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Entretien exclusif - Rudi Garcia : «Juninho a fait des choses dans mon dos»
Rudi Garcia est revenu sur son expérience à la tête de l'OL. L'ancien entraîneur rhodanien estime que Juninho, son directeur sportif, ne lui a pas apporté le soutien attendu.
L'entraîneur de l'OL Rudi Garcia avec le directeur sportif du club Juninho, avant le 8e de finale retour de Ligue des champions 2020 contre la Juventus. (P. Lahalle/L'Équipe)
Rudi Garcia ne sera pas resté au-delà de son année et demi de contrat signée au départ de Sylvinho en octobre 2019. Il quitte le club sur une quatrième place, juste au pied du podium. Il n'a donc pas atteint l'objectif annoncé au début de saison, ce qui est un échec national, mais il aura permis à l'OL d'accrocher pour la deuxième fois de son histoire les demi-finales de la Ligue des champions. Garcia a accepté pour L'Équipe de revenir sur son passage sur le banc lyonnais et d'expliquer notamment les problèmes relationnels rencontrés avec Juninho, son directeur sportif, qui ont pu avoir, à leur manière, un impact sur les résultats...
« Avez-vous vécu cette fin de saison comme un échec personnel ?
J'assume évidemment ma part. Si on n'est pas en Ligue des champions, je suis en partie responsable mais la saison, commencée le 8 juin, reste excellente avec la finale de la Coupe de la Ligue (perdue aux tirs au but contre le PSG, 0-0, 5-6 aux t.a.b., le 31 juillet 2020) et la demie de C1 (perdue contre le Bayern Munich, 0-3, le 19 août) même si j'aurais aimé avoir ces 79 points et être troisièmes. Ça aurait été exceptionnel.
Vous ne disputiez pas de Coupe d'Europe et le PSG a perdu 8 matches : est-ce que ça n'ajoute pas aux regrets ?
Je pense qu'on aurait pu faire mieux et même mieux que troisièmes. Mais si on finit quatrièmes, c'est le reflet de notre saison même si on était à 45 minutes de disputer la C1. Ce qui est sûr, c'est que j'ai aimé le club, son président et la compétence de Vincent Ponsot (directeur général du football) avec un des stades les plus beaux d'Europe. Quand on a vécu la ferveur contre la Juve (1-0, le 26 février 2020 en huitièmes de finale aller de la C1), on se dit que si nos supporters avaient été là... Mais c'était pour tout le monde pareil.
Vous n'avez pas été bien accueilli pourtant...
J'ai été mal accueilli par certains mais je croyais qu'après les Coupes et le titre de champion d'automne, ça changerait. Il y a des minorités bruyantes mais en ville les messages reçus étaient vraiment sympas. J'ai aussi la satisfaction d'être la deuxième équipe de France en termes de temps de jeu pour les jeunes. C'était l'un des objectifs, les lancer et favoriser ceux qui ont une valeur marchande mais aussi faire jouer les recrues brésiliennes et au bout d'un moment, il y a la quadrature du cercle...
Mais c'est la sixième fois de suite que vous ratez la Ligue des champions (AS Rome 2016, OM 2016-2019, Lyon 2019-2021)...
... Dire ça c'est soit de la subjectivité, soit de la malveillance. Si on dit que je n'ai pas participé à la qualification de la Roma en Ligue des champions avec 19 journées et donc que mes points n'ont pas été utiles lors de ma troisième année (le club italien a terminé 3e en 2015-2016 avec 80 points et était 5e avec 34 points au moment où Garcia a été limogé)... Je fais le pompier de service quand je prends l'OM 12e (automne 2016) et qu'on finit 5e. J'arrive à Lyon, qui est à un point de la relégation - et avec seulement 28 journées (la saison a été arrêtée en mars en raison de la pandémie de Covid-19) - je dois disputer la C1 (Final 8 à Lisbonne en août)... C'est de la mauvaise foi.
« Après deux ou trois victoires en novembre, le directeur sportif ne venait plus me féliciter. J'ai découvert que quand les recrues brésiliennes ne jouaient pas, il n'était pas heureux. Il aurait préféré gagner mais avec ses joueurs. »
Qu'est-ce que qui aura marqué votre passage ici ?
La tragédie de mon passage ici, c'est le décès de Gérard Houllier (le 14 décembre 2020), humainement et professionnellement. Ça a été un moment très difficile sur un plan personnel. Et il était capital dans l'équilibre du club. Il savait mettre de l'huile dans les rouages. Il était celui qui pouvait expliquer le rôle de directeur sportif à Juninho qui manquait de cette expérience. Il est capital dans un club que tous les gens soient les uns derrière les autres comme on l'a vu à Lille. Ici, il y avait trop de dissensions dans ma relation avec Juni.
