Information
Marcus Rashford, de l'insouciance aux prises de conscience
Engagé avec force dans la lutte contre l'exclusion et la pauvreté au point d'avoir obtenu une aide d'Etat pour son programme d'aide, l'attaquant de Manchester United Marcus Rashford a vu son image totalement bouleversée.
C'était il y a un peu plus d'un an, un autre âge pour Marcus Rashford. Le 19 juin 2019, alors qu'il passait des vacances à Miami avec son coéquipier de Manchester United, Jesse Lingard, ce dernier avait posté sur Instagram une vidéo grotesque dévoilant leurs chambres d'hôtel en désordre, avec un plan montrant un de leurs amis en train de simuler un acte sexuel avec un oreiller. Sans surprise, les tabloïds les avaient dans la foulée dézingués, les présentant comme des footballeurs bling-bling irresponsables.
Or, depuis juin, les mêmes journaux louent avec emphase les mérites de Rashford, le Daily Star suggérant même qu'il mériterait d'être nommé Premier ministre. Il faut dire que, comme le résumait son coach Ole Gunnar Solskjaer : « Grâce à ce qu'il a réalisé ces derniers mois, Marcus a changé la vie de beaucoup d'enfants : c'est une victoire plus importante que celles qu'il a pu obtenir sur le terrain. »
Il a su convaincre les supporters adverses et... le Premier ministre
Concrètement, dès la mi-mars, juste avant que le confinement ne soit ordonné en Angleterre, le buteur avait relayé via ses réseaux sociaux une campagne de levée de fonds en faveur de l'association FareShare, qui combat le gaspillage alimentaire. Grâce au soutien de Rashford, dès avril, 20 millions de livres (22,1 M€) ont été collectés. Ils ont permis la distribution de 3 millions de repas à des personnes défavorisées. En juin, grâce à plusieurs interventions dans les médias, dont une poignante chronique publiée dans le Times, et via la rédaction d'une lettre ouverte aux députés de la Chambre des communes, le Red Devil avait mis la pression sur le gouvernement britannique pour qu'il prolonge pendant l'été un programme permettant aux familles modestes de recevoir des bons d'achat alimentaires.
Samedi dernier, son influence politique a pris une autre dimension : quelques heures après la victoire des siens contre Everton, Marcus Rashford a annoncé via son compte Twitter s'être entretenu avec le Premier ministre britannique, Boris Johnson, au sujet de sa campagne d'aide aux enfants de familles défavorisées. Un échange fructueux pour l'international anglais puisqu'en plus d'approuver son mouvement, le gouvernement s'est joint à celui-ci en débloquant 200 millions d'euros.
Le dévouement du footballeur avait déjà été salué à tous les niveaux. Par la Reine d'Angleterre en octobre : le Red Devil avait reçu l'ordre de l'empire britannique, une distinction honorifique décernée par la reine récompensant actes de bravoure et de solidarité. Et la rue : le street artist Akse a réalisé une fresque impressionnante en l'honneur de Marcus Rashford. Sur un grand mur de briques de Manchester, la star des Red Devils s'affiche souriant et fier.
Dans chacune de ses prises de parole, l'international anglais (38 sélections, 10 buts) a raconté comment, dans son enfance, sa mère célibataire avait notamment recours aux soupes populaires pour lui assurer un dîner quotidien. Ces récits ont eu un tel écho que le Premier ministre Boris Johnson a appelé le joueur, avant de s'engager à prolonger pendant six semaines le programme gouvernemental d'aide alimentaire. Depuis, Rashford ne cesse de recevoir des éloges : les comptes Twitter des rivaux historiques de MU, Liverpool et Manchester City, l'ont même félicité.
Favori pour être désigné sportif de l'année
Il est désormais le favori pour décrocher le prestigieux titre de personnalité sportive de l'année, qui sera remis en décembre par la BBC. Cette distinction serait d'autant plus légitime que Rashford, même s'il a été victime d'une fracture de stress au dos en janvier, a bouclé cet été sa meilleure saison, avec 22 buts toutes compétitions confondues (en 44 matches). Depuis septembre, il a aussi marqué les esprits en Ligue des champions, avec quatre buts en trois matches et un triplé lors de la victoire impressionnante contre Leipzig (5-0). Ce qui n'avait rien d'évident quand on se souvient que, l'été dernier, Paul Ince, ancien joueur de United et aujourd'hui consultant, doutait qu'il soit « capable de marquer 20-25 buts par an ».
Pour beaucoup, il avait trop vite été mis en avant
À cette époque, Rashford n'était ainsi pas simplement critiqué pour la médiatisation de ses vacances, mais aussi pour ses prestations jugées souvent inabouties par rapport au potentiel immense qu'on lui prête depuis ses débuts avec les Red Devils quand, en 2016, âgé d'à peine 18 ans, il avait inscrit quatre buts et délivré une passe décisive lors de ses deux premiers matches en équipe première.
L'an dernier, un ex-joueur de Premier League nous confiait d'ailleurs en off : « Marcus a été trop vite mis en avant par la presse anglaise : il s'est retrouvé en sélection alors qu'il avait à peine disputé dix matches de Championnat comme titulaire, ça n'avait pas de sens... Il paie le prix de l'attente qu'il a suscitée. »
Un constat qui ne tient plus aujourd'hui, à écouter Jean-Luc Arribart, qui couvre la Premier League pour Canal+ : « Ces derniers mois, il a beaucoup progressé dans ses déplacements : au lieu de chercher systématiquement la profondeur, comme avant, il fait des appels croisés, il part de loin, il décroche... » Pour Arribart, cette évolution va de pair avec ses récents engagements extra-sportifs : « Tu sens qu'il est bien dans sa peau, sa personnalité rayonne désormais sur le terrain et en dehors. C'est devenu un leader de jeu et d'opinion. »
Ce qu'a fini par admettre un des consultants les plus influents d'Angleterre, Jamie Carragher qui, dans le Telegraph du 12 juin, avait reconnu « s'être trompé » en clamant après l'Euro 2016 que l'attaquant de United faisait partie d'« une génération trop gâtée », coupée des réalités. Que « Carra » se rassure : il n'est pas le seul, outre-Manche, à avoir radicalement changé d'avis au sujet de Marcus Rashford.