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Justice : les dessous de l'affaire Anigo
José Anigo, l'ex-directeur sportif de l'OM, est venu se défendre, cette semaine, devant la cour d'appel d'Aix-en-Provence, dans une affaire d'extorsion et de projet criminel qui aurait eu pour but de venger le meurtre de son fils.
José Anigo, ici en avril 2014 alors qu'il entraînait l'OM, a été mis en examen le 4 octobre pour des faits d'« association de malfaiteurs en vue de commettre les crimes d'extorsion et d'homicide en bande organisée ». (F. Golesi/L'Équipe)
José Anigo, ici en avril 2014 alors qu'il entraînait l'OM, a été mis en examen le 4 octobre pour des faits d'« association de malfaiteurs en vue de commettre les crimes d'extorsion et d'homicide en bande organisée ». (F. Golesi/L'Équipe)
Stéphane Sellami (avec Grégoire Fleurot) mis à jour le 24 octobre 2020 à 08h53
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« Je n'ai pas l'intention de me soustraire à la justice. Je suis venu de mon plein gré. Cela fait sept ans que mon fils est mort... » L'homme qui vient de prononcer ces mots s'arrête au milieu de sa phrase, en pleurs. José Anigo, 59 ans, est venu plaider sa cause pour éviter la prison, mercredi dernier, devant la cour d'appel d'Aix-en-Provence (Bouches-du-Rhône) dans un dossier qui le « dépasse ». Mis en examen, le 4 octobre, pour des faits d'« association de malfaiteurs en vue de commettre les crimes d'extorsion et d'homicide en bande organisée », l'ancien joueur, entraîneur, directeur sportif et recruteur de l'Olympique de Marseille, qui encourt dix ans de réclusion criminelle, lutte désormais pour ne pas voir sa vie s'éloigner des terrains de football. Mercredi, les juges de la cour d'appel décideront ou non de son incarcération, alors que le parquet de Marseille et le parquet général avaient fait appel de sa remise en liberté, sous contrôle judiciaire, après sa mise en examen.
José Anigo : « Ce que l'on me reproche est surréaliste »
Dans ce dossier mené par deux juges d'instruction de la juridiction interrégionale spécialisée (JIRS) de Marseille, dans lequel s'entrecroisent des acteurs du monde du ballon rond, des membres du grand banditisme corso-marseillais et des intermédiaires peu scrupuleux, ce sont aussi les coulisses du football moderne qui se dessinent. Au fil d'une année d'investigation, les enquêteurs de la police judiciaire (PJ) de Marseille ont mis au jour les relations entre l'ancien homme fort de l'OM, qui était en charge de la recherche de joueurs à l'international pour le club anglais de Nottingham Forrest jusqu'au printemps dernier, et plusieurs membres présumés d'un gang dit de la Capelette, du nom d'un quartier situé dans le Xe arrondissement de la cité phocéenne.
Le transfert de Lihadji serait au coeur de l'affaire d'extorsion
Placés sous étroite surveillance, ces trentenaires, pour certains déjà passés par la case prison pour des faits de braquage, de trafic d'armes et de drogue, laissent entendre que José Anigo leur a promis de leur céder une commission qu'il devait toucher sur le transfert d'un jeune joueur de l'OM. Le nom du jeune Isaac Lihadji, 18 ans, parti de l'Olympique de Marseille pour Lille au cours de l'été dernier, revient rapidement aux oreilles des policiers. Interrogé sur ses liens avec ce « joueur prometteur » lors de ces quatre jours de garde à vue à l'Évêché, siège de la PJ marseillaise, José Anigo reconnaît qu'il a joué « un rôle prépondérant » dans son recrutement en 2013.
