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Nasser Al-Khelaïfi, le patron fantôme du PSG
Depuis 2011, le président qatari du Paris-Saint-Germain incarne l’ambition d’un club prêt à tout pour arriver au sommet du foot européen. Mais en interne, c’est une tout autre image qui se dessine.
Par Laurent Telo Publié aujourd’hui à 03h47, mis à jour à 12h58
Deux jours. Pas mieux. Selon nos calculs, c’est la durée, entre mi-juin et début août, qu’a passé Nasser Al-Khelaïfi, dit « NAK », dans son immense bureau de président qatari du Paris-Saint-Germain (PSG). Pour compter jusqu’à deux, on s’est fait aider du directeur de la communication du club et homme de confiance de NAK, Jean-Martial Ribes, avec qui on a aussi essayé de le géolocaliser. Ribes nous a fait une réponse de patron d’agence de voyages : « Là, il est en Europe. Mais je ne peux pas vous dire où. Il a quitté Doha, la capitale du Qatar, où il fait très chaud l’été. Il peut se trouver à Londres. Ou ailleurs. » Mais il peut aussi être à Hollywood. Le groupe qatari BeIN Media a racheté la société de production Miramax il y a trois ans, aux frères Weinstein, pour 500 millions d’euros. « Il a passé du temps à Los Angeles pour comprendre le monde du cinéma. NAK, il prend l’avion comme nous on prend le taxi. »
Pourtant, en théorie, c’est dans le bureau du président que se joue le sort du club le plus ambitieux de la galaxie. C’est d’autant plus curieux, ce bureau vide, qu’en ce moment, au PSG, comme dans tous les autres clubs de la planète, c’est la grande effervescence des transferts… Celle du carnet de chèque, des coups de bluff et des négociations à trois bandes. En clair, c’est le moment des présidents. Sans compter que, au PSG, il y a le dossier Neymar en suspens, l’attaquant star brésilien, et probable héros du grand feuilleton de l’été. Partira ? Partira pas ? Le PSG laissera-t-il filer son chef-d’œuvre sportif et sa mine d’or marketing ? Le FC Barcelone est déjà sur les rangs.
Stratégie de la rareté
Sur tous ces sujets brûlants, on aurait aimé interroger Nasser Al-Khelaïfi, mais il persistait à briller par son absence. Peut-être était-il en Chine, avec l’équipe qui y joue son premier match officiel de la nouvelle saison, contre Rennes, pour le Trophée des champions (le 3 août) ; même Neymar y était. « Non, il ne fait jamais les tournées. » NAK est même tellement jamais là qu’on se demande comment il fait pour être président du PSG. Comme on tenait vraiment à le croiser, on s’est rendu au siège du club, à Boulogne-Billancourt (Hauts-de-Seine), tout près de Paris. Le siège s’appelle la Factory, mais il ne doit rien à Andy Warhol.
Comme prévu, il n’y avait personne dans le bureau du président, mais celui de Ribes, son voyagiste de confiance, semblait très animé. On est entré. Ribes était affairé à préparer le club du futur, avec tout un tas de schémas très compliqués au tableau. Il faisait des grands gestes, comme un entraîneur en bord du terrain qui montre la direction du but : « Le développement du PSG passe par la production de contenu à l’international sur nos marchés phares ! C’est ça l’avenir ! Développer un PSG News sur plein de thématiques ! Comme la santé, la performance, la nutrition… » On n’est pas sûr d’avoir tout compris, alors on lui a demandé : « Vous croyez que c’est possible d’envisager éventuellement de parler avec NAK ? » « Non. »
Nasser Al-Khelaïfi s’exprime environ deux fois par an dans la presse, une stratégie piquée à François Mitterrand et sa fameuse théorie de la rareté de la parole présidentielle ; oui, les Qataris, qui ont racheté le PSG en 2011, connaissent l’histoire de France. En fait, au club, à part Jean-Martial Ribes, personne ne voulait nous parler du PSG et de son président. Quand on appelait un collaborateur qui aurait pu apercevoir NAK, même à l’allure d’un avion furtif, ou qui aurait pu nous raconter comment il travaillait, on nous répondait toujours la même chose : « C’est impossible de vous répondre, il faut voir avec le service communication. »
On ne voyait que lui
Le PSG, c’est comme une boîte noire gardée à Fort Knox. Pour la pénétrer, il a donc fallu se constituer patiemment un joli lot de sources très anonymes, car toutes paniquées à l’idée d’être repérées par le Qatar Sports Investments, le fonds souverain qatari qui achète tout ce qui a un prix, même le silence. Et l’une des premières choses qu’on nous a apprise, c’est que ce mois et demi d’absence, ce n’était pas franchement un record. Nos interlocuteurs nous ont assuré que NAK était comme le directeur de la MAAF, celui qu’on ne voit jamais dans la pub ; que son surnom, « NAK le fantôme », n’avait pas été choisi par hasard et que, par conséquent, son grand bureau n’était pas vide, mais hanté.
