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ENTRETIEN; "L'OM doit retrouver son identité"; Ravi des résultats de l'équipe d'Igor Tudor en championnat, le président olympien n'en reste pas moins focalisé sur le développement de son projet. Il le détaille pour "La Provence"
Vendredi soir, dans les entrailles du stade Raymond-Kopa, à Angers, il enchaînait les tapes amicales. L'OM venait de surclasser le Sco (0-3) et confortait sa place en haut du classement de Ligue 1. Pablo Longoria savourait. Avec 23 points pris sur 27 possibles, l'équipe d'Igor Tudor réalise une entame de championnat époustouflante. De quoi conforter le choix de l'Espagnol, qui a pris le risque de miser sur le Croate tout en sachant qu'il allait modifier considérablement la philosophie de jeu olympienne. Une décision totalement assumée par le président de la maison ciel et blanc. Un changement de cap radical. Depuis qu'il a été nommé à la tête du club le plus fada de l'Hexagone, en février 2021, l'Ibère s'attelle aussi à faire évoluer les mentalités à l'intérieur même de l'institution provençale. Avec un objectif clair en tête : revenir aux fondamentaux, concentrer tous les efforts autour du sacro-saint ballon rond. Tout le contraire de son prédécesseur, en somme.
Hier, en milieu d'après-midi, il s'est posé durant plus d'une heure au Dantès Skylounge du Sofitel Marseille Vieux-Port pour détailler l'avancée de son projet à La Provence. Il en a aussi profité pour pousser un coup de gueule contre les incidents réguliers qui émaillent les matches européens de l'OM depuis un an. Interview.
L'OM réalise un début de championnat tonitruant. Vous devez être ravi...
Nous sommes contents, cela veut dire que le changement commence à avoir de l'effet. On a toujours dit qu'on verrait la vraie équipe au mois de septembre. Aujourd'hui, on observe sur le terrain les choses dont on avait parlé lors de nos premières conversations avec Igor (Tudor). Quand les choses sont cohérentes, normalement, les résultats arrivent ensuite. Cela nous montre qu'on a pris le bon chemin.
Auriez-vous imaginé que ça se passerait si bien aujourd'hui quand, fin juillet, des tensions sont apparues entre Igor Tudor et quelques joueurs qui avaient du mal à assimiler ses méthodes ?
Notre début de saison en championnat est extraordinaire, c'est le mot. Même si on savait qu'on avait un bon effectif, obtenir 23 points sur 27 possibles, c'est exceptionnel. Mais je ne suis pas surpris parce que je connais le niveau du groupe. On savait que notre idée était peut-être une nouveauté pour le championnat français, mais celle-ci était nécessaire.
Des renforts comme Jonathan Clauss, Chancel Mbemba, Nuno Tavares ou Alexis Sanchez ont très vite trouvé leur place et sont des éléments clés. On entend déjà que votre marché estival des transferts est une franche réussite. Trouvez-vous cela prématuré ?
On doit toujours évaluer un mercato au mois de juin, à l'issue de la saison, comme l'an dernier. Je n'aime pas faire de jugements en cours de saison. Le plus important pour moi, c'est de parler des profils de joueurs. Un recrutement ne peut jamais être parfait : on peut toujours se tromper. Mais lorsqu'il est basé sur les profils, on sait que l'adaptation va être plus rapide. On ne recherche pas les noms, on recherche les caractéristiques pour développer un type de football particulier.
Qu'est-ce qui vous plaît dans ce que vous voyez sur le terrain ?
L'agressivité, l'impact physique et la verticalité. On a cherché à construire un effectif en analysant les données physiques des joueurs et leurs caractéristiques pour proposer un football basé sur les duels gagnés et la récupération, mais aussi leurs capacités techniques pour avoir plus de verticalité et de jeu vers l'avant. On voit une équipe qui ressemble à Marseille, elle bataille, elle court, elle a la rage.
À l'inverse, le début de la campagne de Ligue des champions est raté, avec deux défaites en deux matches. Comment l'expliquez-vous ?
Il faut avoir une réflexion plus générale. Nous sommes dans un club qui est très exigeant lorsqu'on joue cette compétition. C'est normal par rapport à notre histoire et notre ADN. La pression qu'on a en coupe d'Europe est énorme. Pour nous, le match à Angers était fondamental, car il y a ensuite la réception d'Ajaccio puis le déplacement à Paris. Pourtant, on avait le sentiment que là, la pression était limitée. En revanche, quand on joue contre l'Eintracht Francfort en Ligue des champions, elle est très élevée. On doit l'accepter. En plus, il faut contextualiser. La réalité de l'OM, c'est qu'en C1, nous sommes dans le quatrième chapeau. Cela veut dire qu'on affronte des adversaires très forts. Mais il faut tout de même être compétitif : à Tottenham, on a fait un bon match, mais nous n'étions pas satisfaits du résultat. Contre l'Eintracht, il faut reconnaître que ce n'était pas un bon match. Mais il y a encore des possibilités.
