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Tottenham, le pragmatisme prend la main
L'été suivant son licenciement de Chelsea, André Villas-Boas fait déjà son retour sur le banc. Non seulement dans le même championnat où il officiait il n'y a pas si longtemps, mais dans la même ville, histoire de continuer à renforcer le côté atypique de son parcours. (Si vous voulez briller en société, sachez que c'était arrivé a Zaccheroni qui était passé du Torino à la Juventus, mais après un hiatus de 3 ans et non 6 mois).
Une équipe en transition, à défaut d'une équipe de transitions
Si à Chelsea Villas-Boas avait pu bénéficier d'une continuité de l'effectif (qui causera au final sa perte tant les cadres étaient établis et peu enclins au changement), il n'en est pas du tout de même lors de son arrivée à Tottenham.
Les Spurs perdent leur métronome Luka Modric, parti au Real, ainsi que Van der Vaart (12 buts la saison précédente) et entament une campagne de renouvellement de l'effectif avec une arrivée massive de titulaires en puissance : Lloris, Vertonghen, Dembele, Adebayor...
Partiellement refroidi par son échec chez les Blues, AVB décide d'adapter son système de jeu et d'installer de manière permanente un schéma avec lequel il avait expérimenté occasionnellement la saison précédente : un 4-2-3-1 plus pragmatique, MAIS tout en maintenant son principe de ligne de défense haute. Le pressing est toujours présent au milieu de terrain... et toujours absent de la ligne d'attaque.
Des difficultés tactiques récurrentes
Dans la section de l'article sur Chelsea, on regrettait l'absence de PPDA pour cette période, mais on en sait un peu plus sur la période Spurs à travers un article de l'époque sur le site StatsBomb. En effet, lorsqu'on regarde la liste des entraîneurs qui effectuent le pressing le plus intense, Villas-Boas ne se trouve que très loin (110e sur 154). L'auteur de l'article (Colin Trainor) élabore (propos traduits) :
Si Villas-Boas essayait sincèrement de mettre en place un pressing haut, il s'y prenait vraiment mal.
Peut-être qu'AVB avait simplement une terrible configuration où la ligne défensive se positionnait très haut mais sans véritablement presser vers le camp adverse ? Les joueurs adverses avaient ensuite le temps de prendre leur décision et de trouver une option de passe à travers la défense qui était à ce moment-là en perdition et hors de position. En résulte une opportunité en or pour l'adversaire, en l'absence à la fois de pressing et de couverture.
Les valeurs relativement hautes de PPDA pour les équipes d'AVB durant la période analysée ici suggèrent en tout cas qu'elles n'étaient pas efficaces lorsqu'il s'agissait de presser au bon moment en accord avec leur positionnement.
Une ligne haute qui expose l'équipe de manière excessive et qui donne lieu à un plus grand nombre de situations dangereuses pour l'adversaire ? On revoit ce qui avait causé des problèmes à Chelsea. En effet, si en terme de positionnement la ligne défensive des Spurs était la seconde plus haute de Premier League (derrière Manchester City), en revanche au classement de la mesure PPDA l'équipe d'AVB ne se trouvait qu'à la 7e place.
Pour comparaison, l'évolution de la PPDA sous Villas-Boas et Pocchetino qui prit les commandes des Spurs (après un interim prolongé de Tim Sherwood) :
Le Gallois qui cache la forêt ?
Pour autant, les résultats sont autrement plus satisfaisants qu'à Chelsea. Sa première saison chez les Spurs fut leur meilleure en terme de points, et AVB quitta Londres avec des statistiques plutôt flatteuses : une moyenne de points par match qui s'élevait à 1.92, et le troisième meilleur pourcentage de victoire pour un entraîneur de Tottenham. Sans oublier certaines victoires probantes contre des gros du championnat, comme une victoire 3-1 face à Manchester City ou celle obtenue à Old Trafford (3-2).
La principale raison est à chercher sur l'aile gauche. Si à Chelsea on notait l'absence d'un ailier avec un profil et une activité similaires à Hulk qui contribuait à déséquilibrer le bloc adverse, les Spurs disposent avec Gareth Bale d'un atout redoutable. Très complet, athlétique et imprévisible, le Gallois est l'arme principale de cette équipe et contribue grandement à leurs succès. Parfois laissé libre, il peut évoluer derrière l'attaquant pour contribuer à transformer la formation en 4-4-2 en phase offensive. Il terminera la saison avec 26 buts et 15 passes décisives toutes compétitions confondues, et son départ au Real Madrid au début de la saison suivante sera un facteur déterminant pour l'évolution du club sous AVB (voir plus loin).