Pourtant, au début de l’histoire, on ne voyait que lui. Quand le Qatar a acheté le PSG en mai 2011 aux Américains de Colony Capital. NAK, c’est alors celui qui passe souvent à la télévision à côté de Nicolas Sarkozy, les soirs de match, dans le carré VIP du Parc des Princes, qui attire comme des mouches les people intercontinentaux. NAK, celui avec une bonne bouille et des cheveux noir cirage, qui est devenu la personnalité la plus importante et influente du foot français et probablement mondial.
Mais les ennuis n’ont pas tardé à suivre. Surtout que le jour même de l’achat du club, il avait osé déclarer : « On va gagner la Ligue des champions d’ici quatre ans. » C’était il y a huit ans. Il ne parle pas beaucoup, NAK, et cette phrase un peu arrogante, il la traîne comme un boulet. A cause de cette sortie tonitruante, le milieu du football s’est demandé s’il était au courant que l’argent dans le sport ne pouvait pas tout.
Fils de pêcheur de perles
Pourtant, Nasser Al-Khelaïfi, 45 ans, n’est pas un petit gosse de riches, mais un roturier, un fils de pêcheur de perles. Il fut dans les années 1990 et au début des années 2000 un joueur de tennis professionnel, le 995e mondial, et l’émir aimait bien taper dans la balle quand il était jeune. Les deux hommes sont devenus amis. Et la vie de NAK a changé du tout au tout. L’émir lui a d’abord confié en 2006 la mission de développer la chaîne de télé Al Jazeera qui deviendra le groupe de télévision BeIN Media Group, présent dans 43 pays. NAK travaille beaucoup et donne satisfaction. Alors, petit à petit, il est placé au cœur de tout ce qui est médias et sport : président de la fédération qatarienne de tennis, ministre du Qatar (mais sans portefeuille), membre du bureau exécutif de l’UEFA… Des fonctions qu’il cumule encore aujourd’hui.
Pour le Qatar, le PSG est plus qu’un club, c’est un outil de soft power, comme on dit. Avoir une lumière aussi brillante pour un pays aussi petit, coincé entre de si grandes puissances hostiles, dont l’Arabie saoudite et les Emirats arabes unis, vexés comme des poux depuis que leur voisin a obtenu l’organisation de la Coupe du monde 2022, et qui veulent tous sa peau, c’est mieux qu’une assurance-vie. Au regard de tous ces enjeux, on peut se demander si NAK a l’étoffe. Est-il visionnaire ? Bon manager ? Quel est son moteur intime ? Peu importe. En fait, ce qui se passe dans la tête de NAK n’a pas vraiment d’importance. Ce qui compte, c’est qu’il est devenu le seul Qatari célèbre sur la terre. Au Qatar, maintenant, grosso modo, il y a une ville, une grosse poche de gaz, un désert… et NAK.
