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Dernier entraîneur à avoir qualifié l'OM en Ligue des champions, Élie Baup a assisté à la défaite olympienne samedi contre Reims (0-2). Présent au stade Vélodrome avec sa casquette de consultant pour beIN Sports, le Haut-Garonnais, heureux avant le match et dépité après le coup de sifflet final, analyse les difficultés olympiennes.
Vous attendiez-vous à ça ?
Que voulez-vous que je vous dise ? C'est comme s'il n'y avait pas eu de coupure ni de préparation. On a retrouvé l'équipe comme on l'a laissée.
C'était prévisible...
Oui, c'est le même effectif. Et en l'absence de Lucas Ocampos, qui dynamisait le côté gauche, et de Florian Thauvin, blessé, on sent la différence. Il y a un nouvel entraîneur, mais sur le terrain, on a revu les mêmes maux.
La préparation estivale a pourtant laissé entrevoir de bonnes choses...
Steve Mandanda, oui. Ce n'est plus celui de l'an dernier, qui a raté sa saison. J'ai retrouvé le gardien que j'ai connu quand j'étais à Marseille à l'époque. Et après ?
Des promesses dans le jeu...
Si vous voulez... Mais je peux en parler longtemps, c'est une méthode qui m'intéresse et que j'essaie de comprendre. La périodisation tactique est l'essence même de l'école portugaise, de Villas-Boas, Jardim, Sousa et bien d'autres. C'est la méthode Frade (du nom de l'universitaire portugais qui a théorisé le concept, ndlr). C'est une méthode qui demande beaucoup de travail. Elle suppose que tout le monde doit donner une réponse collective par rapport à des situations de récupération du ballon ou de jeu offensif. On travaille sur la notion d'espace et de temps, c'est un boulot de longue haleine. En résumé, il faut supprimer les réponses individuelles au profit des réponses collectives.
Cette méthode n'a pas de côté analytique. Ce n'est pas du physique un jour, de la tactique un autre jour, puis du mental. C'est la globalité du jeu qui est prise en compte. Les joueurs travaillent toujours avec le ballon et dans des situations de jeu pour pouvoir résoudre les problèmes. Ce ne sont pas des automatismes, mais des réponses collectives de jeu. Ce qu'on n'a pas du tout vu samedi. Par exemple, l'OM a insisté sur la largeur, mais la profondeur n'y était pas. Le repli adverse était de qualité, et il n'y avait pas assez de changements de rythme ou de vitesse dans les passes et les déplacements du côté de l'OM. C'est ce que demandait Marcelo Bielsa à l'époque, et c'est ce qui manquait contre Reims. Il y a eu trop de ballons sur les côtés, et pas assez de variantes. Or, ces idées de jeu demandent d'occuper beaucoup de positions sur le terrain, avec des espaces libérés par de faux appels.
Vous comprenez Luiz Gustavo quand il dit qu'il faut du temps pour assimiler les consignes de Villas-Boas ?
Je pense tout de suite à ça, oui. Il y a un gros travail à faire sur la créativité et l'intelligence de jeu collective. Ça demande beaucoup de temps car ce ne sont pas des réponses individuelles, comme ce peut être le cas avec un Florian Thauvin, qui peut débloquer une situation en dribblant trois mecs et en finissant par une frappe ou un caviar. Là, il faut débloquer la situation par des déplacements collectifs. Ça demande du temps, je le répète, de l'assimilation, du travail de vidéo... J'en reviens à Bielsa qui, même si son système à la récupération était extrême pour moi au niveau défensif, avec un marquage individuel à la perte de balle, sur le plan offensif, c'était extraordinaire. Mais c'est vieux comme le monde, ça ne vient pas seulement des Portugais : pour jouer, il faut créer de l'espace, et pour défendre, il faut les fermer.
André Villas-Boas doit-il déjà être plus pragmatique ?
