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Arrêt des championnats : la petite vengeance de la Ligue 1 contre Jean-Michel Aulas
Le 30 avril, la Ligue de football professionnel a mis fin à la saison et validé un classement en Ligue 1. Une fronde anti-Aulas a permis à ses détracteurs de se mettre d’accord sur le scénario retenu.
Par Dominique Sévérac
Le 13 mai 2020 à 10h26
Le 30 avril dernier, le bureau puis le conseil d'administration de la Ligue de football professionnel (LFP) ont mis fin à la saison 2019-2020 et validé un classement. L'instance a retenu la 28e journée de Ligue 1 au quotient, soit le « rapport entre le nombre de points marqués et le nombre de matchs disputés (arrondi à la 2e décimale) » selon le procès-verbal de la LFP que nous nous sommes procurés. La 28e journée est la dernière disputée à ce jour (du 6 au 8 mars), sans Strasbourg-PSG, reporté (à jamais) en raison de la pandémie, déjà active à l'époque.
Au conseil d'administration, précise le PV, ce classement final a été adopté « à l'unanimité moins 3 voix contre et deux abstentions ». Sans surprise Bernard Joannin, président d'Amiens, Waldemar Kita, de Nantes, et Marc Ingla, directeur général de Lille, ont voté contre. Parmi les abstentionnistes se trouve Gilbert Thiel, ancien juge antiterroriste et membre du collège des indépendants. Joannin et Kita militaient pour un classement à la journée 19.
Un conseil d'administration joué d'avance
À mi-saison, Amiens était 17e et premier non-relégable quand les Canaris étaient 6e. Ingla, au nom de Lille et de son président Gérard Lopez, estimait « qu'il existe de multiples preuves statistiques qui démontrent qu'au cours des dix dernières années, le classement sportif a beaucoup évolué entre la 28e journée et la 38e journée », selon le PV. Il proposait donc de s'en remettre à une méthode mathématique pour calculer le classement final. Lequel aurait, bien sûr, permis aux Dogues de décrocher la Ligue des champions, finalement « obtenue » par Marseille et Rennes.
Mais le bureau, comme le conseil d'administration, était joué d'avance. Ce sont quelques jours auparavant que des présidents — principalement Nasser Al-Khelaïfi (PSG), Jacques-Henri Eyraud (OM), Jean-Pierre Rivère (Nice), Frédéric Longuepée (Bordeaux), Nicolas Holveck (Rennes), Loïc Féry (Lorient) et Bernard Caïazzo (Saint-Etienne) qui partagent tous un groupe WhatsApp commun — ont arrêté la J28 au quotient. Outre que ce classement final servait leur intérêt individuel (Paris et Lorient champions, OM et Rennes en Ligue des champions, Nice européen, Saint-Etienne maintenu), il avait un autre mérite.
La J19 n'a jamais été vraiment débattue. L'option a seulement été mise sur le tapis pour ne pas froisser Waldemar Kita. Le vrai débat s'est concentré autour de deux solutions : la 27, la dernière journée disputée en entier lors de la saison 2019-2020, ou la J28 avec quotient, qui possédait aussi l'avantage d'aligner la décision de la Ligue sur celle de la Fédération, qui a procédé ainsi après l'arrêt de ses compétitions chez les amateurs. Entre les deux choix, une énorme différence : à la J27, Lyon était 5e et en Ligue Europa ; à la J28 quotient, il n'était plus que 7e et qualifié pour rien.
Un vote anti-Aulas
Le football français s'est ainsi mis d'accord sur le second scénario pour écarter Lyon d'une place européenne parce qu'ils n'en peuvent plus de Jean-Michel Aulas, le président de l'OL. Ils l'ont lâché, épuisés par ses volte-face successives et l'érosion de son influence. L'agacement, l'irritation parfois la haine suscitée par le médiatique dirigeant rhodanien a ainsi achevé de convaincre les présidents de retenir la J28 avec quotient.
Tous lui en veulent pour des raisons précises. Les combats des dernières semaines d'Aulas l'ont desservi. Al-Khelaïfi en a assez des propos d'Aulas sur le modèle du PSG, détenu par le Qatar. Caïazzo est un ennemi intime, tout comme Eyraud, qui le déteste de toutes ses forces. Quant à Rivère, qui cherche toujours à se mettre dans les pas du président du PSG par courtisanerie, il a foncé dans cette fronde avec le seul classement disponible qui lui permettait d'accéder à l'Europa Ligue sous conditions.
C'est donc un vote anti-Aulas qui a motivé les membres des instances, plus qu'horripilés par ses initiatives pendant la crise sanitaire. En prônant la saison blanche puis en demandant de se fonder sur le classement… de la saison dernière (2018-2019), en changeant tout finalement pour adopter le calendrier calqué sur l'année civile pour enfin, goutte d'eau qui a fait déborder le vase, développer un projet fantaisiste de playoffs et playdowns, Aulas a perdu tout son crédit politique. Le plus grand dirigeant de Ligue 1 de ces 25 dernières années a fini par user tous les membres de son écosystème. Aujourd'hui encore, il hurle seul, multipliant les recours devant les tribunaux contre la décision de la Ligue. Entre Aulas et les autres, les désaccords et les divergences risquent de continuer et peut-être de s'aggraver.