« Depuis maintenant plus de deux ans, certains pays du Golfe ennemis du Qatar ont pris Nasser pour cible. Il y a un vrai acharnement. » Djamel Bouras, président de la section judo du PSG
Mais NAK n’est pas Iznogoud. Il est là pour servir. Il ressemble à une grande silhouette en carton, à l’effigie du Qatar, qu’on balade dans le monde entier pour signer avec le sourire des contrats mirobolants. Le rachat du PSG, de Miramax, d’un opérateur de téléphonie turc, de droits télé… Il est tellement exposé par son pays qu’il est doublement inquiété pour ses affaires. En octobre 2017, la justice suisse ouvre une enquête le concernant pour soupçons de corruption privée dans l’attribution des droits télévisuels des Coupes du monde 2026 et 2030 à BeIN Media pour la zone Afrique du Nord et Moyen-Orient.
En mai 2019, il est mis en examen pour « corruption active » dans l’affaire de l’attribution des mondiaux d’athlétisme 2017 et 2019 auxquels Doha avait candidaté, perdant d’abord face à Londres avant d’être sélectionnée ville hôte deux ans plus tard. Dans le même dossier, son bras droit, Yousef al-Obaidly, directeur général de BeIN, a également été mis en examen. Ce qui commence peut-être à faire beaucoup.
Quand on lui parle de ces carambouilles présumées, Djamel Bouras, le président de la section judo du PSG, pousse un soupir qui pourrait gonfler les voiles d’un trois-mâts. « Depuis maintenant plus de deux ans, certains pays du Golfe ennemis du Qatar ont pris Nasser pour cible. Il y a un vrai acharnement. » L’ancien champion olympique de judo (1996) connaît NAK depuis le début des années 2000. « Nasser est quelqu’un de sympa, drôle et aussi chambreur. » Bouras est embêté pour son pote avec qui il court sur la corniche de Doha et fait du crossFit dès qu’il descend d’un avion. « Quand je vois ce qu’il a réussi à faire avec le PSG qui est devenu une marque mondiale. En si peu de temps… Il mérite une médaille. »
Mauvais payeur
En attendant la prochaine promotion, NAK n’est pas là. Ou alors, de façon très intermittente. Il assiste à beaucoup de matchs, pas tous, mais il ne rate jamais celui à Guingamp (Côtes-d’Armor), en Bretagne, parce qu’il adore manger des crêpes. Mais après, à la Factory, on ne sait jamais quand il reviendra. Il y a encore récemment, Adel Aref, un monsieur très gentil, était son directeur de cabinet. Son job était, a priori, simple : porter les parapheurs au président et répondre à une question essentielle : « Dis, Adel, il revient quand, NAK ? » Aref ne se dégonflait jamais. « Je ne sais pas trop. Je vais l’appeler. En attendant… Tu veux un café ? » Adel Aref a tellement couru après son patron qu’il n’offre plus de café. Il a été hospitalisé plusieurs semaines, à cause d’un violent burn-out, avant de sortir définitivement du circuit.
L’embêtant, c’est qu’entre-temps les parapheurs d’Adel Aref s’entassent dans un coin. Et donc les factures. Payer les factures, quand NAK n’est pas là, ça n’intéresse pas grand monde mais ça peut être utile quand on veut être un club de foot de premier plan. Le PSG a eu jusqu’à une petite centaine de créanciers sur le dos. Le club devait 800 000 euros à une compagnie de bus, à peu près la même somme au groupe hôtelier Accor qui est opportunément devenu le « sponsor maillot » du club…
« Le club est parti de loin et a énormément grandi en quelques années. Il continue d’aller très vite. Parfois trop pour certains… » Djamel Bouras
Plusieurs interlocuteurs nous ont raconté les mêmes drôles d’histoires. Un jour, les joueurs logeaient, une veille de match, dans un palace, à Versailles. Sur le buffet, aucune trace des fameuses tartes aux fraises du cuisinier. « Tant que le club ne payera pas la note de votre dernier passage, il n’y aura plus de tarte aux fraises », a fait savoir le maître d’hôtel. Cette drôle de situation financière peut aussi donner des anecdotes encore plus cocasses. En 2015, l’équipe termine un stage de préparation estival en Autriche. L’avion privé du retour met un temps fou à décoller. Le pilote ne veut pas mettre le contact tant que le club ne lui règle pas le plein de kérosène du voyage aller. C’est Olivier Létang, le directeur sportif de l’époque, qui a dû sortir sa carte bleue… Il est sans doute plus facile de payer 220 millions d’euros pour acheter Neymar rubis sur l’ongle.