Qu'attendez-vous de la double confrontation décisive face au Sporting ?
On a un match important à domicile, même si c'est difficile sans nos supporters. Nous devrons aussi être très compétitifs au Portugal pour sortir de là avec des possibilités. En Ligue des champions, même avec des mauvais résultats sur les deux premiers matches, si tu es performant sur les 3e et 4e journées, tu te donnes une possibilité de te qualifier.
L'objectif est toujours la qualification, ou pensez-vous que la 3e place peut être une porte de sortie honorable ?
Tant que c'est jouable mathématiquement, on doit toujours être ambitieux.
Mardi, le match contre les Portugais se disputera dans un Vélodrome à huis clos. C'est frustrant...
Beaucoup. Et spécialement parce qu'il faut faire son autocritique. Cela me frustre de voir ce qui s'est passé dans notre stade en Ligue des champions. Ce n'est pas acceptable. Cela fera partie d'une réflexion plus importante pour tous les acteurs autour de l'OM : les instances, les autorités, les supporters et le club. C'est le moment de faire changer les choses parce que ce qui s'est passé est inadmissible.
Le club a décidé de ne pas faire appel des sanctions. Pourquoi ?
Il suffit de lire le rapport de l'UEFA pour comprendre que c'était impossible d'avoir gain de cause. C'est aussi une question de cohérence et d'éthique. On est passé à quelques centimètres d'une catastrophe... La violence est inadmissible.
Les dernières rencontres européennes au Vélodrome ont toutes été émaillées d'incidents. Le sujet vous tient à coeur. Que comptez-vous faire pour y remédier ?
C'est bien qu'il y a quelque chose qui ne fonctionne pas. En tant que club, on est obligé d'agir. On a déjà commencé en faisant des travaux dans le parcage visiteurs. On doit l'améliorer, pour éviter les contacts visuels entre les supporters. On doit aussi améliorer le pré-filtrage, pour ne plus que des objets interdits soient introduits dans le stade. C'est une question clé. Il faut aussi améliorer le périmètre de sécurité et faire un plan de mobilité autour du stade pour éviter que des personnes sans billet n'y accèdent. Pour faire ce type de choses, on a besoin de tout le monde. Il faut une prise de conscience de la part de nos supporters. Ils doivent comprendre qu'il y a des choses intolérables.
Les groupes effectuent un travail de prévention et de sécurité au sein de leur propre association. Mais parfois, ils peuvent aussi être débordés par des individus ingérables venus de l'extérieur...
Je le comprends. Il y a une faille de sécurité dont nous sommes responsables au club. Un stade de football ne doit pas être une zone de non-droit. L'Orange Vélodrome accueille beaucoup de gens, pas seulement les groupes de supporters. Il y a des familles, des enfants. S'il n'y a pas de périmètre sécurisé autour du stade, on va éloigner beaucoup de monde du football.
Vous avez justement eu une réunion avec les leaders de groupes de supporters jeudi soir à La Commanderie. Ils demandent le changement de place du parcage visiteurs. Allez-vous accéder à leur requête ?
Notre stade a une particularité. Aucune autre enceinte en Europe n'a deux virages avec des supporters organisés comme chez nous. En analysant cela, la chose la plus normale est donc d'avoir un parcage visiteurs qui soit le plus éloigné possible de ces deux virages. Après, avec les autorités, il faut trouver comment sécuriser tout le monde. On a des réunions régulières avec elles, on travaille ensemble. On veut un Vélodrome plein à tous les matches. Ils doivent se dérouler dans les meilleures conditions. Tout le monde doit être content de venir assister à un match de l'OM.
L'OM a aussi procédé directement à des suspensions d'abonnements pour les fauteurs de troubles. C'est une nouveauté.
C'est normal. Il y a des gens qui n'ont pas leur place à l'intérieur d'un stade de football. Il faut des règles, comme dans la vie.
Frank McCourt a démissionné de son poste de président du conseil de surveillance et a été remplacé par son fidèle bras droit Barry Cohen. Jeff Ingram est aussi entré dans cet organe. Est-ce que cela change quelque chose pour vous ?
C'est le reflet de la manière dont nous fonctionnons au quotidien à l'intérieur du club, avec des dirigeants qui prennent les décisions et doivent en reporter au groupe McCourt dans un canal de communication normal. Frank McCourt a beaucoup de projets à l'intérieur de son groupe, il place des gens de confiance. C'est une organisation en adéquation avec la réalité du fonctionnement du club. Mais on continue de parler avec lui de toutes les décisions importantes pour l'avenir.
