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Les vraies raisons des blessures à répétition d'Ousmane Dembélé au Barça
Très souvent touché aux ischios depuis son arrivée au Barça il y a deux ans et demi, Ousmane Dembélé, dont la saison actuelle est terminée, voit sa prometteuse carrière gâchée par des blessures en chaîne. Le Barça y a sa part de responsabilités.
Ce matin, comme tous les matins, Ousmane Dembélé se lèvera un peu avant 9 heures. Il avalera le petit déjeuner diététique préparé par Anthony, son cuisinier personnel, avant de commencer à 10 heures son travail quotidien de rééducation. Des habitudes de quasi-lève-tôt pour celui qui a souvent été présenté comme un facétieux couche-tard : il s'agit surtout, ici, de déconstruire d'emblée la réputation faite à l'attaquant français de 22 ans. Depuis son arrivée au FC Barcelone pour 145 M€ (bonus compris), à l'été 2017, la courbe de son hygiène de vie croise celle de sa santé. La première, longtemps imparfaite, ne cesse de s'améliorer, tandis que la seconde est en chute libre. Dès lors, il faut trouver d'autres arguments que les parties nocturnes de PlayStation pour expliquer les multiples récidives de ses graves blessures aux cuisses.
Touché aux ischios de la jambe droite, Dembélé n'a plus joué depuis novembre. Et sa rechute à l'entraînement, le 4 février, a mis un terme à sa saison et à ses rêves d'Euro 2020. Dans son entourage, on décrit pourtant le joueur comme « positif, motivé, et plus que jamais déterminé à réussir au Barça ». L'international français (21 sélections, 2 buts) relativise beaucoup, et c'est déjà ça, parce que les observateurs extérieurs, eux, s'inquiètent. Pourquoi se blesse-t-il autant ? Les causes sont multifactorielles, mais il faut déjà établir un constat : avant son arrivée en Catalogne, Dembélé ne se blessait jamais.
Son premier gros pépin est survenu en septembre 2017 (biceps fémoral de la cuisse gauche), quelques semaines après son transfert record de Dortmund au Barça. Pour l'expliquer, une des interprétations serait de dire que la grève de l'entraînement qu'il a menée cet été-là pour forcer son départ du Borussia, et durant laquelle il ne s'est pas suffisamment entretenu, ne l'a pas aidé à démarrer son aventure à Barcelone du bon pied. En Allemagne, on ne voit pas de raison objective à ce que le joueur se blesse plus en Espagne que dans la Ruhr, où il jouait tous les matches avec l'intensité que l'on connaît en Bundesliga. Au BVB, Dembélé était très proche de Thomas Tuchel, qui lui parlait énormément. L'actuel entraîneur du PSG le cadrait et lui apprenait beaucoup de choses, notamment à propos de la récupération.
À Barcelone, où il vit avec son meilleur ami et son oncle, l'attaquant s'est retrouvé davantage livré à lui-même, à 20 ans. Des sources internes au Borussia assurent aussi que l'hygiène de vie de Dembélé, supposée mauvaise, est souvent « fantasmée », même si elle n'a pas été idéale lors de sa première saison à Barcelone. Le joueur n'avait d'ailleurs pas eu de mal à le reconnaître à la fin de ce premier exercice lors d'une réunion avec le staff et les dirigeants blaugranas, et son entourage s'était structuré pour ne plus rien laisser au hasard. Moussa Sissoko, son représentant qui vit à Londres, a notamment pris un autre logement à Barcelone pour être plus souvent auprès de son joueur. Contacté, l'agent n'a pas souhaité s'exprimer.
« Chez lui, il n'y a plus aucun produit préparé, il n'y a plus de soda : que du sain et du frais, explique Anthony Audebaud, le cuisinier embauché à plein temps par Dembélé cette saison. Ousmane, il est fort au foot et il pensait que juste avec ça, ça suffirait. Mais il grandit et il comprend. Aujourd'hui, il mange de la dorade, du bar, du coquelet, beaucoup de légumes. C'est dur de voir tout ce travail et cette malchance dans les blessures, car il n'a jamais pris autant soin de lui. C'est un garçon très casanier, calme, il n'y a jamais de fête à la maison. J'ai imposé des horaires de repas, c'est lui qui m'a demandé ça. Maintenant, il y a un planning à la maison, tout est écrit, c'est très pro. »
En off, le Barça reconnaît sa responsabilité
Dembélé a donc troqué le Coca pour des jus frais pomme-poire-ananas, et il a aussi amélioré son sommeil. « Mais tous les joueurs de la génération Z se couchent tard, minimise un habitué de Clairefontaine. Ce ne sont pas des gens du matin. Minuit, 1 heure, c'est tôt pour eux, et ce n'est pas propre à Ousmane. Car si on dit ça de lui, on peut aussi citer Benjamin (Mendy), Lucas (Hernandez), Kylian (Mbappé)... Et puis, on ne peut pas demander à Ousmane Dembélé et à Hugo Lloris d'être entourés de la même façon. Ce n'est pas la même manière de vivre. Ous' a vraiment pris conscience de tout ça, sauf que ses muscles ne tiennent pas... »