Mais il ne s'agit pas de la seule explication. Le passage au double pivot au milieu de terrain permet une meilleure protection de la charnière centrale lorsque celle-ci monte avec le reste de l'équipe, et avec Lloris les Spurs ont un gardien qui peut occasionnellement se transformer en "sweeper" correct malgré quelques bourdes.
Ce double pivot permet de minimiser les conséquences du positionnement assez haut de l'équipe en réduisant le nombre d'occasions dangereuses. En 2012/13, Tottenham est ainsi l'équipe qui concède le moins de tirs par match en moyenne :
À noter également que lors de cette première saison à Tottenham, AVB a privilégié le positionnement de ses ailiers sur leur bon pied : Bale à gauche, Lennon à droite (sauf exceptions ponctuelles).
Au final, une 5e place très honorable en Premier League, les 1/4 de finale de l'Europa League et deux éliminations un peu anecdotiques dans les coupes nationales. Somme toute des résultats prometteurs qui pouvaient laisser penser qu'après l'erreur d'aller à Chelsea, Villas-Boas avait trouvé un club qui correspondait au palier dont il avait besoin et dans lequel il pourrait continuer à élaborer son projet.
Un remaniement d'équipe conséquent
La deuxième saison d'AVB à Tottenham démarre comme la première : avec un mercato agité. Principal événement de la période estivale, le départ tardif de Gareth Bale au Real Madrid, lui qui avait été un pilier de la campagne précédente. Le reste des départs inclut un Steven Caulker qui n'a jamais confirmé les attentes placées en lui à ce niveau.
Au rayon des arrivées, la plus significative en terme de jeu est celle de Christian Eriksen, destiné à s'installer comme numéro 10 dans le 4-2-3-1 de référence. Paulinho et Capoue viennent renforcer le milieu, tandis que Lamela et Chadli sont recrutés pour animer les ailes. Enfin, et pas des moindres, Soldado vient disputer la place d'attaquant titulaire à Adebayor.
Potentiellement la moitié de l'équipe type se voit modifiée, et AVB aura du mal à trouver son onze - les joueurs sur le départ comme Defoe et Bale démarrent la saison titulaires avant de partir, et certaines des recrues (en particulier Lamela) peinent à s'adapter au rythme de la Premier League. Le tout avec un calendrier assez dense en raison des tours qualificatifs de l'Europa League.
Le début de saison est tout à fait correct : les Spurs négocient très bien leur parcours européen en passant les barrages sans difficulté et avant de gagner tous leurs matchs de poule. En championnat, on note une amélioration flagrante sur la discipline défensive : 6 clean sheets sur les 10 premières rencontres, pour autant de victoires. Puis vient une défaite humiliante face à Manchester City (6-0), qui va précipiter la fin d'AVB à Tottenham.
La première saison fut magnifique à tous les points de vue. Nous avions peu de profondeur de banc, mais une grande motivation et beaucoup de volonté. Nous avons récolté le record de points dans l'histoire du club, avec un Bale incroyable (...).
En avril, nous avons commencé à préparer la saison suivante. J'ai proposé des noms de joueurs à vendre et à acheter durant la période des transferts, mais le board n'a pas écouté et ils ont rapidement détruit tout ce que j'avais créé.
J'ai eu une offre du Paris Saint-Germain qui me voulait, mais j'ai refusé par amour pour Tottenham. Peut-être que c'était une erreur.
-AVB
Un licenciement par les stats
Une défense en difficulté
La vision statistique de cette deuxième saison d'AVB à Tottenham est assez floue, avec une différence de buts négative au moment ou il est licencié qui s'explique par :
De courtes victoires par un but d'écart suite à des performances défensives impressionnantes.
De lourdes défaites (le 6-0 contre Manchester City, 3-0 contre West Ham, le 5-0 contre Liverpool qui sera le dernier match du Portugais).
Si l'on regarde la tendance des xGA (Expected Goals concédés), on voit une dégradation progressive de l'hermétisme défensif de l'équipe :
Comme le dit l'auteur de l'article dont ce graphe est tiré, on peut avoir plusieurs explications : faillites individuelles, blessures... mais la tendance semble montrer qu'après un début de saison réussi, les adversaires des Spurs ont fini par comprendre comment mettre en danger cette équipe. Et il ne s'agit pas seulement des ténors du championnat, Fulham et Sunderland ont également été capables de se procurer nombre d'occasions dangereuses. Un autre graphe du même article tente même de préciser la nature de ces situations en se concentrant sur les ballons en profondeur :
On a l'impression d'assister à une rediffusion des problèmes constatés à Chelsea, où une équipe de Villas-Boas se fait percer et est mise en danger par des situations dont l'issue ne fait pas vraiment de doute.