A force, ça donne l’image d’un club en trompe-l’œil, qui ressemble à un décor hollywoodien pas terminé. Un club cinq étoiles qui serait, en réalité, un tout petit club. Djamel Bouras ne nie pas qu’il y a un problème dans l’institution. Seulement, NAK est peut-être un fantôme, mais il n’est pas Harry Potter avec une baguette magique. Il ne peut pas tout faire. « Le club est parti de loin et a énormément grandi en quelques années. Il continue d’aller très vite. Parfois trop pour certains… », conclut Djamel Bouras.
Le vrai taulier
Il y a quand même une question. Qui dirige le PSG quand NAK n’est pas là ? Certains de nos interlocuteurs nous ont expliqué que le vrai taulier du club au quotidien, c’était Ribes. Officiellement, il est le directeur de la communication du PSG depuis 2015. Mais officieusement, il est bien plus que ça. Parce que la com, au PSG, c’est le nerf de la victoire, le football n’étant qu’un produit dérivé comme un autre. Et puis, le retour au Parc des Princes des supporteurs ultra – boutés hors du stade en 2010 –, la gestion des joueurs difficiles, le boycott du journal L’Equipe qui est trop méchant, tout ça et plus encore, c’était Ribes. Si bien que depuis plusieurs mois, les Qataris sont persuadés qu’il se mêle de tout au club et qu’il intervient à tort et à travers, et qu’au final le problème récurrent du PSG, c’est Ribes. Résultat : il a été convoqué par le cabinet de l’émir, à Doha, la capitale du Qatar, en fin d’année dernière, pour se faire passer une soufflante.
D’autres témoins anonymes soutiennent mordicus que oui, NAK n’est qu’une couverture, mais que le vrai patron, en réalité, ce n’est pas Ribes, non, mais plutôt Jean-Claude Blanc, le réputé très compétent – il a coorganisé les JO d’Albertville et dirigé la Juventus Turin – directeur exécutif du club. D’ailleurs, c’est bien lui qui s’est occupé de la rénovation du Parc des Princes. C’est aussi sa signature qui est apposée en bas des contrats de Neymar et de Kylian Mbappé, au moins 402 millions d’euros au total. Oui, mais visiblement, Blanc n’a pas adressé la parole à un joueur depuis des mois.
D’autres nous certifient que le nouveau boss, ce serait plutôt Leonardo, ancienne star brésilienne du club, devenu premier directeur sportif de l’ère qatarie entre 2011 et 2013, appelé à la rescousse au même poste le 14 juin dernier en vue de la saison prochaine. Enfin, pour beaucoup, le seul patron qui compte, ce serait le très généreux émir du Qatar, Tamim ben Hamad Al-Thani, qui dépense beaucoup, beaucoup de sous et qui aime tellement le foot, qu’il ne peut pas s’empêcher de donner son avis sur presque tout.
Dans tous les bons manuels de management, il est écrit qu’il faut un leader et pas quarante. La réussite de haut niveau est une question de détails, alors si dénicher le vrai patron du club revient à résoudre l’énigme de l’île de Pâques, ce n’est pas bon signe… Sans compter que NAK, ça ne le dérange pas vraiment, ce grand flou. Il sait qu’il faut diviser pour mieux régner. Si bien que dans la marge de l’organigramme officiel, il aime dessiner des chaînes de commandement officieuses, des contrepoids et des étages intermédiaires. Constatant, par exemple, que Jean-Claude Blanc commençait à prendre ses aises, il a débauché en 2017 Victoriano Melero, le directeur de cabinet du président de la Fédération française de foot. Comme ça, il est toujours le seul indispensable et le seul à détenir le pouvoir, à défaut de l’exercer.
