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Jean-Michel Aulas (OL) : « On est en train de se pendre »
Jean-Michel Aulas, le président de l'OL, pense que la décision d'arrêter la Ligue 1 était une erreur. Il est prêt à se battre pour pouvoir reprendre la saison en suivant l'exemple d'autres pays en Europe. Et est convaincu qu'un retournement de situation est encore possible.
Dimanche soir, Jean-Michel Aulas (71 ans), le président de l'OL, n'a pas manqué une minute de l'intervention de Jérôme Salomon, le directeur national de la santé, sur le Covid-19. Rassuré de voir la situation sanitaire s'améliorer, il espère maintenant que la Ligue reviendra sur sa décision d'arrêter le Championnat, actée jeudi.
Avant d'évoquer son nouveau combat, il a tenu d'abord à remettre des choses au point : « Je veux dire que nos pensées sont tournées vers le contexte sanitaire. À l'OL, nous sommes une entreprise avec 500 personnes et des proches, à qui on pense, ont été touchés par la maladie, certains même par des décès. Dire qu'on se bat seulement pour des millions, ça me choque. On est peut-être le premier club en France à avoir été sensibilisé via notre fondation. On a donné plus de 500 000 euros aux chercheurs, médecins, malades... On a fait une opération avec des centres de handicapés en finançant des tablettes récemment. On nous a habillés en quémandeurs d'argent, c'est profondément injuste. »
Cette mise en perspective assénée, il revient sur cette période capitale à ses yeux. Et Aulas compte bien dès aujourd'hui fédérer autour de ses idées lors de l'assemblée générale extraordinaire de la Ligue.
« Êtes-vous devenu sage comme le disait Noël Le Graët, samedi dernier ?
Dès le lendemain de la décision de la Ligue, il m'a appelé, m'a parlé d'amitié et de relation franche. Mais il y a des choses qu'on aurait dû mieux faire, en se concertant... Noël est un ami. Je le soutiendrai mais il n'aurait pas dû faire une déclaration, le soir du conseil fédéral, le mercredi au Télégramme.
Certains se trouvaient un peu piégés avant même les décisions de la Ligue. J'adhère pour l'essentiel à ce que Noël dit. Il veut, contrairement à la Ligue, aller au bout des finales (Coupe de France et de la Ligue) et je suis 100 % d'accord. Dans ma réflexion, je voudrais aussi qu'on puisse trouver un financement pour le foot amateur auprès de l'État. Car il y a des situations critiques.
Comment avez-vous digéré les annonces de la LFP et cette 7e place qui vous prive de Coupe d'Europe via le Championnat ?
Évidemment, l'OL n'avait pas fait une saison sportive exceptionnelle et je l'ai dit. À la 28e journée, nous sommes 7es, mais on est forts dans les sprints. Il y a donc un sentiment d'injustice de ne pas être européens. Il nous reste une finale de Coupe de la Ligue, nous avons fait une demi-finale de Coupe de France. Si on est autorisés, on a un 8e retour de C1 contre la Juventus (1-0, aller), un quart féminin contre le Bayern, un quart de Youth League aussi (Salzbourg).
J'ai beaucoup consulté ces deux derniers jours des hommes politiques, des hommes du foot, de droit. Il y a eu d'abord une erreur politique. Pourquoi se précipiter pour dire qu'il est difficile de jouer avant août ? Alors qu'on ne sait pas si les autres pays vont avoir le même jugement... Il fallait faire un tour politique des quatre autres grandes Ligues. La France du sport, c'est comme la France des entreprises, elle est en compétition. On ne doit pas se précipiter en politique si on n'a pas la certitude que les autres ne font pas pareil.
Ensuite, il y a une erreur démocratique. Il aurait été utile de consulter tous les clubs par une assemblée générale. La Ligue a cru devoir arrêter le Championnat alors qu'on pouvait attendre 15 jours, 3 semaines, jusqu'à début juin, pour savoir si les entraînements individuels et collectifs pouvaient reprendre. L'UEFA nous avait mis sur la voie avec les play-offs. On a pris une solution injuste et erronée juridiquement.
Vous auriez aimé une autre consultation ?
C'est une erreur de forme. En basket, en rugby, l'ensemble des clubs a été consulté. En arrêtant, on fait fi des 235 à 280 M€ de droits TV, on va beaucoup trop vite. Et on nous sort l'argument d'un prêt PGE (Prêt garanti par l'État) de 235 M€. Oui, bravo, mais c'est de la trésorerie, ça n'a rien à voir avec des recettes TV ou de sponsoring. La trésorerie permet seulement de survivre surtout à ceux en mauvaise santé... Et je suis certain que certaines sociétés de paris auraient été intéressées par des play-offs. On aurait trouvé à coup sûr des ressources utiles. On n'a donc pas pris les bonnes décisions.
Mais vos play-offs ont été moqués car ils privilégiaient l'OL...
C'est vrai mais ce principe ne s'arrêtait pas à mon format, il y en avait un autre avec le PSG champion. Ce que je voulais, c'est que ça ne s'arrête pas. Car ça va coûter très cher à tout le monde y compris à la Ligue. Philippe Doucet (journaliste à Canal +) avait trouvé un très bon projet de play-offs que j'ai reçu, mais je ne sais pas si la Ligue l'a étudié. Tout était discutable. Voyez ce qui se passe en Italie, en Allemagne ou Espagne, aujourd'hui, avec la reprise des entraînements individualisés... On a tout accéléré et ça nous met dans une situation intenable.
Avez-vous acté quand même ces décisions de la LFP ?
