Football et gros sous, banditisme et règlements de comptes : à 59 ans, José Anigo est-il rattrapé par ses vieux démons ? L’ancien directeur sportif de l’Olympique de Marseille (OM) a échappé, mercredi 28 octobre, à une incarcération dans le sillage de sa mise en examen, le 4 octobre, pour « association de malfaiteurs en vue de préparer une extorsion et un homicide volontaire en bande organisée ».
La chambre de l’instruction de la cour d’appel d’Aix-en-Provence (Bouches-du-Rhône) a confirmé son placement sous contrôle judiciaire, dont le parquet de Marseille avait fait appel, réclamant son placement en détention provisoire par « mesure de sûreté ». Mais José Anigo, laissé libre, devra cependant verser un cautionnement de 100 000 euros, une somme dix fois supérieure au montant initialement fixé par le juge des libertés et de la détention de Marseille.
Fin septembre, l’ancien entraîneur et manageur de l’OM avait quitté à la hâte l’Angleterre, où il négociait avec le club Nottingham Forest le renouvellement d’un contrat de recruteur pour rentrer à Marseille. Attendu à l’Evêché, l’hôtel de police, par les enquêteurs de la brigade de répression du banditisme, il avait été immédiatement placé en garde à vue.
Quelques heures plus tôt, la police venait d’opérer un vaste coup de filet après une année passée à écouter et surveiller une équipe criminelle, la « bande de la Capelette », du nom d’un quartier de Marseille. Née avec l’essor du narcobanditisme, cette bande préparait une série de projets criminels : extorsion d’un restaurant et d’un établissement de plage à La Ciotat (Bouches-du-Rhône), braquage d’une bijouterie à Marseille, lancement d’un service de livraison de cocaïne à scooter avec un compte Snapchat… et, semble-t-il, deux règlements de comptes.
Dans un flot d’écoutes téléphoniques doublées de la sonorisation de l’appartement de l’un de piliers de l’équipe, Yohan A., connu pour des faits de braquage, les enquêteurs voient se dessiner le schéma d’une extorsion. Ils estiment que José Anigo aurait chargé des « jeunes de la Capelette » du recouvrement de tout ou partie d’une commission à laquelle il prétendait après le transfert de l’OM à l’équipe de Lille d’Isaac Lihadji, 18 ans, espoir du foot français.
Venger Adrien
Dans cette enquête aux contours encore balbutiants, il est donc question d’une somme d’un million et demi d’euros à récupérer auprès de Christian B., le patron d’une boîte de nuit d’Aix-en-Provence qui avait détecté les talents d’Isaac Lihadji lorsqu’il avait 12 ans, et cogéré son début de carrière avec José Anigo, pour qu’il soit intégré à l’OM.
Entre les « jeunes de la Capelette » et José Anigo, il y a depuis longtemps en commun Adrien Anigo, ami des premiers, fils du second. Proche de cette bande criminelle, le jeune homme avait été abattu en pleine rue, le 5 septembre 2013, quelques heures seulement après un premier règlement de comptes commis à la Ciotat.
A l’écoute des sonorisations de l’appartement de Yohan A., les policiers comprennent que José Anigo aurait promis 100 000 euros pour « la logistique », aurait même déjà versé 20 000 euros alors que l’équipe de la Capelette se dit prête, « par amitié », à venger Adrien, leur « frérot ». Le 1er mai, Yohan A. confie à sa compagne : « Y a que nous sur Marseille, l’équipe est superentraînée. On risque trente ans de prison. » Des surveillances policières confirment que des repérages auraient bel et bien été effectués sur la « cible », un ancien membre de cette équipe.
En garde à vue, José Anigo se dit en colère devant « ce mauvais scénario dont [il] ne comprend rien du tout » : « Je n’ai jamais parlé d’argent avec Yohan, ni de service pour mon fils avec qui que ce soit. C’est faux. Lorsque mon fils est mort, on s’en est remis complètement à la police. On n’a pas cherché à faire autre chose que de suivre la voie légale de la justice et, sept ans après, ces gens imaginent que, moi, je voudrais faire quelque chose. Ben non, désolé ! »
Figures du « milieu » marseillais
Devant la chambre de l’instruction où il a sollicité, en vain, sa remise en liberté, Yohan A. a laissé entendre, le 14 octobre, qu’il avait tendance à raconter un peu n’importe quoi à sa compagne, pour tenter de justifier les enregistrements très embarrassants de la sonorisation de leur appartement. « Des fois, je dis blanc quand c’est noir. Si je dis à ma mère que j’ai eu Macron au téléphone, elle va me croire. » Me Emmanuel Molina, défenseur de José Anigo, dénonce « une spéculation policière et judiciaire reposant sur des sonorisations qu’aucun élément matériel ne vient corroborer ».
Les enquêteurs se penchent cependant sur des rencontres que José Anigo a eues avec les « jeunes de la Capelette », notamment dans un restaurant sur la plage du Prado, où ils semblaient blanchir des fonds. Ces rendez-vous n’avaient, se défend l’ancien directeur sportif de l’OM, d’autres buts que les liens en commun avec Adrien et la volonté de quelques-uns de ces jeunes voyous de tenter l’aventure juteuse des transferts de joueurs de foot.
Parmi les dix-sept personnes mises en examen dans ce dossier, on retrouve aussi quelques figures du « milieu » marseillais, dans le volet concernant l’extorsion. « Pourquoi tant de personnes liées au grand banditisme vont se préoccuper de faire payer Christian B. ? », cherche à comprendre la juge d’instruction. L’affaire est ainsi remontée jusqu’à Michel-Ange Campanella – l’un des « parrains » marseillais pour les policiers ; « après lui, y a plus que Dieu », estime Yohan A. –, appelé à jouer les arbitres. Quand Michel-Ange Campanella est interpellé et incarcéré en juin dans un autre dossier le mettant en cause, lui et ses proches, dans une affaire d’extorsions présumées de restaurants et d’établissements marseillais, c’est cette fois Jean-Luc Barresi, considéré lui aussi comme une figure du milieu marseillais, qui aurait pris la relève dans cette fonction de juge de paix.
Cet ancien agent de joueurs, installé à Dubaï, résume son rôle, à la recherche d’un « gentleman agreement » entre l’agent officiel du joueur Isaac Lihadji et José Anigo. A la juge, Barresi confesse : « J’ai dit à l’agent qu’il pouvait donner un dédommagement concernant les frais investis pendant les deux ans où [José Anigo] s’est occupé du joueur. » Mais que peut bien signifier un « dédommagement » pour Jean-Luc Barresi, interpellé avec un sac contenant 281 740 euros en liquide ? Foot, banditisme et gros sous…
Le Monde