Personnage central de l’OM depuis trois ans, le président marseillais a perdu du crédit au fil de mercatos malheureux et de changements incessants. BAPTISTE CHAUMIER ET MéLISANDE GOMEZ (avec M. Gr.)
Puisque les joueurs passent parfois en coup de vent, que les entraîneurs n’ont jamais le temps de s’installer et que les anciens sont tous partis, il n’en reste plus qu’un pour incarner l’OM de ces dernières saisons, et c’est Pablo Longoria, président du club depuis février 2021. L’ancien directeur sportif a eu de bonnes idées de recrutement, parfois, mais il a un peu perdu la main ces derniers mois, à force de tout vouloir changer tout le temps. Aujourd’hui, alors que Marseille est à la peine en Championnat (8e) et que l’effectif affiche ses limites, les choix de l’Espagnol font logiquement discuter, et son avenir à la tête du club interroge.
Une politique sportive illisible
Onze arrivées et quatorze départs à l’été 2021, pour façonner un effectif à Jorge Sampaoli ; seize arrivées et quinze départs pendant l’été 2022, pour satisfaire l’exigeant Igor Tudor ; onze arrivées et treize départs durant l’été 2023, pour se glisser dans le système de Marcelino : depuis que Longoria a pris les commandes, les chassés-croisés des mercatos marseillais sont classés en rouge par Bison futé. Il n’est pas évident de comprendre quelque chose à la politique sportive de l’OM, quand la moitié de l’effectif est balayée tous les ans dans le grand courant d’air estival.
Quelle identité de jeu la direction du club veut-elle mettre en place ? Quel projet à moyen terme envisage-t-elle de mener pour installer l’OM parmi les meilleurs d’Europe, l’objectif annoncé de Frank McCourt lors de son rachat, en 2016 ? Au gré des mouvements de personnel, Longoria change de discours et peut passer d’un extrême à l’autre, à l’image du grand écart entre Tudor, son 3-4-3 et son marquage tout terrain, à Marcelino et son 4-4-2 rigide et structuré. Quand le Croate a signé, le président marseillais expliquait qu’il l’avait choisi justement pour cette identité de jeu qui, selon lui, représentait l’avenir du football et le seul chemin pour rivaliser avec les meilleurs, l’intensité, les courses, l’agressivité, la densité physique. Un an plus tard, cette mode était déjà passée, sans doute parce que Tudor lui-même avait décidé de s’en aller. Comme Sampaoli avant lui, et comme André Villas-Boas en janvier 2021 : les mercatos de Longoria finissent par interroger les entraîneurs sur la cohérence du projet et la priorité de la direction.
S’agit-il d’abord de construire et développer une équipe, ou de vendre et acheter des joueurs ? Ils semblent avoir fait le même constat, et la politique n’évolue pas vraiment, à l’image du bref passage au club de Renan Lodi (juillet 2023-janvier 2024), potentiel intéressant, à peine arrivé, déjà reparti, parce qu’on ne refuse pas une (petite) plus-value, et tant pis s’il faut ensuite recruter deux arrières gauches au lieu d’un. Pas encore habitué à la philosophie de la maison, où tous les joueurs sont à vendre du premier au dernier jour du marché, Gennaro Gattuso a un peu tiqué en apprenant le départ du Brésilien. Avant d’être un maillon de l’équipe première, le joueur est une monnaie d’échange et il est probable, par exemple, que Pape Gueye ne trouve pas beaucoup de temps de jeu ces prochains mois. Le Sénégalais est en fin de contrat en juin et ses dirigeants ont fait passer le message qu’on ne le verrait pas souvent sur les pelouses : pourquoi l’exposer en vitrine s’il n’est pas à vendre ?
