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Des ogres privés de festins
Le Barça et le PSG font partie des gros clubs européens qui souffrent beaucoup de la crise sanitaire, mais cette saison devrait être pour tous pire que la précédente. Jean Le Bail
Tous souffrent mais pas tous autant. Dans une Europe du foot que la pandémie pourrait saigner « de 6,5 à 8,5 milliards d’euros sur 2020 et 2021 », selon Andrea Agnelli, le patron de la Juventus et de l’Association européenne des clubs (ECA), les dix écuries les plus riches parmi celles présentes en 8es de finale de la Ligue des champions (FC Barcelone, Real Madrid, Bayern Munich, Liverpool, Manchester City, PSG, Chelsea, Juventus, Borussia Dortmund et Atlético de Madrid) connaissent, comme les moins fortunées, une saison financière 2021 encore pire que la précédente.
Même un club parmi les plus résilients comme le Bayern, champion d’Europe en titre, n’en mène pas large. « Nous nous attendons à une baisse considérable de nos revenus en 2020-2021, possiblement à trois chiffres, si nous devons continuer à jouer à huis clos pendant une longue période », a prévenu Jan-Christian Dreesen, l’un des vice-présidents du club lors de la présentation, en décembre, d’un bilan 2019-2020 plutôt atypique dans un paysage dévasté : baisse limitée des revenus (– 4 %) et maintien d’une petite profitabilité.
125 M€ de perte de revenus pour le Barça, 95 M€ pour le PSG
D’autres partent de plus loin, et c’est ce qui fait la différence entre les top clubs. En décembre, le PSG a anticipé devant la DNCG (Direction nationale du contrôle de gestion) un déficit de 204 M€ au 30 juin 2021, contre 125 M€ un an plus tôt (+ 63 %). Pour un budget de l’ordre de 600 M€, c’était déjà énorme. Alors là…
Les explications générales sont connues. En attendant que la vaccination produise ses effets, la crise sanitaire continue de vider les stades, prive les clubs de billetterie et d’hospitalités, les empêche d’honorer leurs engagements vis-à-vis de partenaires souvent eux-mêmes impactés, tandis que le « trading joueurs » s’essouffle et que les droits télé se tassent, comme en Allemagne (– 5 % en 2021-2025). En France, le défaut de Mediapro ajoute de la crise à la crise : les droits de la L1 ont perdu près de la moitié de leur valeur, des 1,153 milliard d’euros promis avec le diffuseur sino-espagnol aux 650 M€ aujourd’hui sans lui.
Dans ce contexte, certains des « dix » ont mieux résisté que d’autres. Au 30 juin 2020, dernier point de comparaison possible, tous affichaient des revenus hors transferts en baisse, mais pas dans les mêmes proportions. Sur ce terrain, le Barça et le PSG, sont à égalité avec un même recul record de 15 % de leurs « produits hors mutation » (billetterie, sponsoring et droits télé), alors que le Real (–6 %) et les Allemands (–2 % pour Dortmund) ont moins ramé.
Précision importante : ces niveaux de revenus arrêtés au 30 juin 2020 ne sont pas tout à fait comparables. Le Bayern et Dortmund sont en effet les seuls, avec les deux autres clubs de Bundesliga qualifiés en 8es, le RB Leipzig et le Borussia Mönchengladbach, à avoir bouclé leur Championnat avant la fin de l’exercice comptable (le 27 juin). Les autres ont repris et fini plus tard, l’Espagne le 19 juillet, l’Angleterre le 26 juillet et l’Italie le 2 août, la France s’étant arrêtée le 13 mars avant de décider le 30 avril d’en rester là. Selon le classement annuel du cabinet Deloitte paru en janvier, le Barça, malgré un manque à gagner de 125 M€, a conservé d’un souffle en 2019-2020 la première place des plus hauts revenus hors transferts (715,1 M€), devant le Real Madrid (714,9 M€, recul de 42 M€).
De son côté, le PSG a vu ses revenus fondre de 95 M€ (540 M€ contre 635 M€ en 2018-2019), ce qui l’a fait passer de la 5e à la 7e place, le pire recul enregistré dans le gotha européen. Liverpool, sur la vague de son titre européen en 2019, est passé lui devant (5e, + 2 places). Idem pour City (6e, inchangé). Dans le détail, billetterie et hospitalités, qui rapportent d’ordinaire gros au PSG, ont chuté de 20 % en 2020 (120 à 130 M€ de pertes attendues en 2021 si le public ne revient pas), et les recettes commerciales, autre point fort du club, ont plongé à l’avenant. Son excellent parcours jusqu’à la finale de la dernière C1 (perdue le 23 août contre le Bayern, 0-1) n'a compensé qu’en partie, et a posteriori (+ 20 M€ environ, affectés aux comptes 2021).
Le Bayern et le Real dans le vert
Le Barça est lui aussi plombé par le vide du Camp Nou de 100 000 places (48 000 au Parc, dont 10 % d’hospitalités). Le club espérait 56 M€ de billetterie en tablant sur une jauge de 25 % en février et de 50 % en mai, un objectif qui paraît bien incertain. Il y a donc peu de chances que la manne du stade contribue à court terme à réduire son énorme dette de 1,17 Md€ – dont près de 200 M€ en traites de transferts dues à une dizaine de clubs et 266 M€ à rembourser d’ici au 30 juin.
Pour la moitié des colosses européens (Liverpool et City n’ont pas communiqué tous leurs chiffres), la conjugaison délétère de revenus en chute et de charges incompressibles a tiré les résultats financiers vers le bas. Dortmund, par exemple, a beau avoir perdu assez peu de revenus en 2020 par rapport à 2019 (– 6 M€), ses moindres plus-values sur le marché des joueurs (+ 40 M€ contre + 83 M€) ont fait dévisser son bilan (– 44 M€ en 2020, entre – 70 M€ et – 75 M€ redoutés en 2021).
En 2020, le PSG (déficit de 125 M€, on l’a vu) mais aussi le Barça (– 97 M€) et la Juve (– 90 M€) ont essuyé les plus lourdes pertes parmi les dix plus riches qualifiés en 8es. En revanche, même avec des revenus en berne et pour certains une balance des transferts déficitaire, une poignée de top clubs a dégagé un résultat positif au 30 juin 2020, après trois mois et demi d’arrêt puis de huis clos. Le Bayern est dans ce cas. Avec même un bénéfice pour la… 28e saison consécutive. Ce profit s’effrite toutefois d’une quarantaine de millions en un an à 5,9 M€. Il doit aussi beaucoup à une baisse générale des salaires au club de 6 % (20 % pour les joueurs) qui a permis d’atténuer les effets de la pandémie sur ses revenus et le poids de ses transferts entrants en 2019 (Lucas Hernandez, Benjamin Pavard…).
Autre résultat positif, celui du Real, un peu mieux qu’à l’équilibre (+ 0,3 M€), malgré des revenus rabotés de quelque 200 M€ sur un budget prévisionnel de 900 M€. Comme en Bavière, le vestiaire a accepté de couper dans sa rémunération (– 10 %). Chelsea, enfin, vitaminé par la vente d’Eden Hazard au Real pour 115 M€ en 2019 (36 M€ de profits), et l’Atlético (1,8 M€), par ailleurs très endetté comme le Barça, ont fini la saison dans le vert. Toute la question est de savoir jusqu’à quel point cette deuxième saison de crise va les atteindre.
L'Equipe