Jacques-Henri Eyraud va, lui, se retirer définitivement. Quelles sont vos relations depuis que vous l'avez remplacé à la présidence ? Allez-vous postuler pour lui succéder au sein du conseil d'administration de la LFP, qu'il va aussi quitter d'ici la fin de l'année ?
Ce sont des rapports corrects. Il représente l'OM dans les instances. Mais la situation est simple à comprendre : nous sommes concentrés dans notre travail au quotidien pour transformer le club. Après, la conséquence naturelle pour chaque président de Ligue 1 est de présenter le travail réalisé au quotidien face à tout le monde.
De votre côté, vous vous appuyez surtout au quotidien sur Pedro Iriondo, le directeur de la stratégie, Javier Ribalta, le directeur du football, et Stéphane Tessier, le directeur général adjoint en charge des finances et des investissements. Avez-vous le sentiment d'avoir trouvé la bonne équipe pour vous entourer ?
Comme je l'ai dit, on est dans un projet de transformation qui vise à revenir aux fondamentaux du football. Je suis très satisfait du projet, spécialement parce qu'on a une équipe de dirigeants jeunes en qui j'ai une grande confiance. Mais ce n'est pas la confiance qui fait me sentir à l'aise dans la gestion de l'OM, c'est la compétence que chacun des trois a dans son domaine. Nous travaillons très bien ensemble. Je me sens maintenant beaucoup mieux préparé à prendre des décisions et faire tous les changements qu'il faut au club. J'ai une vision très claire du chemin que l'on doit prendre.
On entend parfois parler d'un "clan des Espagnols" à l'OM. Que répondez-vous à cela ?
Pour moi, ce n'est pas une question de nationalité, c'est une question de compétence. Tous les changements génèrent de la critique. Spécialement quand ils sont basés sur la rigueur, l'exigence, la détermination, l'ambition et une ligne de conduite claire. Avoir de l'autorité, c'est la voie naturelle pour faire grandir l'OM. C'est normal qu'après ça, beaucoup de gens qui ne partagent pas cette idée commencent à attaquer différentes personnes. Cela ne me plaît pas. C'est aussi la conséquence de la société actuelle où on cherche à protéger individuellement sa position et non l'institution. Les changements, parfois, font peur, mais ils sont nécessaires pour faire évoluer le club.
Quelle vision avez-vous du club pour l'avenir ? Quels sont les objectifs à long terme ?
Avoir une équipe performante dans laquelle les supporters s'identifient, une équipe dont ils peuvent être fiers. Avoir un Orange Vélodrome plein à tous les matches, rempli de gens contents d'y venir en sécurité. Avoir un club qui fédère les acteurs majeurs de la ville et de la région, avec un propriétaire engagé dans tous les changements quotidiens en vue du futur.
À titre personnel, comment vous sentez-vous à l'OM ? On sait qu'être président de ce club, c'est un poste particulièrement difficile à assumer...
Chaque jour, je me sens mieux. Spécialement parce que j'ai une équipe de direction qui me donne beaucoup de confiance, qui est bien préparée. On commence à faire des changements qui nous mènent vers ce que je veux construire depuis le premier jour. Normalement, on fait des changements dans des périodes où l'on n'a pas de résultats. C'est plus difficile de le faire quand tout va bien sur le terrain. Je vois une évolution, je suis content parce que j'aime ce club. On commence à acquérir les valeurs que je partage dans la vie et dans le football.
Il y a, enfin, un sujet important pour le futur : le centre de formation, où vous avez effectué beaucoup de modifications ces derniers mois, en nommant notamment Marco Otero au poste de directeur technique. Pouvez-vous nous détailler le nouveau projet ?
Je précise d'abord que Marco est suisse (rires). Le centre de formation est fondamental pour l'avenir du club. Pour être fier de l'équipe, il faut pouvoir s'identifier à elle. Il est nécessaire d'avoir des joueurs ayant grandi à l'intérieur du club à qui on a transmis les bonnes valeurs. C'est nécessaire d'un point de vue économique. Un joueur du centre de formation qui est vendu, c'est une plus-value nette. Marco est un des meilleurs spécialistes dans toute l'Europe. Il a fait un travail extraordinaire à Valence. On a discuté avec Javier et lui et, là encore, on veut revenir aux fondamentaux : on doit faire de la formation sur notre territoire. Pourquoi aller prendre des joueurs à Paris et dans d'autres régions?
On doit travailler ici et fédérer tout Marseille avec nous. On ne peut pas accepter de voir des joueurs marseillais ayant très peu joué à l'OM comme Mohamed Simakan (Leipzig) ou qui n'ont carrément jamais porté notre maillot à l'image de Wesley Fofana (Chelsea) ou Jérémie Boga (Atalanta). On doit pouvoir profiter du lien entre la ville, le département, la région et le club pour bâtir un vrai projet au sein duquel chaque jeune d'ici rêve de jouer chez nous. L'OM doit retrouver son identité.
