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L'avenir du football menacé par le désintérêt des jeunes ?
Argument avancé par les partisans de la Super Ligue européenne, le moindre intérêt des jeunes pour le football est moins évident qu'il n'y parait.
Ah, ces jeunes... Florentino Pérez, président du Real Madrid et chef de file des promoteurs de feu la Super Ligue européenne (ESL), a tenté de convaincre que ce projet rival de la Ligue des champions visait à « sauver le football », plombé par le Covid-19 et... le désintérêt des plus jeunes. « Les jeunes ne s'intéressent plus au football, avait affirmé le dirigeant le 19 avril. Pourquoi ? Parce qu'il y a beaucoup de matches de mauvaise qualité et qu'ils ont d'autres plateformes sur lesquelles se distraire », a-t-il dit en pensant notamment à l'e-sport (voir par ailleurs).
Quelques semaines plus tôt, Andrea Agnelli, autre meneur des frondeurs, président de la Juventus Turin et encore à l'époque de la puissante ECA, l'Association européenne des clubs (il en a démissionné le jour du lancement de l'ESL), avait exprimé la même inquiétude quant à l'appétence des jeunes pour le football. « La génération Z (née entre 1997 et 2012) pourra payer (des abonnements télé) dans moins de cinq ans. Mais ce que nous lui offrons aujourd'hui correspond-il à ce qu'elle veut ? » « J'ai cinq enfants d'âges différents et je regarde leurs comportements, confiait-il le 27 janvier lors de l'événement annuel organisé par le think tank français News Tank. Ils n'ont pas la patience de rester 90 minutes à regarder un match, on doit s'adapter aux habitudes des futurs supporters. »
Le 8 mars, en marge d'une assemblée générale de l'ECA, Agnelli poursuivait sa réflexion à haute voix en lançant l'idée d'un abonnement TV limité... au dernier quart d'heure des matches, comme cela est possible en NBA depuis 2018. « L'attention des jeunes d'aujourd'hui et des consommateurs de demain est totalement différente de celle que l'on avait quand j'avais leur âge », justifiait l'entrepreneur âgé de 45 ans.
Bien qu'hostile pour sa part à la Super Ligue, Gerard Piqué, le défenseur du FC Barcelone et homme d'affaires, à l'origine de la réforme controversée de la Coupe Davis, est sur la même ligne. Il estime lui aussi que « les jeunes ne consomment plus le football comme avant ». « Ils font des choses de courte durée, c'est difficile pour eux de se concentrer durant un match entier, a-t-il dit récemment sur la chaîne Movistar. Il faut s'adapter en essayant de changer. »
Dimanche soir, le final haletant de Monaco-Lyon (2-3), avec trois buts dans les quinze dernières minutes, a pu apporter de l'eau au moulin des partisans des « choses courtes ». Mais aimer le foot, n'est-ce pas aussi savoir s'ennuyer pendant les soixante-quinze premières minutes - ce qui n'était pas le cas au stade Louis-II ?
« Il faut se méfier des idées préconçues sur les gamins, prévient Philippe Bailly, président de l'agence NPA Conseil. Tout le monde a pensé que l'application Free pour la Ligue 1 allait cartonner, que c'est comme ça qu'ils ont envie de regarder le foot aujourd'hui, mais ça n'a pas pris. »Comme révélé en effet par L'Équipe en février, le service de l'opérateur télécoms, payé 42 millions d'euros hors taxe par saison pour l'ensemble des buts et des meilleures actions en léger différé, n'a pas encore trouvé son public et est resté gratuit.
Le spécialiste des médias rappelle que « le football a laissé tomber la mort subite (le but en or censé revigorer le jeu offensif en vigueur de 1993 à 2004) ». « Rien n'indique clairement non plus que les jeunes sont moins sensibles que les autres à la dramaturgie d'un match, avec ses pleins et ses déliés. » « Les gamins sont des affectifs, ajoute-t-il. Réduire la proximité avec leurs équipes de coeur à travers une Super Ligue serait le meilleur moyen de les perdre. »
Selon la FFF, la pratique du football conserve un bon niveau chez les 15-24 ans en France. Le nombre de licenciés a sensiblement augmenté dans cette tranche d'âge comme dans toutes les autres après les Mondiaux 2018 et 2019, même si la part des 15-24 (et des 25-34) a un peu baissé en proportion.
Reste que les interrogations sur le public du football de demain ne sortent pas de nulle part. Plusieurs études, dont l'une, intitulée « Les supporters du futur » et livrée en août 2020 par les analystes britanniques de MTM Sport à l'ECA, a sans doute nourri les discours du duo Pérez-Agnelli. Elle montre que les 15-24 ans manifestent un moindre intérêt pour le football que les autres générations (28 % contre 38 % de la population générale) selon MTM Sport, qui a sondé dans 7 pays dont l'Inde et le Brésil.
Le trop grand nombre d'abonnements télé nécessaires freine le téléspectateur
Mais la conclusion sur cette « génération manquante » reste prudente. « Son moindre intérêt est-il caractéristique de cette génération en particulier ou s'agit-il d'une attitude temporaire ayant toujours existé [à cet âge] ? »
Si l'audience générale moyenne des matches de L1 sur Canal+ a chuté de moitié en dix ans, selon une enquête de Capital de janvier dernier, il faut tempérer car l'univers concurrentiel a beaucoup évolué, entre montée en puissance de la TNT et émergence des plates-formes type Netflix. Dans ce contexte, les 15-24 ans semblent avoir suivi le mouvement, ni plus ni moins. Selon Médiamétrie, qui mesure les audiences, cette génération s'est autant passionnée que les autres pour le Mondial 2018 ou la dernière finale de la Ligue des champions PSG-Bayern, également diffusée... en clair. Hypothèse souvent avancée : la dispersion de l'offre payante sur de multiples canaux et l'addition des abonnements freinent la consommation télé chez les jeunes.
Outre l'accessibilité des matches, les études convergent pour estimer qu'une autre clé de l'audience chez les jeunes réside dans les possibilités d'engagement, comme le permet par exemple la plate-forme de streaming en direct Twitch - connue pour la diffusion de parties de jeux vidéo ou d'e-sport et consommée surtout par les jeunes - où de nombreuses stars (Neymar, Agüero...) et clubs (OM, PSG, ASSE...) réalisent de belles audiences en mixant à l'écran images (matches, entraînements, conférences de presse...) et fil de discussion avec les internautes.