Des cadres sans cesse exfiltrés
Gattuso a rapidement effectué un constat implacable et il a été conforté sur le sujet par le nouveau conseiller sportif Medhi Benatia : cette équipe manque cruellement de leaders. Peut-être parce qu’ils ont tous été exfiltrés au fil des mercatos frénétiques menés par la direction. Steve Mandanda a été le premier visé, comme un symbole. Légende du club, joueur le plus capé de l’histoire de l’OM, le gardien de but a quitté la Commanderie en catimini à la fin juin 2022 sans cérémonie d’adieu ni tour d’honneur, quelques jours avant le départ surprise de Jorge Sampaoli. Mis en concurrence avec Pau Lopez l’été d’avant, « Il Fenomeno », chouchou du Vélodrome, a été rétrogradé sportivement pendant un temps avant de récupérer sa place et d’être précieux dans la conquête de la deuxième place. Mais Mandanda a été marqué par cette saison éprouvante comme par une remise en question de son niveau et de sa place dans le club par les dirigeants eux-mêmes.
À son arrivée à Marseille, à l’été 2020, Longoria avait été très clair, en privé : aucun joueur n’était intransférable, pas même Mandanda ou Dimitri Payet. Le Réunionnais est parti un an plus tard au bout d’une saison de frustrations sous les ordres de l’intraitable Tudor. Justement, en coulisses, les dirigeants, à commencer par Javier Ribalta, n’ont cessé de déplorer son état d’esprit comme son hygiène de vie (cela doit rappeler un épisode récent à Jonathan Clauss). Une façon de le pousser vers la sortie et de casser son image auprès du public marseillais. Malgré un manque de rythme évident, Payet a pourtant été l’un des rares joueurs offensifs performants derrière Alexis Sanchez. Et les pastilles vidéo de ses matches et de son bonheur retrouvé à Vasco de Gama aujourd’hui sont des coups au cœur pour les supporters.
Mattéo Guendouzi, aussi, était devenu un des joueurs favoris des virages, mais il ne sera resté que deux saisons avec un goût d’inachevé. Le milieu de terrain a mal vécu le départ de Sampaoli, le changement de style de jeu et de management, plus autoritaire sous Tudor. Il a fini par être déclassé dans la hiérarchie des milieux et son état d’esprit a été remis en cause par les dirigeants, encore une fois, soucieux de l’exfiltrer l’été dernier sans déclencher trop de remous chez les supporters.
À l’été 2022, ils étaient nombreux à l’aviation générale, à Marignane, à l’arrivée de Sanchez pour fêter la signature de l’international chilien, un joueur XXL comme l’OM n’en avait peut-être pas connu depuis Lucho Gonzalez (2009-2012). L’ancien du Barça n’a pas déçu les fans olympiens. Mais, avec lui aussi, l’avis des dirigeants a subitement changé : ses données physiques auraient baissé au fil de la saison, ses prétentions salariales auraient été trop élevées. Et il a fini par partir, lui aussi, alors que l’OM a été capable de gros efforts financiers pour attirer Geoffrey Kondogbia, Pierre-Emerick Aubameyang ou Joaquin Correa…
Des mercatos ratés
Le recrutement n’est pas une science exacte, et il ne suffit pas de s’appuyer sur les datas pour limiter la marge d’erreur. Mais c’est justement en se trompant moins que ses concurrents que l’OM de Pablo Longoria avait réussi ses premiers mercatos, notamment son premier dans le costume de président à l’été 2021 (Saliba, Guendouzi, Ünder, etc.). Le bilan est nettement moins reluisant depuis avec en point d’orgue le départ cet hiver de Vitinha chez le club ami du Genoa, habitué à recycler les erreurs de casting de l’OM (Strootman, Radonjic, Malinovski). Vitinha, plus gros transfert de l’histoire de l’OM (32 M€), ne sera donc resté qu’un an sous le maillot olympien et il est difficile de l’imaginer revenir même si l’option d’achat incluse dans son prêt au Genoa (25 M€) semble déjà impossible à lever.
