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Bracconi, le berger corse; L'expérimenté technicien, formateur dans l'âme, est un guide pour cette génération talentueuse. Un sacre en Gambardella couronnerait, s'il le fallait, sa riche carrière.
Il suffit d'un ami, pour faire des miracles. Une main tendue, pour sortir de l'abîme. Voici l'histoire de Christian, 63 ans. Homme aux mille et une vies, né en Algérie française, corse jusqu'au bout des ongles. Fidèle pèlerin du ballon rond, dont le sentier a failli le détourner du Graal tant mérité. La perte d'un emploi, celle d'un être cher, le moral vacille... un coup de fil. À l'autre bout, Yann. Un frère de sentiments, rencontré au gré de ses itinérances. L'invitation est lancée. Une semaine pour s'évader sous le soleil provençal, parler, de tout et de rien, de l'OM, surtout. "C'était en février 2023, Virton (D2 belge) venait de me licencier, ma maman nous avait quittés, glisse avec pudeur Christian... Bracconi, ancien patron des académies de l'AC Ajaccio et du SC Bastia. Ce séjour à Marseille m'a permis de me requinquer." Et de semer, sans le savoir, la graine dans l'esprit de son ami.
Celui qui allait le propulser berger d'une génération dorée, peut-être le second prophète de l'Olympique des Minots, 45 ans après Jean-Claude Coulet, seul entraîneur à avoir ramené la coupe Gambardella sur le Vieux-Port.
"On ne présente plus son pedigree en matière de formation. Quand il est venu à la maison, je lui ai demandé son avis sur certains points. Mais je n'imaginais pas le solliciter pour un poste, vu qu'il venait de passer dix saisons chez les seniors. Mais, petit à petit, j'ai compris qu'il était ouvert à l'idée de s'occuper des jeunes", révèle Yann, Daniélou de son nom, nul autre que le directeur de la pouponnière olympienne. Une autre porte s'ouvre au printemps, quand Michaël Lebaillif, coach des U19, annonce son départ pour la Fédération marocaine. "Yann m'appelle : 'On cherche un éducateur'... J'ai accepté immédiatement. L'OM ne se refuse pas et j'avais envie de revenir à la formation, mes premières amours", avoue Bracconi. Et le voici, un an plus tard, passé du fond des catacombes à une marche du pinacle.
"Un vrai humaniste"
Son épopée pourrait s'arrêter là, en finale, au pied du podium où célèbre Nancy. Un amer épilogue qui ne saurait écorner l'idylle entre le guide de Talasani et ses petits protégés. Des talents bruts polis par des mains expertes, des ados aimés, choyés et, lorsque le besoin s'en fait sentir, sévèrement recadrés. La recette de son succès. "J'aime être proche de mes joueurs. J'aime qu'ils sachent ce que je pense en bien et en mal d'eux. J'ai envie qu'ils se sentent en confiance, qu'ils se confient", insiste le Corse à la barbe grisonnante, d'une voix douce et apaisante qui peut soudainement s'avérer grinçante. "C'est un vrai humaniste", pose Daniélou. "Mais c'est aussi un vrai Corse, franc et sanguin, sourit Nicolas Gennarielli, son historique adjoint. Il aime profondément le joueur de foot, il est pédagogue, donne beaucoup de son temps. Il a une qualité très rare dans le foot, son honnêteté. Alors, quand ça ne se passe pas comme il le souhaite, il peut péter un câble. Ce n'est jamais malsain, c'est pour vous remettre sur les bons rails. Cinq minutes après, c'est oublié. C'est un perfectionniste."
Sur les hauteurs de La Commanderie, Darryl Bakola et les siens l'ont immédiatement adopté, ravis de découvrir cet entraîneur paternaliste. Au Campus, ce sont les adversaires d'un week-end, parfois surpris de recevoir ses félicitations après une lutte acharnée, qui ne tarissent pas d'éloges à son sujet. "Il infuse son humilité, sa simplicité et son opiniâtreté à son groupe. Ce qui en fait l'une des, si ce n'est la meilleure équipe de France", salue l'un d'entre eux. Sa seule fausse note ? Des mots un peu trop doux glissés à l'oreille d'un arbitre. La sanction tombe : 12 matches de suspension.