De l’audit au burn-out
A force, ça donne un bazar incroyable et une ambiance épouvantable au siège du club. Parce que tout le monde est perdu, personne ne sait jamais à qui s’adresser pour régler les dossiers stratégiques, partenariats, merchandising… tous suspendus au « Go ! » de NAK qui ne vient pas souvent. Tout ça étant encore compliqué par la méfiance congénitale d’un patron qui ne fait confiance à personne et qui est toujours persuadé que le travail est mal fait. En 2014, il demande l’embauche d’un auditeur interne « pour permettre au PSG d’atteindre ses objectifs ». L’auditeur a envoyé des kilos de mails à tous les services – pourquoi prenez-vous cette décision ? Pourquoi procédez-vous de cette manière ? –, auxquels tout le monde avait intérêt à répondre.
Au PSG, la seule logique est celle de l’urgence et de la réussite. Une pression tellement maximale que, en 2015, un groupe de travail sur les « risques psychosociaux » est créé et un psychologue extérieur, un ancien du Groupe d’intervention de la gendarmerie nationale (GIGN), est dépêché pour venir dispenser ses conseils de « bien-être en entreprise ». Là où la situation devient ubuesque, c’est qu’en novembre 2017 c’est au tour du comité d’entreprise du club de demander à la société Ernst & Young « d’effectuer une mission d’audit du département Audit interne du PSG ». « Pour cela, les services déjà audités au club peuvent être contactés afin d’être interviewés », est-il précisé dans un mail interne que l’on a pu lire.
Lire aussi « Neymar au PSG : le gros coup a tourné au mauvais coût »
Une de nos sources a recensé jusqu’à quinze burn-out potentiels. On ne compte pas les départs volontaires et les primes payées en retard ou les prestataires extérieurs, grassement rémunérés, qui se présentent comme des employés du PSG, et possèdent leur bureau à la Factory, au grand dam des vrais salariés. Au risque d’être accusés de travail dissimulé. Tout cela n’a manifestement pas empêché Ribes de se demander, un jour de 2015 en réunion, pour quelles raisons le PSG n’avait pas intégré le classement de « The best place to work »…
Sautes d’humeur
Pour pallier ses absences, NAK a trouvé la solution. Il s’est acheté un BlackBerry. Un outil très pratique pour être intrusif sans être jamais là. Avec, parfois, de vrais excès d’autoritarisme. Comme il n’a pas beaucoup de temps entre deux avions, ses messages sont courts : « It’s not enough », « I need a report », « I don’t understand », « I’m not happy ». Un soir de Noël, il se balade sur les Champs-Elysées devant la boutique officielle du PSG. Il s’aperçoit que, sur la vitrine, il y a une faute d’orthographe dans un slogan écrit en arabe. Il dérange le directeur général de l’époque qui attendait plutôt le père Noël. NAK n’était pas happy du tout : « I don’t understand ! I need a report ! » La rénovation du Parc des Princes n’avance pas suffisamment vite ? NAK fait le tour du propriétaire avec Jean-Claude Blanc une bonne partie de la nuit. Ça ne se passe pas très bien. Alors Blanc lui dit très calmement : « Tu as le droit de tout me dire mais pas de m’insulter. »
« Je ne permets pas à quelqu’un qui n’y connaît rien au football de me parler sur ce ton. » Carlo Ancelotti, ancien entraîneur du PSG
Quand NAK est là, quelquefois, ça peut se passer comme ça. Le 30 septembre 2016, il a convié, pour un exercice de remobilisation, tous ses directeurs à un déjeuner au restaurant italien du Royal Monceau, un palace où il a ses habitudes. Les directeurs étaient contents, leur président allait être là et en plus, il allait leur parler. Bon, c’est vrai, NAK est arrivé avec une heure de retard, mais il avait l’air pressé, alors il n’a pas beaucoup parlé : « Il faut se serrer les coudes, on va tout gagner. Et surtout, ne plus parler à la presse sans autorisation. » Au menu : des pâtes à la sauce tomate pour les convives ; NAK, lui, les préfère à la truffe. Et puis, il est parti avant la fin. Et les directeurs, ça leur a coupé un peu l’appétit.
