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OM: UN AN APRÈS LES INCIDENTS DE LA COMMANDERIE, EYRAUD EST-IL ENCORE (UN PEU) AUX COMMANDES?
Le 30 janvier dernier, le centre Robert Louis-Dreyfus était pris d’assaut par des supporters marseillais déchaînés, en grande colère contre le Président de l’époque, Jacques-Henri Eyraud. Ces violences avaient précipité la mise à l’écart de "JHE". Un an plus tard, Eyraud représente l’OM aux instances du foot, et est resté très proche de Frank McCourt. Son influence au sein du club est un sujet qui embarrasse, ou agace.
Quelques cyprès ont été replantés devant l'entrée de la Commanderie, là où d’autres avaient brûlé. Sur un mur où pouvaient parfois fleurir, à l’époque, des tags anti-Eyraud, une immense pancarte avec le slogan "A Jamais Marseillais", sur fond d’écharpes et de drapeaux bleus et blancs, a également été fixée. Peut-être pour rappeler, chaque matin, aux salariés nés à Marseille et naïvement amoureux de leur club qu'ils sont plus que jamais légitimes à l'OM.
Un an après "l'attaque" du centre Robert Louis-Dreyfus, l'ambiance a évidemment, et radicalement, changé. Seules des dizaines de mètres de barbelés, plutôt discrets mais durs à escalader, viennent tout juste d’être posés le long du grillage qui sépare le bâtiment sportif d'un immense champ. Ils rappellent que c’est ici, le samedi 30 janvier 2021, que l'intrusion avait commencé. "C'était un peu notre prise de la Bastille", résume en plaisantant un historique du mouvement ultra marseillais.
Le discours de Longoria qui a ému les salariés
Les images ont choqué. Certains supporters ont été condamnés par la justice. Mais la cocotte-minute devait sûrement exploser. Entre Jacques-Henri Eyraud et les supporters marseillais, le divorce était acté depuis de longs mois. Trop de tensions et d'incompréhensions, liées à la vie des tribunes, aux fumigènes, aux interdictions de stade prononcées par la direction elle-même, au vrai-faux Champions Project.
Mais aussi à des déclarations trop maladroites et au manque de résultats, forcément, le baromètre qui rythme la vie d’un club, même si "JHE" aimait inciter ses équipes à se détacher des performances de l’OM, pour toujours "tenir le cap", comme dans une vraie entreprise.
En ce sens, le changement est radical. Eyraud voulait garder la tête froide même un lendemain de défaite. Avec Pablo Longoria, les buts sont célébrés de manière hystérique et les contre-performances l’empêchent parfois de dormir. Avant les fêtes de Noël, le discours de Longoria a donné quelques frissons et ému les salariés du club. Il y était question de passion, de famille, d’amour de l’OM, du fait qu’un club de foot ne pouvait pas se gérer… comme une autre entreprise.
Ambiance sereine et apaisée à la Commanderie
L’OM a clairement voulu tourner la page Eyraud. Au centre RLD, l’atmosphère est d’ailleurs bien plus sereine, apaisée. Le climat était devenu étouffant, invivable. Entre les incidents de la Commanderie et la mise à l’écart d’Eyraud, un mélange de peur et de paranoïa s’était emparé des bureaux du centre RLD. L’ancien directeur général adjoint, en charge de la sécurité, Thierry Aldebert, avait même fourni aux cadres du club des petits téléphones anti écoutes téléphoniques. Il dressait chaque jour un baromètre des menaces aperçues sur les réseaux sociaux, et multipliait les cellules de crise avec le comité de direction. JHE, lui, était sous protection policière et ne circulait plus qu’en voiture blindée.
Un an après, Eyraud a retrouvé une vie normale. Depuis son départ de la présidence de l’OM, il s’est nettement éloigné de l’environnement marseillais. Il n'a jamais remis les pieds à la Commanderie, ni au stade, même s'il ne s'interdirait pas de retourner au Vélodrome quand l'occasion se présentera. Eyraud vit à Paris, et se consacre essentiellement à ses activités, en tant que Président de "McCourt Europe, Middle East & Africa". Au cœur de cette mission, le projet Liberty, lancé il y a trois ans. Ce projet, auquel tient énormément McCourt (il y a injecté 150 millions d’euros), est développé dans le but de trouver des solutions technologiques pour améliorer le contrôle d’Internet et des données personnelles des utilisateurs. Eyraud assure en privé y passer 80% de son temps.