Tondeuse, Ravanelli et paludisme
Sa peine désormais purgée, ce dérapage rejoint les anecdotes d'une riche carrière. Une goutte d'eau dans un océan de réussites. À commencer par celles forgées dans l'ombre, loin des projecteurs qui ont escorté l'ancien attaquant, vainqueur de la coupe de France 1988 avec Metz. Contraint de raccrocher les crampons à seulement 30 ans, le corps meurtri, Christian Bracconi, alors professionnel au Sporting, entame son virage en épingle. "Je n'ai jamais eu de plan de carrière, je fonctionne au feeling. À cet instant, j'ai voulu me donner à fond pour le monde amateur", insiste-t-il. Pendant sept ans, il sera la cheville ouvrière de l'AS Penta-Folelli, au nord-est de son île. Un petit club de village, "la plus belle pelouse de Corse" précise Bracconi, au sein duquel il touchera à tout. De la tondeuse à gazon, à l'administration, en passant, évidemment, par le terrain, des débutants aux seniors. "On a fait monter les équipes jusqu'au plus haut niveau régional, savoure l'intéressé. Ce passage était important pour me reconstruire. Je voulais passer mes diplômes de formateur et entraîneur. J'ai aussi passé des diplômes qui me permettraient d'intégrer une commune en tant que cadre."
Cadre, un poste qu'il occupera plutôt aux académies de Bastia et d'Ajaccio... avant d'être parachuté dans la cour des grands par Alain Orsoni, président de l'ACA, afin d'éteindre l'incendie allumé par Fabrizio Ravanelli à l'automne 2013. Officiellement, Bracconi tourne alors le dos à la formation jusqu'à son irruption en Provence, l'été dernier. Officiellement seulement. "Il aimait mettre son nez un peu partout. Le centre en faisait partie, forcément, pose Gennarielli. À Tubize (D2 belge, 2017-19), une fois par semaine, on prenait les meilleurs jeunes et on leur proposait une séance d'entraînement avec nous, le staff pro. Ça servait de lien et il gardait un oeil sur tout." Toujours en Wallonie, le berger corse va changer la vie d'un jeune homme égaré. "Si je suis en Serie A aujourd'hui (Hellas Vérone), c'est grâce à lui. Il a changé le cours de ma vie, salue Thomas Henry. Avant de le rencontrer, j'étais un peu perdu, j'enchaînais les clubs dans les petites divisions françaises... Il a été le premier à croire en moi, à me repositionner attaquant. J'ai toujours été très têtu, mais avec Christian, je buvais ses paroles. On n'a travaillé ensemble que six mois, mais je le considère comme mon deuxième papa."
Christian "l'humaniste" Bracconi touche en plein coeur. Jusqu'en République démocratique du Congo, où il a posé son baluchon une saison (2020-21). "Une expérience extraordinaire" vécue avec son compère Nicolas Gennarielli. À la tête du Saint-Éloi Lupopo, dans l'ombre du Tout-Puissant Mazembe, sous les vivats d'une foule en délire, le binôme a réussi son pari : ramener le club en coupe d'Afrique. Ils y ont aussi découvert "la misère qui frappe un peuple fabuleux". "Au sein de notre équipe, il y avait des garçons qui mendiaient pour manger", se rappelle Gennarielli, suivi par Bracconi : "Il a aussi fallu aider ceux qui étaient malades, atteints par le paludisme, en leur procurant des médicaments. C'était dur, mais tellement enrichissant." Une richesse que l'OM et ses minots bénissent chaque jour. Et dont ils profiteront, encore, ces douze prochains mois. "Oui, oui, je ne compte pas partir. Je serai bien là !" Parole de Corse.
La Provence