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Le « conflit d’intérêts » de Nasser Al-Khelaïfi au cœur du rapport de la mission sénatoriale sur la financiarisation du football
Le rôle de celui qui est à la fois président du PSG et de BeIN Media Group est vertement critiqué par la mission sénatoriale sur l’intervention des fonds d’investissement dans le football français.
Par Rémi Dupré et Jérôme Lefilliâtremat
C’est l’un des chapitres marquants du rapport de la mission sénatoriale sur l’intervention des fonds d’investissement dans le football français, rendu public mercredi 30 octobre. Celle-ci dénonce « une gestion insatisfaisante des conflits d’intérêts » et « les effets délétères [de ceux-ci] dans la gestion de la Ligue de football professionnel ».
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Pour lutter contre ce phénomène, le rapporteur, Michel Savin (Les Républicains, Isère), suggère d’imposer « une obligation de déclaration des conflits d’intérêts et une obligation de déport sur les décisions mettant en jeu de tels conflits » aux administrateurs des ligues professionnelles de sport. Surtout, il préconise d’« introduire une incompatibilité entre la fonction de membre du conseil d’administration d’une ligue professionnelle ou de sa société commerciale et la détention d’intérêts ou l’exercice de fonctions au sein d’une entreprise de diffusion audiovisuelle ».
Cette recommandation ne devrait pas passer inaperçue car elle vise directement Nasser Al-Khelaïfi, qui « a participé à l’attribution des droits » TV de la Ligue 1. Dirigeant aux multiples casquettes, le Qatarien est à la fois président du Paris Saint-Germain, de BeIN Media Group, dont la filiale française détient des droits de diffusion de la Ligue 1 (une rencontre par journée) et de la Ligue 2 (la totalité des matchs), un membre influent du conseil d’administration de la Ligue de football professionnel (LFP) et patron de l’Association européenne des clubs. Au terme de ses auditions, souvent à huis clos, la mission sénatoriale estime que « la présence du président du PSG (…) est un problème dans l’exercice par [la filiale commerciale] LFP Media de son activité et pour la transparence et l’efficience du processus décisionnel de la LFP ».
Les sénateurs trouvent ainsi « pour le moins surprenant » la présence de « NAK » lors du conseil d’administration qui a décidé, le 14 juillet, de l’entrée en négociations exclusives avec DAZN et BeIN Sports France. « Le rôle [qu’il a] joué pose question dans le contexte de l’acceptation d’une offre de BeIN Sports, peu compatible avec celle de DAZN, de la gestion du conflit qui en découle avec BeIN, du non-paiement des matchs par ce diffuseur ou encore de la modification de la grille horaire de la Ligue 2, qui n’est plus celle qui était prévue par l’appel d’offres », écrit M. Savin, qui souligne que « Nasser Al-Khelaïfi n’a pas donné suite à la demande d’audition qui lui a été adressée ». Contacté par Le Monde, l’entourage de M. Al-Khelaïfi n’a pas souhaité réagir officiellement, mais assure que le dirigeant respectera les changements mis en place, tout en s’étonnant que le Sénat se focalise davantage sur le dirigeant qatari que sur l’état du football français.
« Faute de gestion »
Le fonds d’investissement CVC Capital Partners, qui possède 13 % de LFP Media depuis 2022, s’est également étonné de la situation. « Il nous semble que les intérêts de la Ligue sont mis à mal par des initiatives politiques ou conflits d’intérêts que certains clubs ne perçoivent pas ou mal », ont tempêté les représentants du fonds d’investissement le 15 juillet, lors d’une réunion du comité de supervision de cette filiale commerciale, dont le rapport sénatorial révèle les termes forts.
Se disant « consternés de la tournure des discussions » ayant abouti à la vente des droits à DAZN et BeIN Sports France, les financiers de CVC, très discrets publiquement, avaient regretté d’avoir été « induits en erreur », tout en dénonçant des « intimidations répétées pendant ces échanges », la « faute de gestion » de Vincent Labrune, « contraire aux intérêts de LFP Media » et sa proximité notoire avec Nasser Al-Khelaïfi.
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« Au cours des six derniers mois, Vincent Labrune nous a toujours répété qu’il s’en remettait personnellement complètement à BeIN Sports (…), et a toujours affirmé qu’il avait un deal avec [la chaîne] qui ferait une offre de 700 millions d’euros pour l’ensemble des droits domestiques, dénoncent-ils, cités dans le rapport. Vincent Labrune a délibérément empêché toute initiative des équipes pour développer des options alternatives afin de ne pas froisser BeIN Sports, et ce depuis des mois. » Si cette offre de 700 millions d’euros n’est jamais arrivée, le groupe qatari a finalement fait une proposition bien inférieure, pour laquelle M. Labrune s’est « contenté de remercier BeIN Sports », selon CVC. Et ce alors que le patron de la LFP avait, « jusqu’aux dernières heures », « affirmé » à CVC, « par écrit », que cette offre était « inacceptable » et « qu’elle n’avait aucun sens en vue de la réussite du deal avec DAZN ».
Le rapport sénatorial relève un montant de « 78,5 millions d’euros par saison » auxquels il faut ajouter 20 millions d’euros « de ressources publicitaires », non « intégré[s] au guide de répartition des droits audiovisuels, qui met en œuvre la distribution des revenus récurrents selon les principes agréés par la LFP ».
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Le rapporteur note que ce partenariat publicitaire, « contesté par certains clubs », « pose de nombreuses questions juridiques, et donne une mainmise aux marques qataries sur le sponsoring de LFP Media ». Ce contrat hybride « n’était toujours pas signé à la fin du mois d’octobre 2024 », précise le rapport, la chaîne souhaitant revoir cet accord.