McCourt l'écoute encore beaucoup
"JHE" est cependant toujours actif au sein des instances du football français, grâce à son poste de Vice-président du Conseil de Surveillance de l’OM. Sans cette nomination, Eyraud n’aurait pas pu conserver sa place au Conseil d’administration de la LFP. Il figure dans deux des quatre groupes de travail de réformes du foot français créés par Vincent Labrune : le groupe "Valorisation du produit", chargé de définir les axes de développement et de mise en valeur du foot français, et le groupe "Arbitrage", qui a pour objectif d’améliorer le niveau de l’arbitrage et y apporter de nouveaux outils, comme la sonorisation.
A-t-il encore une grande influence sur le fonctionnement de l’OM ? Au sein du club, le sujet embarrasse. Et inquiète parfois les supporters, à qui McCourt avait promis, lors d’une réunion d’après crise, que Eyraud était "out". La promesse n’engage que ceux qui veulent y croire, mais c’est effectivement le discours officiel. Le boss, c’est Longoria. L’Espagnol définit la stratégie sportive, notamment le recrutement, en lien direct avec l’actionnaire du club. McCourt compte énormément sur lui pour remettre l’OM sur de bons rails sportivement, sans oublier de vendre un peu, pour soulager les finances du club. Eyraud n’a plus aucune influence sur le domaine sportif, mais le Bostonien s’appuie en revanche sur lui pour beaucoup d’autres dossiers olympiens.
"S’il devait y avoir des divergences, l’intérêt de l’OM prime. Il y a un modus vivendi dans lequel chacun joue son rôle", résume sagement Jacques Cardoze, le directeur de la communication de l’OM. Mais justement, où s’arrête le rôle de Jacques-Henri Eyraud ? Les notes qu’il rédige régulièrement en anglais pour l’équipe McCourt, avec une fréquence qui agace un peu à La Commanderie, peuvent-elles parfois aller à l’encontre du travail ou de la vision de Pablo Longoria ? "On a inventé un concept !", ironise un intime du club. "A Marseille, c’est Longoria. A Paris, c’est Eyraud. Sauf qu’une immense partie du budget et des intérêts de l’OM se joue à Paris: les droits TV, l’équipementier, le marketing, et bientôt la société commerciale. L’influence d’Eyraud reste grande, et McCourt l’écoute encore beaucoup."
Eyraud conserve un solide réseau
Le cœur du sujet est ici. McCourt a conservé avec Eyraud un fort lien de confiance, sûrement même d’amitié. Lorsque l’actionnaire se rend à Paris, comme c’est le cas cette semaine, pour y rencontrer des dirigeants du foot français ou des politiques, Eyraud l’accompagne. L’OM n’est pas toujours au menu des discussions, mais cette proximité peut susciter un sentiment de défiance et donner l’impression, justifiée ou trompeuse, que l’ancien Président de l’OM tire encore les ficelles et murmure à l’oreille de l’actionnaire.
"Eyraud le sait et aime jouer de cette ambiguïté", racontent beaucoup de témoins, habitués à côtoyer de très près McCourt, Longoria et Eyraud. Rarement les trois en même temps, d’ailleurs. Comme dans un double jeu, Eyraud apprécie sincèrement de ne plus être exposé publiquement, mais laisserait parfois filtrer l’idée qu’il est resté important à l’OM. Il aime aussi dire à McCourt que son influence est grande à la Ligue, ce qui fait sourire au sein des instances, où ses prises de position sont parfois difficiles à cerner. Médias, business, politiques... Eyraud garde un solide réseau. "Jacques-Henri était très marqué par la fin de son aventure marseillaise, mais il a fait le deuil du sportif", assure Sacha Houllié (LREM), qui a partagé quelques déjeuners avec Eyraud et d‘autres députés "supporters" de l’OM.
