de Valenciennes n'avait rien à voir. Aujourd'hui quand je revois Galliani, alors mon homologue du Milan AC, il me dit que dans ces années-là, Milan et Marseille étaient les deux capitales du football européen. C'est que l'image de l'OM demeure. On peut être fier. Il y a certes une tache, mais il faut l'assumer.
Vous avez mis combien de temps avant de revenir au stade, après les procès et la dépression ?
Ça a été dur parce que j'avais consacré beaucoup de ma vie à l'OM où j'étais entré en 1981. Après cette affaire, ça a été difficile de revenir. Le temps a effacé les choses.
Au moment de leur mort, Raymond Goethals et Bernard Tapie ont reçu de beaux hommages...
Mérités. Raymond a oeuvré pour l'OM. Un grand connaisseur, un grand professionnel. Les deux grands entraîneurs qui me restent à l'OM, ce sont Gérard Gili et Raymond Goethals. Ils ont marqué l'histoire. Quant à Bernard, sans lui, nous n'aurions jamais gagné la coupe d'Europe. Grâce à lui, Marseille a eu un élan très positif. Tous ceux qui ont connu cette période ont été marqués.
Vous étiez totalement réconciliés ?
Bernard me disait souvent de passer le voir, nous nous appelions, nous parlions de l'OM. Avec Gérard Gili, nous étions allés chez lui à Paris, rue des Saints-Pères, quand il était malade. Nous sommes tombés dans les bras l'un de l'autre...
La Provence