Que s'est-il passé réellement avec Juninho ?
Ça s'est bien passé au début. Les choses ont commencé à se gâter sans que je m'en aperçoive. Après deux ou trois victoires en novembre, le directeur sportif ne venait plus me féliciter. J'ai découvert que quand les recrues brésiliennes ne jouaient pas, il n'était pas heureux. Il aurait préféré gagner mais avec ses joueurs. Il s'est beaucoup investi, et c'est une qualité, mais je pense certainement qu'il a dû leur promettre d'être titulaire. On en a discuté, il m'a dit que si c'était à refaire, il ne s'avancerait pas sur ces choses-là. Mais ça aurait freiné l'éclosion de certains jeunes comme Caqueret en particulier. L'avis de Juni était que Jean Lucas était meilleur. Le problème a dû venir de là au départ. Et les choses se sont vite dégradées. À la trêve hivernale, je suis allé voir Vincent Ponsot, et je lui ai dit : ''Qu'est-ce qui se passe ? Que cherche Juni, à prendre le poste ? Ce n'est pas possible de continuer comme ça. Je lui laisse les clés s'il les veut.''
S'il avait fallu démissionner, je l'aurais fait alors que je pense que le club me correspondait totalement. J'ai posé la question dans mon entourage et Vincent m'a dit non. Mais déjà, c'était compliqué. Et on est leaders en décembre... Mais il s'était déjà fâché avec tout le monde, avec Bruno Cheyrou (responsable du recrutement), en qui il voyait peut-être un concurrent. Avec Vincent Ponsot en septembre et c'est même moi qui ai calmé le jeu avec Juni pour recoller les morceaux. Je lui disais que Bruno était à sa disposition etc. Et demandez même du côté du centre de formation...
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Comment se matérialisaient ces difficultés ?
D'abord, quand on ne vous félicite plus après des victoires, vous comprenez... Et quand j'allais le voir en seconde partie de saison, on ne parlait que de composition, de tactique mais pas de projet de club, de recrutement, ou de politique de jeunes. Tout ce qui incombe à un directeur sportif. Je pense qu'il deviendra un très bon directeur sportif mais il lui faudra de l'expérience. Il est encore trop dans le mode joueur, dans la prise de décision impulsive. Il n'aimait pas l'attitude de certains joueurs mais ne se rendait pas compte qu'il faisait la même chose avec les joueurs sud-américains.
C'est-à-dire ?
Quant à la 16e journée, Juni accorde à Jean Lucas de repartir au Brésil deux matches avant la fin de l'année. Il dit : ''il ne joue pas assez, Caqueret joue à sa place etc.'' Mais il me manquait des joueurs au milieu et je ne voulais pas. C'est Jean-Michel Aulas qui me le récupère. Mais Juni l'envoie ensuite au Brésil pour la dernière journée sans me le dire Fmais j'avais alors récupéré du monde... Je découvre des choses comme ça. Il a fait des choses dans mon dos, parlé aux joueurs dans mon dos, laissé certains critiquer le coach comme Jean Lucas. Il a manqué d'objectivité et de traitement équitable.
Regardez l'affaire Houssem Aouar (suspendu pour avoir refusé de s'entraîner après un match à Angers) : il est suspendu alors que j'avais proposé une forte sanction financière mais pas sportive. Et c'est déjà arrivé que d'autres joueurs aient connu des moments comme ça dans la saison mais on ne les a pas sanctionnés car ils étaient plus proches du directeur sportif... Pour un coach, c'est compliqué... Avant le match à Monaco (3-2, le 2 mai), il avait même la volonté d'exclure Aouar, Cherki et Depay du groupe. Heureusement que le président a été ferme et m'a laissé ces trois joueurs à disposition. Sinon on n'aurait pas marqué le premier but et le troisième but puisque Depay et Cherki n'auraient pas été là... Mais je mets ça sur le fait qu'il soit trop épidermique, trop à fleur de peau.
« Il fallait garder tout le monde concerné contrairement aux avis trop tranchés de Juni »
Ce n'était toutefois pas une guerre ouverte à la Anigo-Deschamps à l'époque de l'OM ?
Non, pas du tout, c'était plus froid. Et encore, on a collaboré au mieux puisque le président était présent. Mais il y a des choses que les joueurs sentent, ils ne sont pas dupes.