Dans le vestiaire, ça peut aussi se passer comme ça. Une grande vague de colère. Après une défaite anodine à Reims, en 2013, dans le vestiaire, NAK accable Carlo Ancelotti, l’entraîneur italien. Le lendemain, Ancelotti a dit à ses adjoints : « Je ne permets pas à quelqu’un qui n’y connaît rien au football de me parler sur ce ton. » Contrairement à d’autres, Ancelotti avait déjà gagné deux Ligues des champions et, la saison suivante, une fois parti du PSG, il en a gagné une troisième avec le Real Madrid.
Gestion passionnelle des joueurs
Quand NAK perd, ce qui peut arriver, il devient mauvais. Après la défaite contre Manchester United, en mars 2019 en huitièmes de finale de la Ligue des champions, il a demandé à Ribes de punir les joueurs. Le responsable de la communication a alors aussitôt mis en scène un entraînement au Parc des Princes où 300 supporteurs ultras, triés sur le volet, ont copieusement insulté les joueurs. Le retour des ultras et d’une ambiance de feu, c’était une volonté non négociable de NAK. Depuis, contrairement aux autres clubs, on ne voit jamais de « Président, démission » sur des banderoles rouges de colère.
« C’est la seule petite erreur qu’il a faite. Trop de proximité avec les joueurs. » Michel Moulin, homme d’affaires
Mais en règle générale, NAK aime bien les joueurs. Avec ses stars, il peut même faire preuve d’une certaine faiblesse de caractère. Thiago Silva, le capitaine, Neymar, Mbappé ou, il y a quelques années, Zlatan Ibrahimovic, ont tous eu son numéro direct. Une mise au vert à annuler, un entraîneur à virer ? Allô, NAK ? Imaginez la tête de l’entraîneur quand il apprend qu’il est court-circuité sur toutes les lignes ! « S’il fait la bise à Neymar, comment peut-il s’en sortir après ? », se demande Michel Moulin, un homme d’affaires et de réseaux qui fut, durant quelques mois de 2008, coordinateur sportif du PSG. « C’est la seule petite erreur qu’il a faite. Trop de proximité avec les joueurs. Mais sinon, il faut lui laisser du temps car construire un club, c’est compliqué », poursuit-il.
En revanche, quand NAK n’aime plus du tout… Durant la saison 2016-2017, Hatem Ben Arfa, international français, ne joue pas beaucoup. Son homme de confiance, Michel Ouazine, raconte : « On voulait comprendre pourquoi mais impossible de rencontrer NAK. Il ne répondait jamais au téléphone. Un jour, l’émir du Qatar assiste à l’entraînement. Hatem se précipite : “C’est plus facile de vous parler que de parler à NAK.” L’émir lui a même répondu : “Moi aussi, parfois, j’ai du mal à le joindre.” » NAK n’a pas trop apprécié et Ben Arfa n’a plus joué du tout.
Jean-Jacques Bertrand, avocat, a pris le relais. Bertrand est aussi l’avocat d’Adrien Rabiot, le milieu de terrain écarté toute cette année 2019, parce qu’il ne voulait pas prolonger son contrat qui arrivait à terme : « Au PSG, on met au placard, constate Bertrand. Sans prendre de pincettes. Antero Henrique, le directeur sportif, m’avait prévenu en juillet 2017 : “Ben Arfa doit partir. Et il n’aura pas un centime. S’il reste, il ne jouera plus. Ben Arfa, c’est ça (il a fait un tout petit geste) et Paris, c’est ça (un grand).” Ils sont dans un truc de toute puissance intégrale. »
Bilan contrasté
Après huit ans, le bilan personnel de NAK est plus que contrasté. Il y a eu des titres nationaux, certes, mais surtout des défaites européennes qui appartiennent à l’histoire. Des transferts record du monde et, aussi, ce bon de sortie sous condition accordé à Neymar qui laisse songeur sur la stratégie. NAK a bien essayé de sauver les apparences : après deux mois de silence, il a hurlé, en substance, dans France Football, le 18 juin dernier : « C’est moi le chef !!! » Alors que tout laisse bien sûr à penser que c’est trop tard, que c’est le début de la disgrâce.
