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PARCOURS; Comme un air de déjà-vu... De Los Angeles, où il a torpillé une franchise phare du sport américain tout en s'enrichissant, à Marseille, où le club le plus populaire du foot français est à la dérive, retour sur les crises vécues par le Bostonien
Rentre à Boston", "Boycott McCourt", "Vends les Dodgers et quitte Los Angeles", "Les McCourt sont des voleurs", "Nous voulons divorcer des McCourt"... Ce 9 juillet 2011, à l'angle de Sunset Boulevard et Elysian Park Avenue, à Los Angeles, Frank McCourt fait face à la fronde des fans des Dodgers, réunis pour la première fois en groupe organisé, avant un match contre les Padres de San Diego. Un mouvement contestataire d'une petite centaine de participants, munis de pancartes et chargés d'insultes, rythmé au chant de "McCourt must go" (McCourt doit partir) et "Go back to Boston" (Retourne à Boston).
Une colère immortalisée par Juan Ramirez, un fan inconditionnel des "Boys in Blue", dans le documentaire "Blue revolution". Une galerie de portraits de fidèles déçus qui permet de mesurer leur haine, et de suivre l'embargo économique décrété à l'époque, avec les actions de boycott, des places de match aux maillots, en passant par les hot-dogs, preuve de l'importance de l'affaire. Ils étaient même allé jusqu'à appeler à la rescousse Mark Cuban, le propriétaire NBA des Dallas Mavericks. "Les fans ont boycotté, ils sont restés à l'écart du stade et la fréquentation a diminué (sous la barre des 3 millions de visiteurs annuels en 2011, une première depuis 2000, ndlr). Mais pas assez pour faire une différence. Il est très difficile d'amener les propriétaires à renoncer à leur participation dans leur franchise. Vous pouvez donc haïr Frank McCourt autant que vous le voulez, mais vous ne pouvez pas le forcer à vendre", décrypte Kevin Baxter, reporter au Los Angeles Times.
De quoi rappeler que la vindicte marseillaise, entamée au stade Vélodrome en 2018 avec l'éviction des Yankee, avant d'enfler au fil des mois et d'exploser avec fracas à La Commanderie samedi dernier, n'est pas une première pour le propriétaire de l'OM. Même si, entre Los Angeles et Marseille, où la tension est plus vive encore, la situation et le contexte ne sont pas les mêmes.
Au coeur des déboires du Bostonien dans la cité des Anges, il y a surtout eu des affaires personnelles. C'est le "Billion dollar divorce", ainsi que l'ont surnommé les médias américains en 2009, qui a levé le voile sur l'état calamiteux d'une des plus grandes franchises du sport américain, fondée en 1883 du côté de Brooklyn, avant de déménager en 1958 sur la côte ouest. Son lot de révélations publiques a permis de dévoiler le train de vie somptuaire et les dépenses folles des McCourt, qui confondaient allègrement leur compte en banque avec les caisses du club, pour acheter des maisons de luxe à Malibu notamment. Reste que, après 30 ans d'union, Jamie, la présidente (qui fut nommée ambassadrice des États-Unis en France par Donald Trump en 2017), et Frank, le proprio (remarié depuis 2015 avec Monica Algarra), ont opté pour le tribunal. Du pain bénit pour la justice américaine, qui a mis le nez dans les comptes du club, oups, du couple.
"Ils ont systématiquement dépouillé les Dodgers de leurs actifs et de leurs liquidités pour leurs besoins personnels", enfonçait la puissante Major League Baseball. Furax devant l'étendue des dégâts (une dette cumulée de 459 millions de dollars entre 2004 et 2009 et 100M$ de prêts contractés pour rémunérer les joueurs, selon Forbes), Bud Selig, le patron de la MLB, décide d'intervenir. D'abord en mettant son veto à un contrat télévisé pour couper la source de revenus des Dodgers, puis en déclarant le 20 avril 2011 une mise sous tutelle et l'arrivée d'un administrateur pour contrôler les dépenses. "Frankrupt", jeux de mots sérigraphié sur t-shirt en référence à la banqueroute, placera la mythique franchise en faillite deux mois plus tard, avant d'accepter de vendre. Contraint et forcé par l'inflexible Ligue américaine. Pour l'anecdote, au terme du divorce le plus cher de l'histoire de la Californie, Jamie a accepté 130 millions de dollars pour renoncer à sa créance sur le club alors que la procédure a coûté la bagatelle de 20 millions de dollars en frais juridiques. Les fans du "Blue Crew", eux, étaient cocus depuis un bail.
En Provence, outre son absentéisme et le décalage entre ses rares prises de parole et ses actes pour améliorer l'équipe, c'est plutôt son idylle avec Jacques-Henri Eyraud qui ne passe pas. Invité à céder le plus fada des clubs français alors que les spéculations sur le rachat font rage, le Bostonien martèle un soutien indéfectible à son président. Un "partner in crime", aux yeux des supporters marseillais, dont le départ, tel qu'ils le réclament après plusieurs échecs retentissants (sportif, économique, administratif), apaiserait pourtant la situation.
