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Comment Noël Le Graët a pris le leadership du foot français depuis le début de la crise du coronavirus
La crise du coronavirus en a apporté une nouvelle preuve : à 78 ans, le président de la FFF règne sans partage sur le football français.
Personne ne l'avait vu venir, mais il n'est plus jamais reparti. Modeste président de Guingamp, un bourg d'à peine 6 000 habitants qui s'est hissé en Division 2, Noël Le Graët a su sortir du rang pour remplacer, le 19 octobre 1991, Jean Sadoul, décédé quelques semaines plus tôt, à la tête de la Ligue nationale de football. Inconnu, jugé sans grande ambition et sans charisme, il ne devait pas faire d'ombre aux cadors de l'époque, comme Bernard Tapie (Marseille) ou André Laurent (Saint-Étienne), qui espéraient secrètement manipuler celui que l'on présente alors comme un homme de paille.
C'était mal le connaître. Car le petit Breton, industriel à succès dans les surgelés de la mer, va vite mettre tout le monde d'accord. Et ne pas beaucoup partager le pouvoir qui lui a été confié. Supposé effacé et timide, il se révèle courageux, souvent autoritaire, et doté d'un caractère bien trempé.
Il devance la LFP
Près de trente ans plus tard, rien n'a vraiment changé. Celui qui dirigeait la Ligue est devenu président de la Fédération française, en 2011, et consulte toujours assez peu avant de fixer le cap. C'est sa nature et elle s'exprime pleinement depuis le début de la crise sanitaire qui a mis le football, professionnel et amateur, à l'arrêt.
Mardi, quelques minutes après avoir écouté Édouard Philippe, le Premier ministre, déclarer qu'il était impossible de reprendre avant le mois d'août, Le Graët (78 ans) annonce, sur le site L'Équipe : « C'est terminé pour la Ligue 1 et la Ligue 2. » Les deux Championnats sont pourtant, en théorie, sous la responsabilité de la LFP.
Il fixe les règles, sans s'embarrasser de précautions oratoires
Le Graët donne ensuite la marche à suivre : prise en compte du classement au moment où la saison s'est arrêtée, avec deux montées et deux descentes. « Les textes sont comme ça, tranche-t-il. On a montré l'exemple avec les amateurs et croyez-moi, ce n'est pas si facile. » Alors que certains, comme Jean-Michel Aulas, le président de l'OL, imaginent encore des systèmes pour achever coûte que coûte la saison...
Dans la foulée, la FFF publie un communiqué aux allures de liste de courses à faire pour les dirigeants du secteur professionnel : « Le Comex de la FFF invite la LFP à lui faire part dans les meilleurs délais des conséquences sportives qu'elle entend tirer de la situation pour clôturer les Championnats de L1 et de L2 et mettre en place un projet de reprise d'activités pour la saison 2020-2021 au regard des précisions qu'apportera le gouvernement dans les prochains jours. La FFF sera particulièrement attentive à l'équité sportive et à la viabilité économique des orientations qui seront préconisées. »
Il s'agace de la cacophonie au sein du foot pro
Depuis plusieurs semaines, Le Graët, qui a toujours été assez direct, ne s'embarrasse définitivement plus de précautions oratoires. Lors du bureau de la LFP du 10 avril, il moque « les acrobates du financement » qui imaginent contracter des emprunts à l'étranger pour sauver le football français, visant notamment Gérard Lopez (Lille) et Loïc Féry (Lorient), mandatés pour trouver des fonds.
Dans nos colonnes, à l'issue de celui du 16 avril, agacé par la cacophonie qui règne au sein du foot pro, il dégaine : « Il faut remettre un peu d'ordre. C'est compliqué d'avoir trop de gens qui s'expriment de façon différente sur les mêmes sujets. Il y a besoin d'une cohérence. On en manque. [...] La Ligue doit être forte. Elle se fragilise presque toute seule, tout le temps. Il faut qu'elle prenne des décisions très unitaires. »
Une semaine plus tard, il prend à nouveau la parole, comme c'est son habitude, en tout début de réunion, pour annoncer aux dirigeants de la LFP et à ceux des clubs sa dernière volonté, qu'il nous révèle dans la foulée : « J'ai demandé que le premier match soit la finale de la Coupe de France (PSG-Saint-Étienne). On pourrait reprendre avec cette rencontre, le samedi 13 juin ou le 20 juin. Cela donnerait une bonne image du football amateur et professionnel que l'on démarre par cette compétition. Et on jouerait la finale de la Coupe de la Ligue (PSG-Lyon) trois jours après. Comme ça les deux coupes auraient lieu avant le début du Championnat. On est en train de refaire le calendrier, à la Fédé et à la Ligue. Cette proposition n'a pas été contredite. Je considère que quand on ne me dit pas non, c'est oui. »
Le tout alors que le calendrier de reprise avait déjà été acté... Mais personne n'a moufté. Aujourd'hui, malgré l'arrêt de la saison, Le Graët n'a pas renoncé à faire jouer sa finale de Coupe de France en la programmant en ouverture de 2020-2021... Une idée intéressée car, si elle ne se dispute pas, la FFF n'encaissera pas les 4 M€ encore dus par ses diffuseurs (France Télévisions et Eurosport).
Certains le voient continuer après 2021
Mais si le président de la FFF donne ainsi le ton, c'est aussi parce que la LFP, silencieuse depuis le début de la crise, est fragilisée. La dispersion du pouvoir entre Nathalie Boy de la Tour, la présidente, et Didier Quillot, le directeur général exécutif, joue en sa faveur. Et les deux dirigeants, exclus par exemple des négociations avec les diffuseurs du Championnat (Canal + et beIN Sports) pour récupérer les impayés, ont déjà bien du mal à résister à la pression des clubs.
Sans trop d'efforts, Le Graët s'impose donc comme le patron incontesté du football français. Et pourrait même avoir envie de le rester encore un peu. À 78 ans, tout en menant un combat pour l'instant victorieux contre la maladie, il assure son mandat qui doit le mener jusqu'en en mars 2021. Et certains, au vu de sa forme du moment, le soupçonnent d'être prêt à repartir pour un tour.