La production offensive en question
Outre la vulnérabilité d'une défense de plus en plus perméable, un des principaux reproches adressés au cru 2013/14 des Spurs de Villas-Boas concerne le réalisme et les taux de conversion des attaquants. Ainsi, avant le licenciement de l'entraîneur on pouvait voir des statistiques telles que celles de l'ailier Townsend, 1 but pour 45 tirs ou Paulinho, 1 but en 38 tirs. Les Spurs ont du mal à créer des situations dangereuses, sans doute le prix à payer pour cette solidité défensive du début de saison qui va de pair avec une certaine timidité, mais pas seulement.
On l'a vu, l'effectif a été considérablement modifié durant l'été et AVB se retrouve avec un problème de cohérence selon les joueurs disponibles.
Alors qu'il a évolué toute la saison 2012/13 avec des ailiers sur le bon pied (dont Lennon toujours là), il a recruté Lamela qui fonctionne bien mieux en faux pied, tout comme Townsend.
Dembele est un bon joueur de transition associé a Capoue ou Sandro, mais son double pivot avec un Paulinho offensif (mais brouillon) change totalement le visage du milieu de terrain
L'apport des latéraux est important pour maintenir la fameuse ligne défensive haute, mais au milieu d'un recrutement pléthorique personne n'a semble-t-il songé à débaucher un arrière gauche remplaçant digne de ce nom (ça vous rappelle quelque chose ?). Ce qui fait que lorsque Danny Rose se blesse pour quelques semaines, Vertonghen se retrouve à dépanner à gauche et toute l'animation en pâtit.
Le rôle de Sigurdsson demeure flou - tantôt capable de jouer à gauche et de permuter occasionnellement avec Eriksen qui occupe la position de 10, tantôt exilé à droite...
Devant, il faut peser la créativité et l'imprévisibilité d'Adebayor par rapport à un Soldado capable d'être plus réaliste.
Harry Kane commence à être intégré à l'équipe première... parfois sur l'aile gauche.
Alors qu'il semblait avoir enfin trouvé une formule qui fonctionne (installation définitive du 4-2-3-1, ailiers sur le bon pied, centraux dont le profil correspond au projet), Villas-Boas et son staff semblent avoir raté un mercato durant lequel ils disposaient pourtant d'une manne financière importante suite au transfert de Bale.
Bien sûr, les joueurs recrutés ne manquent pas de talent, et certains ont prouvé dans d'autres championnats qu'ils étaient capables d'apporter une plus-value non négligeable, mais ils ne correspondaient pas forcément au projet de l'équipe et on ne peut pas dire que l'entraîneur portugais ne les fasse évoluer à leur poste ou dans les meilleures conditions. Là encore, toute ressemblance avec un entraîneur récemment passé par Marseille serait purement fortuite.
Conclusion
André Villas-Boas est donc licencié mi-décembre 2013, au lendemain d'une défaite humiliante mais logique à domicile face à Liverpool. Beaucoup de réactions de l'époque trouvèrent cette décision assez sévère au regard de la saison précédente, de la moyenne de points obtenue ou du fait que les naufrages défensifs semblaient concentrés en un petit nombre de rencontres. Néanmoins, en se penchant sur les tendances qui se mettaient en place à l'époque, on peut penser que les dirigeants ont fait le bon choix tant il est difficile de savoir si AVB aurait pu redresser la barre. Il est aussi facile de leur donner raison a posteriori en voyant ce que Mauricio Pochettino a fini par faire de cet effectif, non seulement au niveau des résultats mais aussi en terme de développement des joueurs (Kane, Lamela pour ne citer qu'eux).
Si l'échec de Chelsea révélait un entraîneur avec des principes de jeu intéressants mais qui avait fait un choix de carrière pour le moins bizarre, le parcours d'AVB à Tottenham soulève d'autres questions : sa faculté d'adaptation à la Premier League, sa capacité à gérer un mercato très agité (en cela, il est toujours difficile de connaître la part exacte de l'entraîneur dans les décisions de recrutement si on se fie à la citation incluse plus haut), et son virage pragmatique après la tentative ratée d'imposer ses idées.
Durant sa deuxième saison, on peut d'ailleurs voir plusieurs points communs avec la période Garcia de l'OM : mauvaise utilisation de joueurs pourtant talentueux, lourdes défaites face aux gros du championnat, difficulté à trouver un équilibre à la fois vertical et horizontal...