« Du jour au lendemain, le Qatar est devenu un poids lourd mondial du sport, très exposé (…). Mais cette émergence spectaculaire a attisé la jalousie, puis la colère de leurs voisins du Golfe. » Luc Dayan, ancien président de club
Déjà, après la défaite 1-6 contre Barcelone en Ligue des champions en 2017, NAK avait dû changer d’itinéraire pour être expédié illico à Doha rendre des comptes à l’émir, qui était furieux. Mais NAK n’avait pas implosé. En fait, c’est comme s’il possédait un totem d’immunité : la confiance de l’émir. « Je vais vous dire : NAK, il est indéboulonnable. L’émir ne s’en séparera jamais quoi qu’il arrive. » La personne qui parle est très bien renseignée. Elle s’appelle Sihem Souid, une Franco-Tunisienne toute pimpante, qui gère la communication du Qatar en France et en Belgique. Elle est en lien direct et constant avec le cabinet de l’émir. Dans le passé, elle a travaillé aux côtés de Christiane Taubira, alors garde des sceaux. Aujourd’hui, elle possède un abonnement sur la ligne Paris-Doha. « Les Qataris sont fidèles en amitié. Là-bas, NAK est adoré par tout le monde. Concernant les soucis judiciaires, les Qataris sont unanimes à ce sujet : “Il faut le soutenir. C’est une cabale, c’est nous qui sommes attaqués à travers lui.” De leur point de vue, le PSG, c’est une réussite. »
L’analyse de Luc Dayan, ancien président de club et fin connaisseur du Qatar, est beaucoup plus mitigée : « Du jour au lendemain, le pays est devenu un poids lourd mondial du sport, très exposé. Grâce notamment à Nicolas Sarkozy qui les aurait conduits à reprendre le PSG, alors en difficulté financière et, simultanément, les aurait aidés à obtenir l’organisation du mondial 2022 en “influençant” Michel Platini. Mais cette émergence spectaculaire a attisé progressivement la jalousie, puis la colère de leurs voisins du Golfe. Malheureusement, rien ne s’est passé comme prévu. Nicolas Sarkozy n’a pas été réélu en 2012, le PSG a piétiné dans sa quête d’une victoire en Ligue des champions, et l’obtention de la Coupe du monde a fait l’objet de campagnes de presse terribles anti-Qatar… Huit ans plus tard, le pays subit un blocus économique et politique de la part de l’Arabie saoudite et de ses alliés locaux, et sportivement, le PSG doit à nouveau se reconstruire, après des défaites sur la scène européenne aussi humiliantes qu’inexpliquées. Avec le recul, la question se pose de déterminer si c’est in fine une réussite ou un immense gâchis. Je pense surtout que cette drôle d’histoire n’est pas encore terminée. »
D’ici là, en obtenant les pleins pouvoirs sportifs transmis par l’émir, Leonardo est revenu au PSG pour tenter de remettre de l’ordre dans la boutique. Et pousser le président sur le banc de touche ? Il faudra être costaud. NAK n’a probablement pas oublié cette histoire, quand Leonardo était déjà directeur sportif du club en mai 2013. Le PSG remporte son premier titre de champion de France de l’ère qatarie. NAK plastronne en tribune. Dans le vestiaire, il y en a un qui a du mal à se réjouir. C’est Zlatan. Parce qu’un titre de champion de France, ça ne lui fait ni chaud ni froid. Alors, Leonardo l’a pris entre quatre yeux, devant tout le monde, pour lui rappeler la définition d’un sport collectif. Le face-à-face avec Zlatan, ça l’a tellement tendu, Leonardo, que le lendemain, il était hospitalisé. Malaise vagal. Il quittera le club peu après. NAK est probablement là pour encore très longtemps.