D’autres ont connu des passages express à commencer par Luis Suarez, pas le bon, l’autre. Six mois après son transfert, l’attaquant est reparti à Almeria en janvier 2023. Même chose pour Ruslan Malinovski, recruté pour éclipser Payet et déjà revenu en Italie. D’autres choix ont interpellé dans cette période comme la prolongation pour quatre ans, en 2021, du contrat de Jordan Amavi qui s’en va de prêt en prêt depuis, ou l’achat de Pol Lirola, réduit à la même condition de joueur à baluchon. Comment expliquer tous ces ratés ? La cellule de recrutement de l’OM a beaucoup changé depuis la promotion express de Longoria à la présidence. Cet été, ils sont encore nombreux à avoir quitté le club dans le sillage de Matthieu Louis-Jean, débauché par l’OL. L’ancien scout de clubs anglais a décidé de rejoindre le rival lyonnais pour la promotion proposée – il est responsable du recrutement – mais aussi parce que sa voix ne comptait finalement que très peu à l’OM. D’autres anciens Marseillais l’ont rejoint ces dernières semaines, Mathieu Seckinger, Thomas Maurin ou encore Omar Sciolla. Ces derniers avaient déjà remplacé Ferhat Khirat, Michel Flos, Emmanuel Clément ou Georges Santos. Les hommes changent donc régulièrement ce qui rend toute continuité impossible dans ce secteur. Le recrutement a de toute façon été concentré dans les mains de quelques-uns à commencer par celles de Longoria, qui se retrouve bien en première ligne aujourd’hui.
Son avenir incertain
Après la réunion houleuse du 18 septembre qui avait vu la direction du club tancée par les responsables de groupes de supporters, Pablo Longoria n'avait pas caché ses envies d'ailleurs et il avait pris quelques jours de réflexion avant d'indiquer qu'il restait en poste. Une décision provoquée aussi par l'insistance de Frank McCourt, qui avait besoin de son président pour continuer de diriger le club et ne pas se retrouver sans personne à la barre en cours de saison. Plus de quatre mois sont passés, depuis, et Longoria a repris le costume mais il est davantage isolé, en interne, puisque sa garde rapprochée a perdu des membres importants. Javier Ribalta, d'abord, son ami et bras droit sur le mercato, n'est jamais revenu après la fameuse réunion et attend un nouveau projet. Pedro Iriondo, ensuite, le directeur de la stratégie et du développement, a officialisé son départ à la mi-janvier, après avoir peu à peu pris du recul, lui aussi marqué par les échanges tendus de la mi-septembre.
Des proches du président, il ne reste plus que Marco Otero, le directeur du centre de formation, et ce casting revu laisse planer la sensation d'une fin de cycle. D'autant que Longoria, auprès de certains proches, confesse ses envies d'ailleurs. Dans l'entourage du président, on confie qu'il « est conscient des difficultés actuelles mais plus que jamais déterminé à tout mettre en oeuvre pour que le club atteigne ses objectifs de fin de saison mais aussi sur le long terme ». D'abord très populaire auprès des supporters marseillais, qui étaient surtout heureux de voir Jacques-Henri Eyraud quitter le club, Longoria ne fait plus l'unanimité, aujourd'hui, comme le signale la banderole des Ultras déployée contre Monaco (2-2), il y a dix jours, qui fustigeait un « président dépassé ».
En poste depuis février 2021 dans une position exposée qui en a épuisé bien d'autres avant lui, l'Espagnol se dit fatigué mais reste présent et combatif dans les instances. Au club, en revanche, il collabore avec Stéphane Tessier, qui prend de plus en plus de place. Et avec Medhi Benatia, qu'il a recruté pour son carnet d'adresses mais sans trop de cohérence, peut-être : en septembre, après la réunion, Longoria dénonçait des « menaces inacceptables », mais les menaces semblent moins déranger Benatia, dont les proches n'hésitent pas à intimider des journalistes. C'est Tessier qui gère de plus en plus les affaires du quotidien, au club, et l'ancien Stéphanois aussi s'est entouré de personnes de confiance, au centre de formation, à la communication, au marketing ou au recrutement.
L'Equipe