À propos du Vélodrome, justement, vous venez de renégocier le loyer annuel avec la mairie. Le montant fixe est passé de 5M€ à 6,5M€, avec une part variable à 9M€. Le maire de Marseille, Benoît Payan, s'est dit satisfait. Et vous ?
C'est une bonne négociation à partir du moment où la vision de la mairie et celle du club étaient, au départ, très éloignées... Les deux parties sont maintenant satisfaites. On a travaillé ensemble avec la mairie et nous avons trouvé un point d'équilibre. Dans le contexte économique, la Ligue des champions nous permet de faire un effort. On ne pourrait pas le faire sans elle. Cela a aussi permis à la mairie de faire un effort pour la sécurité du stade. C'est donc plus que correct, même si on doit travailler pour trouver un accord sur le moyen terme, car c'est la deuxième fois que nous faisons des négociations pour un an. Il faut prendre en compte toutes les particularités de la ville. Plus d'un tiers du stade est à un prix populaire, nous sommes fiers de cela. Cela fait partie de la culture du club. Je comprends les nécessités municipales, et il est important de comprendre aussi les nécessités que nous avons d'améliorer la sécurité et l'infrastructure pour accueillir des événements majeurs. C'est un des loyers les plus chers en Europe, mais nous sommes fiers de pouvoir encore entretenir le côté populaire de l'OM en proposant les prix qu'il y a en virages.
On sait que les finances de l'OM ne sont pas extensibles. Nos confrères de "L'Équipe" évoquaient récemment une somme de 19M€ à trouver dans les prochains mois, hors secteur sportif. Qu'en est-il exactement ?
Analyser les finances avec des petites questions est toujours une erreur. Il faut prendre la globalité. Nous sommes dans une situation où la Ligue des champions et l'argent de CVC (fonds d'investissement devenu actionnaire minoritaire du football français contre 1,5 milliard d'euros) arrivé à la Ligue nous permettent d'être dans une situation économique favorable.
Notre objectif est toujours de terminer à zéro dans nos comptes d'exploitation en fin d'année. Il faut faire du football avec l'argent qu'on a. Pour nous, la chose la plus importante, c'est le projet sportif. On doit faire une bonne équipe. C'est cela qui va nous permettre d'avoir plus d'argent dans le futur. On construit autour d'un résultat sportif. De l'autre côté, il faut savoir qu'historiquement, l'OM a perdu beaucoup d'argent. Il faut comprendre pourquoi : parce que le club n'était pas performant sur le terrain, parce que le centre de formation n'était pas productif, parce que le modèle économique du football français est basé sur les cessions de joueurs. Or, l'OM n'a pas vendu beaucoup de joueurs lors des dernières saisons.
Il faut donc se demander : est-ce qu'on est dans un ratio sportif qui est bon par rapport à nos revenus ? Oui. Car nous n'avons pas une équipe extrêmement chère et n'avons pas dépensé beaucoup d'argent pour les joueurs. Il y a en revanche des coûts opérationnels élevés, beaucoup plus que dans les autres clubs européens. Il faut les baisser en étant plus efficace au quotidien. Par exemple, le coût de l'électricité a augmenté. Il faut donc réduire notre consommation. On doit adapter la réalité du travail du club à son projet réel. Et quel est-il ? On a une équipe qui joue au football, un centre de formation, un stade, et des supporters. Et comme ils sont nombreux, nous avons des contrats commerciaux car la fan base est élevée. Mais il ne faut pas chercher à faire cent choses à la fois. Il faut revenir aux fondamentaux, à la base du football.
Allez-vous encore devoir vendre des joueurs lors du prochain mercato ou le récent départ de Cédric Bakambu, qui a allégé la masse salariale, est suffisant ?
Cela va dépendre des résultats sportifs. Mais on a réduit de plus de 50% les pertes du club dans les dernières saisons et, pour la première fois, on peut espérer être à l'équilibre, avec un bilan à zéro.
À ce propos, Bamba Dieng, que vous vouliez vendre cet été, est entré en jeu avant-hier à Angers. C'est le début d'un nouveau chapitre à l'OM pour lui ?
On l'a dit depuis le jour où il est rentré (de Nice, où il a échoué à la visite médicale) : il a vécu un été très difficile. À chaque fois qu'il y a un changement, il faut s'adapter. Certains joueurs le font tout de suite, d'autres mettent plus de temps. Depuis ce qui s'est passé le dernier jour du mercato, il s'est très bien entraîné. La conséquence naturelle, c'est qu'il a retrouvé du temps de jeu. Après, c'est au coach de prendre ses décisions. Mais cela veut bien dire que le travail au quotidien aux entraînements paye, quand tu veux retrouver ta place dans l'équipe.
La Provence