J'appelle à ce qu'on reprenne ces décisions lors de l'assemblée générale (ce lundi) ou celle du 23 mai. Je comprends les élus d'Amiens (19e) par exemple. Ou les dirigeants de Lille (4e) car l'équipe était plus proche que nous d'être en C1. C'est quoi le mérite sportif, comme disait l'UEFA (« le mérite sportif selon des principes objectifs, transparents et non discriminatoires ») ? L'OL a joué 44 matches depuis le début de saison, Nice qui pourrait être qualifié 32, dont 15 à domicile, nous 13.
Il fallait consulter l'UEFA, la maison mère de la Fédération, écouter l'assemblée générale de la Ligue et ne pas pénaliser le PSG et l'OL car l'UEFA va finir ses compétitions. Et nous, on va se retrouver fin juillet contre le Bayern avec les filles en quart de la C1, alors que notre Championnat féminin a été arrêté et que le Bayern s'entraîne. Pareil pour Salzbourg en Youth League.
Vous espérez un retournement de situation ?
Bien sûr et il le faut !
Mais si vous aviez été deuxièmes comme l'OM, vous n'auriez pas accepté cette situation ?
Mais pas du tout ! C'est une honte ! Si nous avions été deuxièmes, on aurait essayé de trouver une solution par les play-offs pour être champions. Pour le quotient de la Fédération, d'ailleurs, on verra ce que dira le CNOSF. Il ne fallait pas arrêter le Championnat. Ça va engendrer des recours probablement très importants.
Quels recours envisagez-vous ?
Pour le moment, j'appelle à la raison et à une concertation avec l'UEFA. Mais comment vont faire le PSG et l'OL pour jouer fin juillet, en cas de finale de la Coupe puis de Ligue des champions ? Il faut bien qu'on s'entraîne de nouveau. Cette situation est aberrante. Comment la présidente (de la LFP, Nathalie Boy de la Tour) et le directeur général exécutif (Didier Quillot) peuvent laisser cette situation perdurer ?
Votre combat s'annonce difficile...
Oui ce sera difficile mais j'ai eu des présidents de clubs étrangers, ils sont tous atterrés par la décision prise par la LFP. On s'est assis très rapidement sur 250 M€ en faisant croire que le prêt PGE allait compenser. Les 40 présidents de clubs (L1 et L2), probablement pas à l'unanimité, vont prendre conscience du déficit économique incroyable qui s'annonce. On est en train de casser le mérite sportif énoncé par l'UEFA et casser la filière économique du foot pro. Pourquoi les autres clubs européens se battent pour terminer leur saison et en ont eu l'autorisation ? On est en train de se pendre avec nos décisions.
Comment imaginez-vous votre finale de la Coupe de la Ligue ?
Je n'en sais pas plus. J'ai simplement entendu l'autre jour au bureau de la Ligue qu'un président qui espère être qualifié par sa place en Championnat qu'il fallait l'annuler tout de suite... Je l'ai enregistré. Jouer à huis clos ? Si c'est en août, ce sera obligatoire. Pour nous, c'est vital d'être en Coupe d'Europe. Et on jouera cette chance à fond.
Pensez-vous vraiment pouvoir encore reprendre ?
J'y crois. Pourquoi en Italie et en Espagne, ça avance ? (le ministre des Sports italien a toutefois précisé dimanche qu'il n'était pas question pour le moment d'une reprise du championnat) Il y a des protocoles, on devait travailler dessus un peu plus. Il n'y a aucune raison légitime d'arrêter la saison, sauf peut-être dans les alcôves...
Entre vous et Jacques-Henri Eyraud (président de l'OM), ça s'est tendu...
Il n'y a pas eu d'insultes au CA avec Eyraud comme l'a dit Raymond Domenech. Il (Eyraud) a fait un pamphlet dans le JDD gravissime qui fera l'objet d'une plainte en diffamation. Quand on attaque (dans cet article) ma dignité et mes qualités humaines, je réplique. Mais au-delà de ça, l'OM a fait une bonne saison. Parfois, quand on ne joue pas en Europe, on peut se consacrer au Championnat... Sinon, pourquoi j'en voudrais à l'OM sur cette décision d'arrêter le Championnat ? J'imagine que ce n'est pas l'OM qui a décidé ça.
Comment allez-vous gérer les délicats sujets des salaires des joueurs qui pourraient être touchés ?
Oui c'est un sujet délicat car il n'y avait pas unanimité au sein du groupe. On a trouvé des solutions différentes liées, par exemple, aux primes qui ne sont pas obligatoires. Mes joueurs ne sont pas satisfaits, ni le staff, par la décision de la Ligue. Les joueurs ont des primes, chez nous, sur des qualifications en Coupe d'Europe. Le fait d'être 7e sur tapis vert, ils préfèrent donc qu'on leur donne la possibilité de s'entraîner dès demain car on va jouer très rapidement la C1, logiquement le 8 août contre la Juve.
Où aura lieu ce match ?
Il n'est pas fixé encore mais logiquement c'est à Turin. Mais je ne sais pas si ce sera possible là-bas.
Qu'avez-vous pensé de la sortie de Roxana Maracineanu, la ministre des sports, qui demandait aux clubs d'être plus prévoyants ?
J'ai une grande admiration pour la ministre des Sports. C'est une nageuse et je sais combien c'est difficile de remporter des Championnats dans ce sport. Ce que la ministre a voulu dire - je ne vais pas l'appeler Roxana comme Jacques-Henri Eyraud car je ne suis pas assez proche d'elle pour pouvoir le faire -, c'est qu'elle était inquiète de la situation économique et ça se comprend. Nous, nous sommes en bonne santé. Quoi qu'il arrive, on saura rebondir et mener le projet que je défends jusqu'au bout. Nous ne sommes pas en péril, alors que si d'autres clubs n'étaient pas qualifiés (pour l'Europe) sur tapis vert, ce serait compliqué pour eux. »