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ANIGO Les relations sulfureuses
Mis en examen et placé sous contrôle judiciaire, l’ancien dirigeant de l’OM voit revenir à la surface ses liens présumés avec le grand banditisme marseillais. La cellule enquête
C’est une histoire d’alliance et de trahison, de meilleurs amis et de pires ennemis, d’amour et de morts. José Anigo, 59 ans, est de retour sur le devant de la scène à Marseille. Sa ville, celle qui l’a vu naître. Un retour que l’ancien employé multicartes de l’OM (1) aurait certainement préféré éviter. Englué dans une affaire « d’association de malfaiteurs en vue d’extorsion en bande organisée et en vue de commettre un crime en bande organisée », il a été mis en examen, dimanche dernier, avant d’être placé sous contrôle judiciaire après avoir remis son passeport à la justice et versé une caution de 10 000 €.
Une remise en liberté contestée, après une vague hésitation, par le parquet de Marseille, qui a décidé de faire appel en fin de semaine. Anigo voit désormais planer au-dessus de sa tête le spectre d’une éventuelle incarcération. Les juges de la cour d’appel d’Aix-en-Provence en statueront prochainement.
Dans cette même affaire, qui lui a valu près de trois jours de garde à vue, des noms « bien connus des services de police et de la justice » sont également sortis du chapeau. Michel Campanella (57 ans), présenté comme l’un des derniers parrains de Marseille, Patrick Le Maux (63 ans), son fidèle lieutenant, et l’ex-agent de joueurs Jean-Luc Barresi (59 ans), incontournable pendant des années à la Commanderie, ont également été mis en examen avant d’être placés en détention provisoire. Eux se verraient reprocher leur souhait de s’accaparer une « commission occulte » sur le passage du jeune attaquant Isaac Lihadji (18 ans) de l’OM à Lille, cet été.
Les enquêteurs de la police judiciaire ont aussi arrêté plusieurs membres présumés d’une équipe « montante » dite de La Capelette, du nom d’un quartier implanté dans le Xe arrondissement de la cité phocéenne. C’est par le truchement d’une « sonorisation » – un dispositif d’écoute dissimulé au domicile d’un comparse de ce gang – que la PJ est remontée jusqu’à José Anigo, à travers des propos lui attribuant la volonté de venger l’assassinat de son fils Adrien, abattu en pleine rue le 5 septembre 2013, à deux pas de la cité Frais-Vallon, toujours à Marseille.
Cette envie de vengeance, l’ancien entraîneur olympien l’a farouchement contestée devant policiers et magistrats. Dans nos colonnes jeudi, il a confié sa détermination à ne pas « se laisser faire » et à se battre « jusqu’au bout ». En aparté, il a aussi fermement rejeté cette image « qu’on [lui] colle dans la gueule depuis trop longtemps ». Celle sur laquelle se dessinent ses liens avec le grand banditisme ou ce que certains appellent aussi le Milieu. « Ce que le dossier prouve, c’est qu’il (José Anigo) est immergé dans le banditisme, témoigne une source proche de l’enquête. Il y a trois marches : il évoluait dans ce milieu, il a incorporé les méthodes du banditisme dans les transferts marseillais et puis, à un moment, il aurait pu utiliser ces méthodes pour régler des problèmes personnels. »
Sollicité, son avocat, Me Emmanuel Molina, a réagi en indiquant : « José Anigo est un homme qui a grandi et évolue à Marseille. Il est facile de pratiquer l’amalgame et le dénigrement alors que c’est avant tout un grand professionnel du football et un homme qui a des valeurs. Dans le passé, j’ai obtenu pour M. Anigo des condamnations pour de tels propos diffamatoires. »
« Ami d’enfance » de Richard Deruda, ex-braqueur
À l’Évêché, le siège de la direction interrégionale de la police judiciaire (DIPJ) de Marseille, lorsqu’on cite le nom d’Anigo, celui d’un certain Richard Deruda vous revient comme un boomerang. Fiché au grand banditisme au détour des années 1980, cet ex-braqueur, aujourd’hui âgé de 59 ans, s’était notamment illustré lors d’un casse loupé dans une succursale d’une banque israélienne, du côté de la Canebière, à la fin de l’été 1987. Le même Deruda, également proche de l’OM après y avoir été introduit par un ancien intendant, s’était vu condamné à cinq ans de prison, dont deux ans avec sursis, dans ce dossier.
