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BOUDJELLAL Passion de minot
À la fois futur président du Sporting Club de Toulon et partie prenante d’un projet de rachat de l’OM, Mourad Boudjellal jette actuellement son dévolu sur le football, l’un de ses amours de jeunesse.
« Qu’est-ce qui me fait courir à bientôt 60 ans ? Un monde que je ne connais pas. Je suis mûr pour le foot. Je suis attendu au tournant, c’est ce qui m’attire. Si je me plante, je prendrai ma retraite. Je me mets en danger, ça me plaît. Si ça marche, j’aurai payé ma dette vis-à-vis de la ville de Toulon. »
Ces mots de Mourad Boudjellal, prononcés dans nos colonnes le 31 janvier dernier alors qu’il venait d’annoncer son intention de prendre le contrôle du Sporting Club de Toulon (relégué en National 2), résument assez bien la quête de fond du personnage : aller là où on ne l’attend pas, prendre le risque de se brûler les ailes en volant toujours plus haut, et honorer, chaque jour qui passe, sa ville natale.
Mais à l’heure où il s’est enfin « emparé » du Sporting (1), tout en jetant de façon spectaculaire son dévolu sur l’OM, on peut se demander si, oui ou non, il y a de l’amour (du ballon rond) dans tout ça, ou si Mourad Boudjellal se tourne désormais vers le monde clinquant du football uniquement par sens des affaires, par besoin vital de se challenger et de provoquer, ou encore par vanité…
Si toutes ces raisons se mêlent certainement, il serait faux de penser que Mourad Boudjellal n’a aucun attachement affectif à l’histoire du football : « Lorsque j’étais au lycée, dans un petit club de Toulon, j’étais gardien de but, confiait-il en février 2016 sur le site onatousuncotefoot.fr. Gamin, je suivais le club de Toulon, et je me souviens être allé les voir jouer à Monaco à l’époque où ils évoluaient en D1 (1983-1993). J’étais aussi au Vélodrome pour une victoire 4-3. Il y avait les Paganelli, les Roussey et mon ami Courbis, que j’adore... Je pourrais aussi vous parler de Marc Duval, plus loin en arrière, quand le Sporting était en D2 et qu’il recevait Nancy avec un jeune joueur qui était entré en fin de match et qui s’appelait Michel Platini. J’ai suivi le Sporting quand il est descendu en National, remonté en L1, ce qui était un événement ici. Ils avaient même manqué la qualification européenne de peu (en 1985), pour une défaite lors du dernier match, face à Nantes à domicile, 1-2. »
Une vraie culture foot sur les Verts de 1976 ou le grand Ajax du début des années 1970
Bien que le Sporting eût logiquement ses faveurs, il était incollable sur les Verts de 1976 et collectionnait les vignettes Panini. « J’étais derrière l’AS Saint-Étienne et j’adorais les Verts, leur épopée européenne (il avait alors 16 ans), avec les frères Revelli, Larqué, Curkovic, Janvion, Piazza, Lopez ou Rocheteau, le premier footballeur à pouvoir faire partie des Beatles grâce à son style et ses boucles », confie Boudjellal dans Ma mauvaise réputation, livre coécrit avec Arnaud Ramsay en mai 2013, bien avant ses projets footballistiques.
Et son amour sincère pour ce sport n’était pas cantonné à la France. « J’ai été aussi marqué par l’aventure de l’Ajax Amsterdam, qui a gagné trois fois la Coupe d’Europe des clubs champions au début des années 1970 (1971, 1972, 1973), poursuit-il. Les Cruyff, Neeskens, Rep, Haan ou Mühren m’enchantaient, leur équipe ressemblait à un groupe de rock. » Le rock, la scène, la foule et les projos… autant de sirènes qui faisaient rêver et peut-être saliver le jeune Mourad de Toulon, en quête de réussite, de gloire et de reconnaissance.