Depuis Paris, Eyraud a bien noté que l’OM avait pris un virage à 180 degrés, ce qui l’a parfois vexé. Bye-bye les anglicismes et les Powerpoint. La nouvelle équipe a souhaité "remettre du Marseille à l’OM", et surtout du football au centre des débats. Tout en respectant l’histoire du club. Discrètement, Pablo Longoria était allé, au printemps dernier, échanger avec Bernard Tapie, un pas que JHE n’a jamais voulu franchir. Le Président actuel a aussi insisté pour que le club mette à l’honneur des anciennes gloires comme Jean-Pierre Papin. Le nouvel OM a aussi et surtout tendu la main à ses supporters et aux associations. Une nouvelle convention, beaucoup plus favorable aux groupes de supporters, a été rédigée. Les réunions sont plus fréquentes, plus chaleureuses… et le dossier des fumigènes ne donne plus lieu à des crises de nerfs ou à des amendes.
Toujours aussi mal aimé à Marseille
A Marseille, Eyraud n’a pas laissé que des amis sur son chemin. Les jugements sur son influence au club sont même peut-être tronqués par cette rancœur toujours très tenace chez ceux qui l’ont pratiqué de près, et n’ont pas apprécié un caractère un peu trop cassant, trop sûr de lui, incapable de reconnaitre ses erreurs. "Notamment avec les supporters, le fonctionnement de Longoria est tellement à l’opposé de ce que faisait Eyraud, que JHE ne peut pas souhaiter sincèrement que ça réussisse. Il a trop d’égo pour espérer que Longoria ait du succès", lâche même un intime de l’OM.
Au centre RLD, on ne se prive pas de critiquer, parfois, le recrutement de l’époque JHE, les conséquences financières qui vont avec, ou encore, plus récemment, la gestion du dossier Pape Gueye avec cette menace d’interdiction de recrutement. "Mais personne n’osera l’affronter, car McCourt l’a soutenu, le soutient et le soutiendra sûrement toujours", confie une de nos sources. Certains ont quand même franchi le pas et demandé directement à l’actionnaire américain comment il pouvait encore donner du crédit à quelqu’un qui avait autant plombé le bilan sportif économique de l’OM et fait tant de mal à l’image du club. McCourt a répondu qu’il avait encore besoin de lui, et que ses analyses, connaissances ou connexions politiques restaient précieuses.
"Tant que Eyraud n’entrave pas ce que Pablo a envie de faire, ça ira..."
L’avenir dira si cette organisation est amenée à perdurer. L’année 2021 a été intense. Les incidents à Nice, Angers ou Lyon, ou encore le décès de Bernard Tapie et l’hommage vibrant rendu par le club, ont donné plus de légitimité à Pablo Longoria. Chaque affaire ou chaque dossier chaud ont également permis aux dirigeants actuels de se faire connaitre auprès des instances du foot. Longoria n’est plus vu uniquement comme un directeur sportif jeune et brillant. Il a rencontré Emmanuel Macron. Il a impressionné l’Assemblée Nationale, en septembre, lors d’une mission parlementaire sur les droits TV et le modèle économique sportif. Il a aussi séduit quelques présidents de clubs. Lors du dernier déplacement à Strasbourg, Marc Keller lui aurait par exemple conseillé de plus s’impliquer dans les instances du football français, car son regard était précieux. Cette perspective ne serait pas totalement exclue, mais n’est pas encore à l’ordre du jour. Il faut un an de présidence pour que Longoria prétende éventuellement siéger au Conseil d’administration de la Ligue. Si jamais McCourt se décidait à revoir son mode de gouvernance…
En attendant, Eyraud promet entretenir de très bonnes relations avec Longoria. Ce dernier confirme que les échanges sont fréquents et transparents au sein de cette gouvernance OM un peu particulière. L’Espagnol s’adapte, et assure ne pas avoir d’égo ni d’énergie à perdre dans des querelles de pouvoir. Il souhaite simplement que les règles du jeu soient respectées et que l’OM parle d’une seule et même voix. Tellement concentré sur le football, le mercato et les objectifs du club, l’Espagnol n’est pas du genre à faire des vagues. Plusieurs sources très légitimes ont pourtant assuré à RMC Sport que Longoria était parfois agacé, frustré par ce mode de fonctionnement. Les plus pessimistes alertent sur le fait que Longoria est aussi passionné qu’insaisissable. Son ascension fulgurante serait suivie par d’autres clubs européens comme le Barça ou le Milan. Beaucoup se demandent si ce système un peu bancal mis en place par McCourt peut fonctionner sur la durée, et affronter les périodes de crise, qui peuvent rapidement arriver à l’OM. "Tant que JHE n’entrave pas ce que Pablo a envie de faire, ça ira", souffle un de ses proches.