Beaucoup d'entraîneurs sont à la recherche de résultats immédiats. Le plus rapide pour y arriver, c'est de bien défendre et de jouer en transition. Ce qu'a fait Reims, d'ailleurs. Pour avoir du beau jeu et faire plaisir aux supporters, mais aussi aux joueurs, ce qu'il ne faut jamais oublier, les méthodes de travail demandent beaucoup, beaucoup de temps. Et de l'adhésion, aussi. On peut parler de la nouvelle règle des six mètres qui permet de repartir de sa propre surface. Cette nouvelle règle est faite pour ceux qui veulent avoir le ballon, comme l'OM, pas pour le gardien de Reims qui gagne du temps sur chaque sortie et fait remonter son bloc pour jouer long. Pourquoi partir des 5,50 m et multiplier les passes ? Pour faire venir l'adversaire dans les 16 mètres afin de créer de l'espace dans son dos. Mais même ça, on ne l'a pas vu, alors que c'est une forme d'adaptation. J'avais pourtant entendu Mandanda dire que c'était intéressant de travailler ce genre de choses.
Comment l'expliquer ?
Ce sont des détails. Moi je ne parle que de football, pas de trucs psychologiques ni de mecs revanchards... Revanchards de quoi, d'ailleurs ? Ça ne peut pas durer. Tu ne peux pas bâtir une saison sur le fait d'être revanchard. On me dit qu'en 2012, quand je suis arrivé, les mecs étaient revanchards et c'est ce qui explique notre bonne saison (2e). Il y a un peu de ça, certes, mais ça ne fait pas tout.
Qu'avez-vous pensé de la prestation du milieu de terrain ?
Ils n'ont jamais traversé les lignes adverses, ils ont manqué de vitesse dans les transmissions et les déplacements pour amener des solutions. C'était trop à plat. Après, il faut aussi aller chercher l'adversaire et le provoquer, passer dans son dos... Du 7e étage, j'ai vu des situations étonnantes, avec neuf joueurs de Reims et l'attaquant en pointe, mais quatre défenseurs de l'OM pour s'occuper du seul Dia. Pour contrôler un attaquant, tu n'as besoin que de deux joueurs, un pour le presser, l'autre pour le couvrir ; les autres doivent s'engager dans le jeu à mort ! D'autres fois, Strootman et Sanson se projetaient si haut qu'ils laissaient un espace béant entre eux et les défenseurs centraux. Personne ne proposait de solution verticale, tout passait sur les côtés. Quand ils sont positionnés trop haut, on en revient au tempo, à la notion d'espace et de temps de la méthode. Ils auraient dû reculer, se projeter en alternance. C'est cette coordination des déplacements qui nécessite une réelle exigence collective.
Y a-t-il un problème de système ?
Les idées, les principes de jeu et les méthodes s'adressent à tout le monde. Les systèmes s'adressent aux joueurs par rapport à leurs qualités. Je pense que le 4-2-3-1 avec Payet en numéro 10 est le mieux adapté. Quand j'étais là, Mathieu Valbuena n'avait plus les jambes pour travailler sur le côté dans un 4-3-3. Payet doit être dans une position où il touche plus de ballons. Villas-Boas a dit à la fin que "Dim'" devait davantage "éclairer et créer le jeu" ; il l'éclairera et il le créera s'il est derrière l'attaquant.
Comment avez-vous trouvé Dario Benedetto, entré sur la fin ?
Ça restera pareil qu'avec Valère Germain, à mon sens. Ce n'est pas Tony Cascarino ! Je le dis pour déconner, mais ce n'est pas un mec de 2 mètres qui est là pour mettre des coups de tronche. Son profil ne correspond pas à ce qui est proposé. Du coup, il faut arriver à combiner avec les joueurs qui sont là, créer dans les petits espaces, avoir des déplacements qui libèrent l'espace pour recevoir des ballons au sol...
Défensivement, c'était compliqué aussi, notamment pour le jeune Boubacar Kamara...