Certains vous ont parlé ?
À mots couverts. J'ai tout fait pour accompagner Rayan car si la N2 avait continué, certains en interne voulaient qu'il retourne s'y entraîner... Maxence n'aurait pas beaucoup joué non plus. Je n'oublie pas que je dois m'appuyer sur une Académie de haut niveau. Rayan a fait ses 30 matches dans la saison, Maxence a explosé. Melvin (Bard), Sinaly (Diomandé) ont joué et ça aurait été à leur détriment. Attention, j'étais bien content de voir l'arrivée de Bruno Guimaraes (au mercato d'hiver 2020) et de Paqueta (l'été dernier) et c'est Juni, il n'y a rien à dire. Ce sont des bons choix. Paqueta a été indispensable et s'est imposé. Mais quand Bruno a un peu moins joué, ça a été un souci... J'ai composé avec tout ça. Ça ne met pas de l'harmonie en interne, j'ai beaucoup soutenu Rayan, j'ai beaucoup parlé avec Houssem (Aouar). Il fallait garder tout le monde concerné contrairement aux avis trop tranchés de Juni.
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Et comment étaient vos relations avec Jean-Michel Aulas ?
Il a toujours tout su. Je l'ai eu quasiment tous les soirs au téléphone. Je l'ai informé de tout. Lui est intelligent, a de la bouteille. Et j'aurais tellement aimé le laisser en C1. Je ne peux plus rien changer mais humainement et professionnellement, j'ai découvert un homme incroyable.
Il aurait pu trancher en votre faveur ?
Non, jamais. Juni est une idole du club, c'était un formidable joueur et j'espère qu'il sera un grand directeur sportif. Je n'allais pas être l'homme qui a fait partir Juni. Je le répète, j'aurais aimé un Houllier pour l'aider. C'est comme ça... On était pourtant partis sur de bonnes bases avant ces histoires Jean Lucas puis Bruno Guimaraes mais c'étaient mes choix sportifs. Et je ne dis pas que j'avais tout bon.
Quels sont vos regrets ?
C'est le propre d'un coach d'en avoir. Après chaque match on en a si ça ne fonctionne pas. Parfois, ça se joue à pas grand-chose comme contre Lille. Et puis même avant Nice (2-3, dimanche), voir que Christophe Revel (entraîneur des gardiens), qui a fait un travail extraordinaire, allait partir... Quand tu joues une place en C1 et que tu vois ça l'après-midi du match et qu'on écrit que c'est le gardien qui l'a demandé... Est-ce que ça ne joue pas sur l'équilibre psychologique du match d'Antho (Anthony Lopes) ? Je n'en sais rien. Mais c'est une erreur de management.
«Il réagissait comme un coach. Depuis novembre, il a mis des coups francs contre son camp. J'admire le joueur mais le directeur sportif a manqué de réflexion avant d'agir. »
En septembre, on avait écrit dans L'Équipe que vous partiriez...
Je n'étais au courant de rien à cette époque. J'ai eu confiance dans le président et on a toujours fait ce qu'on s'est dit. Même si je savais que je n'avais pas que des amis en interne... Moi, c'est à partir de novembre que ça a commencé, quand on a gagné. Le pire, c'est que Juni m'a soutenu au début de saison, il était là quand on faisait des nuls en série, il m'a même défendu publiquement.
Jean-Michel Aulas a apaisé les tensions entre Rudi Garcia et Juninho. (A. Martin/L'Équipe)
Jean-Michel Aulas a apaisé les tensions entre Rudi Garcia et Juninho. (A. Martin/L'Équipe)
Vous vous parliez quand même ?
Oui je l'informais de tout. Je continuais à envoyer la composition d'équipe le jour du match. Je n'ai rien contre lui. Je n'ai pas bien compris surtout. On aurait pu échanger sur nos différends mais si c'est marcher sur les plates-bandes de l'autre, ce n'est pas possible. Il réagissait comme un coach. Depuis novembre, il a mis des coups francs contre son camp. J'admire le joueur mais le directeur sportif a manqué de réflexion avant d'agir.
Une aventure se termine. Comment envisagez-vous la suite ?
On va voir. Il n'y a pas beaucoup de clubs qui m'intéressent. On attendait la fin des Championnats, il y a des contacts. Ce sera un club en C1 ou qui la vise. Mais c'est du 50/50 : je peux aussi ne pas entraîner. Je suis assez difficile sur le projet. Mais je souhaite aussi le meilleur à l'institution OL, son président le mérite. »