« C'est moi qui l'ai fait signer à l'OM en 2013 et c'est Christian Bandikian qui, plus ou moins, avec le tuteur, Nabil Hannachi, est arrivé à le convaincre, a-t-il précisé. Pour le faire signer, il y avait une condition, c'était qu'on fasse employer Nabil en qualité de recruteur à l'OM, puisqu'il était bon en détection de gamins. Ça s'est fait ensemble avec Christian et moi. Nabil nous a aidés à le faire. À l'époque, j'étais directeur sportif à l'OM et je l'ai approché dans le cadre du club. »
Le nom de Bandikian est souvent cité dans les éléments d'enquête recueillis par les policiers de la brigade de répression du banditisme de la PJ de Marseille. Gérant d'une boîte de nuit à Aix-en-Provence, il serait au coeur de cette affaire de commission sur le transfert du jeune Lihadji, que le gang de la Capelette serait venu lui réclamer avec insistance. Pour tenter de se soustraire à cette « prise en main », le même Bandikian se serait retranché derrière un certain Michel Campanella, présenté comme l'un des derniers parrains de Marseille. Également mise en examen dans ce dossier, cette figure emblématique du milieu marseillais, selon la police, employé officiellement comme commercial par une société de sécurité privée, a rejeté les accusations portées à son encontre.
"Je n'étais absolument pas au courant, les jeunes de La Capelette ne m'en ont pas parlé, ni M. Anigo, qui est mon ami mais que je n'ai pas vu depuis une dizaine d'années
Michel Campanella, mis en examen dans ce dossier
Plusieurs membres de la Capelette ont été observés alors qu'ils se rendaient dans la pizzeria la Villa Rocca, tenue par la compagne de Michel Campanella (57 ans), surnommé « Canari » et condamné pour un vol à main armée au milieu des années 1980. Déjà incarcéré depuis le mois de mai, dans un dossier de racket, il soutient n'avoir joué aucun rôle dans cette désormais fameuse affaire de commission, dont le montant s'élèverait à 1,5 M€. « Je n'étais absolument pas au courant, les jeunes de la Capelette ne m'en ont pas parlé, ni M. Anigo, qui est mon ami mais que je n'ai pas vu depuis une dizaine d'années [...] Je vous indique que nous ne sommes pas fâchés avec M. Anigo, c'est juste que nos routes ne se sont pas croisées. Mais je connais plus Christian Bandikian, qui est un ami, que José Anigo, qui est plus une connaissance. La dernière fois que j'ai vu José Anigo [...], si ma mémoire est bonne, c'était en 2012 ou 2013. »
Michel Campanella est poursuivi dans le même dossier que José Anigo (P. Nosetto/PhotoPQR/La Provence)
Michel Campanella est poursuivi dans le même dossier que José Anigo (P. Nosetto/PhotoPQR/La Provence)
Les policiers de la PJ de Marseille sont, eux, persuadés que le clan Campanella, qui serait surnommé le « Temple » dans le milieu du banditisme marseillais, a joué un rôle dans ce dossier. L'un des leaders présumés de la Capelette, Fred (*) (30 ans), sorti de prison en janvier 2018, se serait montré particulièrement loquace.
(*) Le prénom a été modifié.
La sonorisation de son appartement - un dispositif d'enregistrement y a été dissimulé pendant plusieurs semaines - aurait permis aux policiers de soupçonner son implication, ainsi que celle de ses comparses, dans plusieurs projets criminels et, notamment, la vengeance du meurtre du fils de José Anigo, qu'il considérait comme un « frérot ». Ce dernier a été abattu en septembre 2013 dans une rue de Marseille.
Au détour de chuchotements avec sa compagne, ce jeune homme, employé dans un restaurant de plage, a livré de précieux éléments. À mots couverts, il laisserait entendre qu'il se serait engagé avec d'autres membres de l'équipe de la Capelette à rendre service à José Anigo, en exécutant « un travail » à titre gratuit, au nom de l'amitié qu'il portait à son fils, Adrien. Les mêmes écoutes auraient aussi permis de découvrir que José Anigo se serait engagé à verser 100 000 € pour assurer la logistique nécessaire à la vengeance de son fils. Mais seuls 20 000 € auraient été débloqués pour l'achat d'armes et de voitures volées. Le surnom d'une possible cible est même désigné sous le terme du « coiffeur ».
100 000 euros promis par Anigo ?
