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La mort de la Super Ligue ou l’hypocrisie du football
Si le projet semble en passe de tomber aux oubliettes, le monde du ballon rond navigue toujours entre les mensonges et les inégalités.
La supercherie s’est dissipée encore plus vite qu’elle n’est apparue. Annoncée dimanche, la Super Ligue européenne avait été l’équivalent d’une bombe dans le monde du football. Deux jours plus tard, qui ont vu se multiplier les oppositions des supporteurs, des anciens joueurs et même les coachs de Liverpool, Jürgen Klopp, et Manchester City, Pep Guardiola, deux clubs parmi les douze sécessionnistes, cette compétition fermée aux moins riches est dans les limbes.
On a très vite senti que l’affaire battait de l’aile, encore plus après l’interview lunaire et contreproductive de Florentino Pérez, président du Real Madrid et véritable architecte du projet, au Chiringuito, une émission espagnole qui ferait passer le Canal Football Club de la chaîne cryptée pour Bouillon de culture de Bernard Pivot. Et les clubs anglais ont tour à tour annoncé leur retrait mardi soir, avant que l’Inter ne les suive et que le groupe des félons restants a annoncé dans la nuit de ce mercredi souhaiter «reconsidérer les meilleures étapes qui permettront de redessiner le projet».
Ce mercredi matin, la chose est désormais entendue : la Super Ligue, présentée comme une révolution par ses créateurs, est un projet mort-né. Les riches possédaient déjà tout ou presque dans le football, ils ont voulu s’aventurer encore un peu plus loin dans la mine d’or. Et le coup de grisou a été violent. Cet échec est un succès pour le football. La ligue fermée est un non-sens de ce côté de l’Atlantique, eu égard à la construction et l’organisation du ballon rond depuis plus d’un siècle. Les pressions en Angleterre des supporteurs, virtuelles mais aussi physiques, ainsi que les éditos enflammés à travers le Vieux Continent ont eu raison de la cupidité de certains. Arsenal s’est même excusé lundi soir dans un communiqué d’avoir eu cette idée saugrenue de vouloir prendre cet aller simple vers l’indignité.
«Le football appartient à tout le monde»
Mais que reste-t-il du football ? La séquence n’est pas la fin d’un film américain, où les gentils retournent à une vie normale et vertueuse. L’hypocrisie des acteurs du foot, en premier lieu la Fifa et l’UEFA, qui dirigent respectivement les fédérations mondiale et européenne, fait mal à ceux qui suivent ce sport au jour le jour, et qui ont donc dû subir les trahisons, les mensonges, le pouvoir de l’argent. La nouvelle formule de la Ligue des champions, votée lundi, ressemble d’ailleurs peu ou prou à la Super Ligue, et les inégalités entre championnats mais aussi clubs d’une même compétition vont se poursuivre, voire s’accentuer. Les faux-semblants trônent plus que jamais dans le football professionnel, et voir Ceferin ou Infantino, les boss des deux institutions, se présenter en défenseurs du foot populaire fait rire à défaut de pleurer. On attend d’ailleurs de voir si des contreparties ont été négociées entre les douze dissidents et l’UEFA.
«Tu empêches les petits clubs de se créer un chemin, le football appartient à tout le monde. C’est comme dire à un fils d’ouvrier qu’il ne sera jamais médecin ou avocat», a tenté mardi Roberto De Zerbi, le coach de Sassuolo, avant d’affronter le sécessionniste AC Milan. On invite l’Italien à relire Pierre Bourdieu. Il pourra comprendre la notion de reproduction sociale, que les fils d’ouvriers deviennent majoritairement des membres des classes populaires, tout autant que Lorient ou Sassuolo échouent à se hisser durablement dans la crème des équipes. Il y apprendra aussi que les dominants aiment à glorifier les exceptions, qui parviennent de temps en temps à monter dans l’ascenseur social, afin de légitimer leur système. Et il comprendra alors à quel point cet attachement des fans de foot au «possible», que le projet des douze avait annihilé, ne signifie pas une croyance dans l’égalité des chances du système actuel. La Super Ligue est morte, voilà le football professionnel de retour dans son monde cupide et imparfait.
par Damien Dole
publié le 21 avril 2021 à 7h32