Pourquoi, alors, craquent-ils à Barcelone quand ils tenaient le choc à Rennes et Dortmund ? Le profil physiologique de Dembélé, combiné à la manière de s'entraîner du Barça, est un élément de réponse majeur. Le dribbleur français, explosif et rapide, sollicite en matches ses muscles comme un sprinteur. Or, les séances du FC Barcelone ne préparent pas à ces efforts-là, et donc à la prévention d'éventuelles blessures. La clinique d'Aspetar, à Doha (Qatar), suit Dembélé depuis sa rechute. Elle a réclamé au club catalan les données GPS du joueur. Il en ressort que le Français effectue plus de 90 % de ses courses au sprint en match, alors que cela dépasse difficilement les 20 % aux entraînements. « Il n'a pas de rappels à haute intensité dans la semaine qui lui permettent de supporter la charge aérobie en compétition, analyse Sébastien Lopez, préparateur physique, passé notamment par l'AS Monaco. En préparation, il faut prendre en compte les différents paramètres athlétiques des joueurs. Mais il y a des cultures club qui ne correspondent pas aux besoins des profils que ces clubs recrutent. »
Le Barça s'entraîne plutôt au rythme de Piqué, Busquets ou Messi, les cadres historiques du vestiaire. Selon des sources proches du club, le milieu hollandais Frenkie De Jong a pris un préparateur physique personnel quelques semaines seulement après son arrivée, l'été dernier, lorsqu'il s'est aperçu que la charge de travail aux entraînements ne correspondait plus du tout à ce qu'il avait connu à l'Ajax. Lors d'une réunion tenue cet automne avec le staff médical et Dembélé, certains dirigeants barcelonais ont reconnu la responsabilité du club catalan dans l'enchaînement des blessures du Français. Une posture privée confirmée sous couvert de off au Barça, mais que le club n'est pour l'instant pas prêt à assumer publiquement. Depuis l'arrivée de Quique Setién au poste d'entraîneur en remplacement de Valverde, la méthode a quand même évolué et les joueurs courent davantage. Un dernier élément, enfin, montre le désarroi du Barça : selon nos informations, un dirigeant du club a récemment pris contact avec un homologue du Borussia Dortmund pour obtenir des conseils sur la manière de gérer Dembélé, et pour essayer de comprendre pourquoi le joueur ne se blessait jamais en Allemagne.
« Ousmane n'est pas responsable de sa situation, juge Michel Troin, qui était l'adjoint de Philippe Montanier à Rennes lorsque Dembélé a débuté en pro, en 2015. Les gens qui l'ont eu entre leurs mains, en revanche, ont tous leur part de responsabilité. Il est victime de son talent précoce. Au départ, à Rennes, on avait une pression énorme du club et de la formation pour le faire jouer. Pas de son entourage, mais du club ! On avait très bien vu son talent avec Philippe. C'est juste qu'on ne l'a pas tué. Regardez les photos, c'était une crevette, il n'avait pas terminé son développement osseux, sa croissance. Il avait la vitesse, mais pas la capacité aérobie. Il y a eu de la précipitation pour le faire jouer, car c'est un phénomène avec le ballon. Et ces antécédents, il les paye. Il a trop joué, c'est clair. » Le champion du monde paye donc aussi peut-être, aujourd'hui, son début de carrière supersonique. Alors qu'il vient tout juste d'enlever ses béquilles et de commencer sa rééducation, Dembélé ne sera pas de retour sur les terrains avant le début de la saison prochaine, au mieux. Avec lui, plus personne ne veut prendre aucun risque.
Neuf blessures en deux ans et demi
L'historique des blessures d'Ousmane Dembélé depuis son arrivée au FC Barcelone en août 2017.
17 septembre 2017 : rupture du biceps fémoral de la cuisse gauche (106 jours d'absence).
15 janvier 2018 : lésion du muscle semi-tendineux de la cuisse gauche (26 jours d'absence).
21 janvier 2019 : entorse de la cheville gauche (18 jours d'absence).
14 mars 2019 : déchirure du biceps fémoral de la cuisse gauche (26 jours d'absence).
5 mai 2019 : claquage tendineux à la cuisse droite (42 jours d'absence).
19 août 2019 : claquage tendineux à la cuisse gauche (34 jours d'absence).
27 septembre 2019 : gêne à la cuisse gauche (3 jours d'absence).
28 novembre 2019 : lésion du biceps fémoral de la cuisse droite (68 jours d'absence).
4 février 2020 : rupture du tendon du biceps fémoral de la cuisse droite (absence estimée : 6 mois).
À Barcelone, la chute libre
Pourcentage de matches joués par Ousmane Dembélé en club depuis ses débuts chez les professionnels.
Rennes (2015-2016) : 29 matches joués sur 29 possibles (100 %). Aucun match manqué pour cause de blessure.
Dortmund (2016-2017) : 47 matches joués sur 49 possibles (96 %). Aucun match manqué pour cause de blessure.
Barcelone (2017-2018) : 23 matches joués sur 58 possibles (40 %). 27 matches manqués suite à des blessures.
Barcelone (2018-2019) : 42 matches joués sur 60 possibles (70 %). 14 matches manqués suite à des blessures.
Barcelone (2019-2020) : 9 matches joués sur 36 possibles (25 %). 24 matches manqués suite à des blessures.