Questionné par la police, l'ancien directeur sportif de l'OM a tout nié en bloc. « Ils (les jeunes de la Capelette) ne m'ont jamais parlé de vengeance. Je n'ai jamais abordé ce sujet avec eux, nous n'avons parlé que de football, nous n'avons jamais eu de conversations à propos du banditisme, de voyous et du meurtre de mon fils. J'ai un doute sur leur proximité avec mon fils, Adrien. »
Le même Fred semblait tout aussi déterminé à mettre la pression sur José Anigo afin d'obtenir plus d'argent ou l'achat d'un commerce en échange de ce « travail » qui pourrait lui coûter « trente ans ». Les policiers l'entendent encore s'adresser à l'un de ses complices à propos de l'ex-directeur sportif de l'OM : « On va lui mettre le couteau sous la gorge, [...] on va lui mettre la pression au vieux ; la pression, frérot ! Faut marcher qu'avec les dents. Moi je te dis frérot, ça vaut le coup de montrer les dents là parce qu'il y a de l'argent. »
Les policiers apprennent aussi que le simple employé de restaurant semble, en réalité, en être le gérant en compagnie d'un homme qui purge une peine de quinze ans de prison pour une tentative de braquage d'un centre-fort (où sont entreposés des billets de banque), au début des années 2010, du côté de Gémenos (Bouches-du-Rhône). Selon nos informations, dans l'entourage de ce dernier, les enquêteurs de la PJ de Marseille ont aussi découvert la présence d'un homme proche de la bande dite du Petit Bar à Ajaccio (Corse-du-Sud), dont plusieurs membres présumés viennent d'être mis en examen pour une tentative d'assassinat sur Guy Orsoni, fils d'Alain, ancien président de l'Athletic Club Ajaccien (ACA), qui évolue actuellement en Ligue 2. L'avocat de Fred n'a pas donné suite à nos sollicitations.
280 000 euros en liquide : Barresi justifie la somme par un prêt en Suisse
Un autre nom, bien connu du côté de l'OM des années Tapie, est également apparu dans cette affaire de commission. Jean-Luc Barresi, (60 ans), ex-agent de joueurs - reconverti dans la recherche de jeunes talents et l'achat-vente de joueurs à travers deux sociétés implantées en Tunisie et à Dubaï, où il réside depuis 2016 -, serait intervenu dans ce dossier après l'incarcération de Michel Campanella, au mois de mai.
Trouvé en possession de 280 000 euros en liquide, l'ex-agent Jean-Luc Barresi a été mis en examen dans le même dossier que José Anigo.
Trouvé en possession de 280 000 euros en liquide, l'ex-agent Jean-Luc Barresi a été mis en examen dans le même dossier que José Anigo. (S. Mercier/PhotoPQR/la provence)
Aux yeux des enquêteurs, Jean-Luc Barresi serait venu assurer la poursuite des négociations pour le versement de l'argent lié au transfert du jeune Lihadji. Interpellé au volant d'un Renault Kangoo à Marseille le 29 septembre, il a été trouvé en possession d'un peu plus de 280 000 € en billets de 500. Sur la provenance d'une partie de cette imposante somme, l'ex-agent, qui a aussi opéré un temps dans la vente de cigares et dans l'immobilier, s'est justifié en indiquant qu'il s'agissait du « remboursement d'un prêt à un ami », domicilié en Suisse.
Un retour de prêt en liquide qu'il a omis de déclarer aux douanes lors de son passage à la frontière. Interrogé sur la raison de son intervention dans le partage de la commission, Jean-Luc Barresi assure qu'il est intervenu dans le cadre d'un « gentleman's agreement » entre les différentes parties. En clair, il aurait proposé à l'agent officiel du jeune Lihadji de « dédommager » ceux qui avaient accompagné l'attaquant prometteur depuis ses premiers pas de footballeur. Christian Bandikian lui aurait également confié vouloir finalement verser « 30 000 € » aux différents intervenants, dont José Anigo, afin de sortir de toute cette affaire.
L'agent de Lihadji, Pierre Issa et Salim Arrache bientôt entendus ?
L'intervention de Jean-Luc Barresi n'aurait, elle, donné lieu à aucune contrepartie, toujours selon ses déclarations. Mis en examen dans cette affaire, il a été placé en détention provisoire. Les enquêteurs de la PJ de Marseille poursuivent leurs investigations. Toujours selon nos informations, d'autres acteurs du monde du football pourraient être entendus dans les prochaines semaines. À commencer par Moussa Sissoko, l'agent d'Isaac Lihadji. Mais aussi deux anciens joueurs de l'OM, Pierre Issa et Salim Arrache, désormais associés comme agents de joueurs.