Absent, comme depuis plusieurs mois et encore ce soir pour la réception du PSG, mais aussi muet, Frank McCourt a pris la plume dimanche par le biais d'un communiqué soigneusement diffusé par le club, pour condamner les incidents à La Commanderie. Un épisode que le propriétaire de l'OM a dénoncé sans détour, quitte à se perdre en route en évoquant des "forces obscures" et en osant comparer les violences et dégradations du 33 traverse de la Martine à l'insurrection mortelle du Capitole, à Washington, le 6 janvier. "C'est typique de Frank McCourt. Cela n'a rien à voir avec le soulèvement du Capitole, mais McCourt aime se présenter comme la victime. Il l'a fait à plusieurs reprises ici et a blâmé les médias pour ses ennuis et la vente de l'équipe. Mais les médias n'ont pas forcé McCourt à vendre l'équipe ou à déclarer faillite. C'est le commissaire de la MLB et les tribunaux qui l'ont fait", analyse Kevin Baxter.
Autrement symboliques, les images de l'intrusion de supporters de l'OM ont tout de même fait le tour de la planète, et des États-Unis. De quoi se rappeler au bon souvenir de l'ex-boss des Dodgers, toujours considéré comme l'un "des pires propriétaires de la MLB". "Dans l'histoire récente, cela ne fait aucun doute", assure Baxter. Dans son édition de dimanche, le "LA" Times s'est fait l'écho du "fiasco" au centre Robert Louis-Dreyfus. Envoyé spécial à Marseille en 2019 pour raconter le nouveau défi de McCourt, notre confrère n'est pas surpris. "En 2019, mon article avait suscité essentiellement deux types de réactions. La première : "Pourquoi écrivez-vous sur Frank McCourt ? Oubliez-le ! Nous sommes heureux qu'il soit parti, ne parlez plus de lui, nous essayons de l'oublier". La deuxième : "Pauvre Marseille. Ils vont le découvrir. Frank McCourt va détruire l'OM de la même façon qu'il a détruit les Dodgers". Ce qui s'est passé le week-end dernier n'a surpris personne ici", indique-t-il. De même, Dodgernation, un site dédié aux fans des "Boys in Blue", n'a pas manqué de rappeler que "trois choses sont certaines dans la vie : les impôts, la mort et le fait que McCourt rate tout ce qu'il entreprend".
Seule ligne à son crédit, à la faveur d'une conjoncture hyperfavorable avec la hausse de la valeur des clubs à la fin des années 2000 et avant la renégociation des droits TV, McCourt restera à jamais "Franky-la-Culbute" : l'homme qui a plombé un club iconique tout en se remplissant les fouilles avec une plus-value colossale à la revente et en empochant un bénéfice d'1 milliard de dollars. Achetés en 2004 à la Fox pour 430 millions de dollars (et à crédit, déboursant seulement 9M$), les Dodgers ont ainsi été revendus huit ans plus tard pour 2,15 milliards de dollars (plus de 4 fois la mise !) au consortium Guggenheim, en mars 2012. Un record de cession de franchise dans le sport américain. Et un soulagement incommensurable pour les aficionados. "Il est toujours impopulaire. Les fans étaient très heureux de le voir partir. Ils estiment qu'il a détruit les Dodgers en les utilisant comme sa banque privée.Dans mon papier, j'avais beaucoup parlé du projet du Parc Chanot et du plan de McCourt pour gérer le Vélodrome, cela ressemblait à ce qu'il voulait faire ici. Lorsqu'il a acheté les Dodgers, il a également obtenu le stade et le terrain qui l'entoure. Son plan était de développer toute la zone en un complexe de divertissement composé de restaurants, de magasins et de cinémas, comme il voulait le faire avec le Parc Chanot. Certains pensent encore que les Dodgers n'étaient pas son seul intérêt, qu'il voulait plutôt l'immobilier. Les projets qu'il avait à Marseille semblaient très similaires en 2019. C'était comme s'il avait pris ses plans de Los Angeles et les avait emmenés en France...", se souvient Baxter, alors que le boss de l'OM possède la moitié des parkings du Dodgers Stadium.
Avec quel résultat ? L'avenir le dira, même si le présent n'a rien de réjouissant. À Los Angeles, Frank McCourt avait clairement laissé pourrir la situation. "McCourt persiste et dit qu'il continue à faire ça dans l'intérêt de la communauté. Mais ne voit-il pas ce qui se passe ?", pestait Roger Arrieta, l'organisateur du mouvement anti-McCourt en juillet 2011, à l'époque.
À Marseille, l'Irlandais d'origine semble emprunter le même chemin. "Ce déferlement de violence me conduit plus que jamais à réaffirmer ma volonté et mon engagement pour l'OM et les Marseillais. Il est toujours plus aisé de détruire que de construire. Nous sommes des bâtisseurs", assurait-il dimanche dernier. "S'il pouvait vendre l'équipe pour un profit énorme, cela correspondrait à ce qu'il a fait à Los Angeles", conclut Kevin Baxter. Son compère Bill Shaikin, plume du "LA" Times qui avait révélé le scoop de la mise sous tutelle des Dodgers en 2011, reste perplexe : "Il me semble que la question est : la Ligue française veut-elle l'éliminer ? Et si ce n'est pas le cas, comment serait-il contraint de vendre ?"
"C'est la pire chose qu'il puisse arriver à l'OM", nous avait confiés un ancien dirigeant d'une franchise américaine, fan invétéré des Dodgers, au moment du rachat de l'OM par McCourt, moyennant 45M€. Les supporters olympiens n'ont pas attendu aussi longtemps que les Américains pour renifler la supercherie. Mais tiendront-ils autant ? "Who is the boss in this club ? McCourt, get your balls out !" ("Qui est le patron dans ce club ? McCourt, sortez vos c..."), cinglait les South Winners, déjà, en septembre 2017. "McCourt, le king des guignols", pouvait-on lire sur une banderole le week-end dernier. Et aujourd'hui ?
La Provence