« Culturellement, Mourad est plus proche du football que du rugby, confirme Arnaud Ramsay, qui coécrit en ce moment un troisième livre avec lui (2). En plus, il y a une filiation entre lui et Bernard Tapie, dont il est fan. Et comme il a un gros ego, il veut se prouver et prouver aux autres qu’à 60 ans il peut relever un nouveau défi et, comme Tapie, réussir dans deux sports différents (Tapie avait aussi œuvré dans le cyclisme). Depuis qu’il a quitté le monde du rugby et qu’il a dit être intéressé par le football, il a été approché par plusieurs clubs. Le connaissant, je pense que Toulon est son choix de cœur, et l’OM le choix de la déraison. »
Pour autant, l’OM a toujours été présent dans ses fantasmes. « Mon club de cœur reste l’OM, découvert avec les Bereta, Carnus, Trésor, Novi, Charly Loubet, Skoblar ou Magnusson, confie-t-il encore dans Ma mauvaise réputation. À 16 ans, j’ai fugué pour assister au Vélodrome à un OM - Saint-Étienne. J’avais pris le train sans billet jusqu’à Marseille. Je n’avais pas de ticket pour le match, ça se jouait à guichets fermés, alors j’ai grimpé sur le mur. Malgré un steward qui menaçait de m’envoyer les maîtres-chiens si je sautais, je l’ai fait. » En 2016, quand un journaliste d’onatousuncotefoot.fr lui demande quel club de foot il choisirait s’il devait en devenir président, Boudjellal répond sans hésiter : « L’OM évidemment ! Même si le défi serait immense, il n’existe pas de batailles impossibles. De tous les clubs français, l’OM est de loin celui qui a le plus fort potentiel. »
Une attirance pour Marseille qui n’étonne pas Rolland Courbis, joueur puis entraîneur du Sporting de 1982 à 1990, et joueur (1971-1972) puis coach (1997-1999) de l’OM: « Mourad est un mec super intelligent qui a réussi dans les affaires, dit le natif de Marseille. C’est un malin. À Toulon, il a d’abord choisi le rugby car il savait bien que ce n’était pas avec le football qu’il aurait réussi à faire gagner sa ville. Mais aujourd’hui, vu ce qui se passe à l’OM, si Mourad a vraiment avec lui des moyens saoudiens aussi élevés que ceux des Qatariens, ce sera plus rigolo pour lui de voir un jour Lyon, Paris et Marseille se tirer la bourre que de gérer le Sporting Toulon. »
Mais encore faut-il que Boudjellal, boulimique et électrique, choisisse désormais sa route, et ne parte pas en même temps partout où le vent nouveau l’emporte, ce que certains acteurs du football lui reprochent : « Le football intéresse Mourad car c’est le sport n o 1 en France, il y a beaucoup d’argent et pas mal de magie, nous confie un acteur du milieu. Faire partie de ce “circus” parle beaucoup à son ego, à l’heure où il se demande ce qu’il va faire les quinze prochaines années de sa vie. En quelques semaines, il a eu le projet du Sporting, puis de l’Athlético Marseille (en février dernier, avant la rétrogradation du club en R2 pour irrégularités financières), puis à nouveau le Sporting, puis maintenant l’OM (Cannes et Tours l’auraient aussi approché)… Sa façon de courir après plusieurs lièvres agace du monde. Le foot est un milieu que Mourad ne connaît pas et qui peut se refermer aussi vite qu’il s’est ouvert. On dit que “qui trop embrasse mal étreint”... À l’arrivée, il pourrait aussi se retrouver avec rien du tout. »
(1) Après de longs échanges, un accord a été trouvé vendredi entre Claude Joye et Mourad Boudjellal. Joye demeure l’actionnaire majoritaire du Sporting Toulon et il nommerait Boudjellal au poste de président. Cet accord est néanmoins soumis à une condition suspensive, liée au désengagement de Boudjellal dans le dossier du rachat de l’OM.
(2) Le deuxième est « Un président devrait dire ça plus souvent », paru en 2017.