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"Nous ne verserons pas un euro de plus pour le naming Groupama stadium" (Francis Thomine, Groupama)
Ce 10 janvier, Francis Thomine, directeur général de Groupama Rhône-Alpes Auvergne, exposera à son conseil d'administration le projet de renouvellement du contrat triennal de naming du stade de l'Olympique lyonnais, Groupama Stadium, qui arrive à son terme cet été. Les négociations s'annoncent âpres, et les considérations ne seront pas que financières. Les "valeurs" et l'image revendiquées par Groupama sont-elles compatibles avec celles, à plusieurs égards contestables, véhiculées par le club de Jean-Michel Aulas ?
LA TRIBUNE - Groupama affiche son attachement aux "valeurs mutualistes" dénommées "solidarité, entraide, humanisme, responsabilité sociale et sociétale". Lesquelles questionnent votre engagement aux côtés de l'Olympique lyonnais. Vous avez initié il y a deux ans et demi le naming du stade de l'OL, rebaptisé Groupama Stadium. Quelle est la concordance de ces valeurs que vous promouvez avec celles d'une activité à bien des égards amorale : rémunération stratosphérique et indécente des joueurs, hooliganisme, slogans homophobes et racistes, et maintenant même violence entre supporters et joueurs lyonnais ?
FRANCIS THOMINE - Coupe du monde de football féminin cette année, prochaine Coupe du monde de rugby, concerts de musique, et chaque jour des manifestations d'entreprise : l'écosystème du stade est bien plus large que le seul domaine du football professionnel. Il a permis de créer beaucoup d'emplois, et participe substantiellement à la renommée de l'agglomération lyonnaise. D'autre part, je reste convaincu que le football constitue un facteur déterminant d'inclusion et de lien sociaux au sein de la jeunesse, notamment des quartiers en difficulté. Ce qu'entreprennent avec tant de succès l'association "Sport dans la Ville" ou Mohamed Tria à la tête du club de la Duchère, en est la preuve.
Mais ce football-là, généreux et inclusif, n'est pas celui de l'OL...
Je ne suis pas d'accord. Le football de l'OL démarre à la Duchère comme dans les autres banlieues. A Bron, Vénissieux ou Vaulx-en-Velin, le football de l'OL fait rêver les jeunes, que je préfère voir chaussés de crampons que se morfondre dans une cage d'escalier ou devenir délinquants.
Le football professionnel, c'est une poignée d'élus. Ce n'est pas une "réalité réaliste » pour ces jeunes. Pire, c'est un terrain d'espérances déçues, un facteur de frustration et de rejet...
Ne fermons pas la porte au rêve de cette jeunesse qui a vu éclore Benzema, Ben Arfa, Aouar, et autres Fekir. Pour autant, votre analyse n'est pas contestable. C'est pourquoi nous soutenons « aussi » ces clubs et associations qui font du football un moyen de s'orienter, de se former, d'intégrer le monde du travail et des entreprises.
Groupama est un acteur de la santé. Que le salaire versé par le club à un seul joueur comme Memphis Depay soit équivalent à celui d'une cinquantaine de médecins ou de 200 infirmiers affecte-t-il votre éthique ? Jusqu'à remettre en question votre partenariat ?
Je ne le nie pas : votre mise en perspective des « valeurs » m'interpelle. Et cela ne me laisse nullement insensible. Mais au final, nous devons faire le solde entre les éléments positifs et négatifs. Et à mes yeux, au nom des arguments que j'ai égrenés en préambule, les premiers dominent les seconds.
Le football professionnel international charrie un tel business, qu'inévitablement d'indécents excès surviennent. D'ailleurs, je m'étonne toujours que ce public de supporters souvent très modestes se taisent devant l'incroyable inflation des salaires des joueurs.
Ils se taisent peut-être, mais ces vertigineux écarts sont à l'origine, même peu exprimée, de l'extrême violence physique ou verbale constatée dans l'arène du stade...
Ce qui nous amène au comportement des joueurs. En étant membre du comité de gestion de l'Olympique Lyonnais, j'assiste à certaines situations. Et effectivement, en ligne de mire, des comportements déroutants voire honteux chez certains joueurs. Beaucoup ne sont plus que des mercenaires sous la coupe d'agents cupides avec lesquels même les entraîneurs sont sommés de composer. Mais sont-ils seuls responsables ? Je ne crois pas.
Intrinsèquement, le club lui-même porte une part de responsabilité...
C'est indéniable. Tout comme l'ensemble des éducateurs, et finalement chacun de ceux - partenaires, public, médias, collectivités locales - qui vivent et profitent de l'économie du football. Tous ont fermé les yeux sur les dérives économiques et financières qui ont conduit à l'indécence de ces comportements.
Votre contrat triennal arrive cet été à son terme, et vous êtes d'ores et déjà dans la renégociation du naming - et des prestations périphériques. Le montant de l'accord est secret, les estimations oscillent entre 4 et 7 millions d'euros par an. Dans quel état d'esprit abordez-vous cette échéance ? Comment intégrerez-vous les tourments actuels du club, y compris en termes d'image ? Au final, à l'aune des « interrogations morales » partagées ci-dessus et dans le contexte financier plus délicat, ce renouvellement est-il opportun ?
Une année fut nécessaire à la rédaction du premier partenariat... C'est dire le nombre de conditions figurant dans le contrat. Et en effet, plusieurs clauses font référence aux problèmes d'images que le comportement des supporters ou des joueurs est susceptible de provoquer. A l'aune des dérapages racistes, homophobes, violents et même, maintenant, des tensions ostensibles entre supporters et joueurs, nous aurions eu l'occasion d'actionner la clause d'image.
Je n'ai pas souhaité le faire. La raison est que les répercussions sur notre image étudiées par des organismes indépendants via notamment les réseaux sociaux, ont révélé un impact extrêmement faible. Et pour l'heure, ces mêmes évaluations attribuent un large satisfecit quant à la progression de notre image et de notre notoriété.
Les négociations s'annoncent âpres, au moins autant que celles préparant la conclusion du contrat originel - dans le cadre duquel, sous la pression des supporters hystériques contre l'ennemi « vert » stéphanois, vous aviez même du renoncer à colorer les lettres de votre logo dans l'enceinte du stade. Qu'êtes-vous prêt à concéder ou exiger ? Votre intérêt et/ou celui de Jean-Michel Aulas pourrait-il être le désaccord ?
Renoncer à ce partenariat n'est absolument pas notre intention. Et le 10 janvier, je présenterai mon argumentaire devant le conseil d'administration. En revanche, nous ne serons pas prêts à tout et n'importe quoi pour y parvenir. Dans le cadre de notre « planification stratégique opérationnelle » 2020 - 2022, j'ai intégré une « enveloppe » dédiée à notre accord, plus exactement aux conditions réalistes, raisonnables, équitables de le poursuivre. Le contenu de cette enveloppe, je suis bien sûr enclin à en discuter certaines affectations, certains détails avec les dirigeants du club.
En revanche, je ne dépenserai pas un euro de plus. Jean-Michel Aulas, son directeur général et son conseil d'administration seront libres de mettre fin à notre partenariat s'ils lui préfèrent une offre censée être bien plus performante financièrement.
Je leur rappellerai alors qu'au nom de la confiance et du long-terme dans lequel nous nous sommes engagés, jamais je n'ai exigé de leur part des mesures ou des compensations d'image auxquelles certaines situations bien regrettables nous donnaient droit. Mes éléments de langage sont prêts...