Dans une défense, il faut un leader. Le gardien ne peut pas l'être. Il faut gérer la notion d'espace, de surnombre, guider les latéraux, couvrir l'autre axial pendant qu'il monte et inversement, demander à un milieu de rester ou le libérer... Bref, il faut du commandement. Sur les coups de pied arrêtés, ça se voit. Peut-être que Gonzalez va avoir sa carte à jouer, il a du tempérament, la notion de collectif. Le problème à Marseille, au vu de la situation, c'est que trop de joueurs jouent pour faire leur match, et pour ne pas passer au travers. Ce n'est pas suffisant. Il faut avoir l'assurance comme Luiz Gustavo de faire son match, mais surtout être dans l'idée du collectif, être là pour les autres. Quand j'étais en poste, Nicolas Nkoulou était fort individuellement, mais il amenait un truc aux autres. On a fini deuxièmes. Les mecs vont comparer, dire qu'on était nuls et que c'était bidon, d'accord. Mais Lucas Mendes, qui jouait à côté de Nkoulou et a profité de son assurance, était plus faible que les défenseurs actuels de l'OM. Caleta Car et Kamara sont là pour faire leur match, pas pour diffuser de la sérénité et aider l'équipe. Peut-être que Gonzalez va nous donner cette réponse. Je dis nous car vous savez que j'aime ce club, et ça me fait chier (sic) de le voir comme ça.
Comment avez-vous réagi en voyant les supporters déjà en colère ?
Il y a tout pour que ce soit festif à l'OM. Quand tu as vécu Marseille, tu as vécu le plaisir du foot, la passion, la folie... Et comme tout ce qui est passionnel, quand ça ne va pas, ça bascule du mauvais côté. C'est dommage. Je voyais les gens avant le match. Je suis de l'autre côté de la barrière maintenant, je suis avec les médias, autour du stade avant et après les matches. Le matin, en arrivant, tu vois les gens, les familles, les gosses, tout le monde avec le maillot... C'est magnifique, et tu ne le vois pas ailleurs ! Les mecs veulent tous faire la fête, et ça finit dans la contrariété...
Pensez-vous que Jacques-Henri Eyraud puisse tenir dans cette situation ?
Ouf... (Il siffle) Aujourd'hui, il doit se poser beaucoup de questions. La solution passe peut-être par le recrutement, mais il faut mettre de l'argent, investir, et bien. Ce qui est passé est passé, mais c'est la réalité économique et on est allé foutre de l'argent sur un mec comme Strootman alors qu'il n'y a pas de rentabilité derrière. La prolongation de Garcia, les indemnités de licenciement, les erreurs de recrutement avec Mitroglou, Sertic et compagnie... Vous rendez-vous compte ? C'est complètement fou. Que peuvent penser les gens, les amoureux de l'OM ? Que le passé est soldé ? Ce n'est pas le cas... Il faut du neuf, du nouveau, du plus efficace, du plus joyeux, du plaisir, des nouveaux joueurs... Mais solder le passé, ça coûte cher !
Un mot sur le calendrier, avec deux déplacements à Nantes et à Nice, puis la réception de Saint-Étienne...
Quand tu as une méthode et un projet de jeu comme celui-là, tu ne peux pas te mettre dans l'efficacité immédiate. C'est un choix. Je l'ai fait dans ma carrière, et j'ai souvent regretté ces choix dictés par la nécessité du résultat. Par contre, il y a besoin de points. Il faut analyser, avoir du recul, se dire que sur un match, tu ne vas pas jouer comme Reims, mais tu peux t'en inspirer. Mais normalement, cette méthode ne veut pas ça sur le moyen et le long terme, et c'est peut-être pour ça que dans le football, on achète et on vend sans arrêt. On n'accepte pas de prendre le temps.
C'est ce que fait Bordeaux, on verra si ça fonctionne. Ils se disent : "On va perdre, on ne va pas être bien, mais on va avoir des joueurs, des jeunes, des nouveaux"... C'est peu ou prou le projet de Bielsa, agir sur la méthode, prendre le temps, éviter les secousses permanentes. Pour l'OM, le calendrier est ce qu'il est, mais il faut surtout savoir si cette méthode va prendre avec ce groupe de joueurs. À mon avis, il faut un mix entre séquences de possession et de transition. Ce n'est pas simple d'appliquer les idéologies de grands entraîneurs. Et Villas-Boas ne semble pas avoir les moyens de ses ambitions.
La Provence