C’est par l’entremise de son fils Thomas, mordu de football avant d’embrasser une courte carrière professionnelle, que Richard Deruda a retrouvé José Anigo, un « ami d’enfance ». Placé en garde à vue en janvier 2015, dans le cadre d’une enquête baptisée « Mercato », portant sur des soupçons de rétrocommissions sur des transferts de joueurs de l’OM, versées à des intermédiaires et des membres du grand banditisme (2), Deruda est revenu sur ses liens avec Anigo : « Au cours de sa deuxième année de benjamin, mon fils Thomas était entraîné par José Anigo (à l’OM). C’est un ami d’enfance car, avec ma femme, nous sommes tous issus de quartiers voisins de Marseille. José Anigo, issu du quartier Consolat, et ma femme Pascale sont des amis d’enfance. »
En 2002, le fils Deruda est revenu à l’OM à la suie d’un passage écourté, après une bagarre avec un pompier, par le centre de formation de l’AS Cannes. Anigo l’a alors repris sous son aile et lui a même permis de signer un contrat pro en 2006. Quelques années plus tard, alors que le fils peinait à percer au haut niveau, les relations entre Deruda père et José Anigo semblaient s’être quelque peu dégradées.
Dans une écoute policière, à l’été 2011, on y percevait un Richard Deruda particulièrement menaçant, faute de trouver un club pour accueillir son fils : « José, t’es en train de me faire fumer, t’es en train de me faire... t’es en train de me faire péter la casserole. […] Et je suis en folie. Tu me crois, José ? Je crois que si j’étais à côté, José, je crois que je ferais une connerie. […] Mais si je t’en veux à toi, José, si je t’en veux ! Je viens, mais tu sais comme tu vas le vivre, tu sais comme tu vas le vivre ? […] Attends, va, te casse pas la tête. Je vais te la rafraîchir la mémoire, moi, tu vas voir. » Dans la foulée, une rencontre nocturne en guise de mise au point aurait eu lieu entre les deux hommes, à deux pas du centre d’entraînement de l’OM. Avant que les esprits ne se calment. Interrogé par la police sur la portée de ces paroles, Deruda aurait assuré : « Je suis un sanguin. Lors de cet appel téléphonique, j’étais furieux que le directeur sportif d’un des plus grands clubs de France ne puisse trouver un club pour mon fils Thomas. D’ailleurs, par rapport à ce comportement, deux jours plus tard j’appelais José Anigo pour m’excuser. » Fin de l’histoire.
Son fils aîné a été assassiné en 2013 après des braquages présumés
Pour justifier des liens présumés de José Anigo avec le Milieu, les policiers de la PJ ont aussi exhumé de leurs archives le nom d’un certain Daniel Nieto. En Italie, « Nieto fut l’Andrea Pirlo du kidnapping, un génie du crime avec des manières », décrivent les auteurs du livre les Parrains du foot, qui retrace les liens entre grand banditisme et football professionnel (3). Né à Marseille en 1947, ce proche de feu Francis le Belge a multiplié les coups dans les années 1970 de l’autre côté des Alpes, à la « tête de la bande dite des Marseillais ».
Braquages, trafic de drogue et enlèvements de riches héritières : rien ne semblait devoir résister à Nieto et ses complices. Finalement arrêté, condamné et incarcéré, il s’est réfugié en France, après onze années passées dans les geôles italiennes, à la faveur d’une permission de sortie. De nouveau écroué au début des années 2000, Nieto aurait alors vu une partie de ses frais d’avocat réglée par José Anigo.
En 2004, alors qu’il était redevenu coach de l’OM après un premier intérim, en 2001, Anigo a aussi croisé la route d’un certain Farid Berrahma, surnommé « le Rôtisseur ». À l’époque, le voyou frayait avec un jeune du centre de formation du club marseillais. Quelques années plus tard, c’était au tour d’Adrien, l’aîné des quatre enfants de José Anigo, de verser dans le banditisme. Lors de son interpellation, en 2007, le jeune homme, alors âgé de 24 ans, s’était vu reprocher d’être monté sur des braquages de bijouteries et d’établissements de jeux avec plusieurs membres présumés de la bande de la Capelette. Rattrapé par ses assassins, Adrien Anigo n’a finalement jamais été jugé pour ces faits.
(1) Il a été joueur parmi la fameuse bande des minots qui avait permis à l’OM de remonter en D1 en 1984 ; entraîneur des jeunes puis des pros (2001, 2004 et 2013-2014) ; directeur sportif puis recruteur pour le continent africain. (2) Dans ce dossier, José Anigo et plusieurs dirigeants de l’OM ont été mis en examen en juillet 2016, avant de voir cette procédure tomber en février 2019. Selon plusieurs sources, elle pourrait prochainement déboucher sur un non-lieu. (3) Publié aux éditions Robert Laffont et réédité en livre de poche chez J’ai Lu.