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QUINTA DO LAGO (POR) - Il y a deux mois, André Villas-Boas était plus proche de quitter Marseille que d'y rester. Affecté par le départ du directeur sportif Andoni Zubizarreta, le Portugais voulait lui emboîter le pas mais il est encore là, aujourd'hui, en stage de préparation sous le soleil de l'Algarve. Hier après-midi, après l'entraînement et le déjeuner, il a pris le temps de raconter ses doutes, son choix, et ses ambitions pour la saison.
« Après les mois de confinement, êtes-vous heureux de pouvoir recommencer à travailler ?
Oui, nous avons passé des mois très difficiles. Après tout cela, c'est bon de revoir les joueurs, les sourires. Sur ces deux semaines ici, on a fait ce qu'on appelle un retour à l'action. C'est-à-dire les gestes techniques, les contacts, tout ce que les joueurs n'ont pas eu pendant le confinement. On va faire une préparation normale de cinq-six semaines à partir du stage en Allemagne (du 17 au 25 juillet) . Et on a profité de ces dix jours pour faire des activités de groupe. C'est un stage de célébration de notre qualification en Ligue des champions, en quelque sorte.
La Ligue 1 n'a pas repris, les autres Championnats, si. Était-ce une erreur ?
La décision d'arrêter le Championnat, c'est la décision du gouvernement français. Et quand on voit la fatigue des joueurs, quand on voit la faible qualité des matches auxquels on assiste en ce moment, et surtout quand on voit les incertitudes qui entourent la pandémie, je pense vraiment que c'était la bonne décision. Pour moi, c'est dommage que l'UEFA n'ait pas aidé tous les gouvernements à faire de même. J'ai vu trois matches européens, ces derniers jours, ils sont sans intérêt, et pas seulement à cause du huis clos. Les joueurs sont fatigués. Qu'est-ce qu'on y gagne, au-delà des droits télé ? On a fini deuxièmes, donc tout le monde va dire que je dis cela parce qu'on est deuxièmes. Mais on avait de l'avance, on méritait d'être là, on était réguliers. Pour moi, la décision de la France a été la bonne. Quand on voit le calendrier qui se profile pour la saison prochaine... J'espère que cela ne va pas causer de grosses blessures à de grands joueurs.
On a beaucoup parlé de votre avenir, ces dernières semaines. Vous avez toujours dit que vous étiez venu pour Andoni Zubizarreta. Comment avez-vous vécu son départ, à la mi-mai ?
Ces moments ont été très difficiles pour moi, c'est très dur de revenir sur ma parole alors que je m'étais exposé publiquement. Tu perds un peu la face. Les joueurs, et seulement les joueurs, ont été la clé pour me faire changer d'avis. C'est d'ailleurs la première chose que j'ai voulu faire le jour de la reprise, leur rendre hommage. J'ai fait une petite réunion à la Commanderie, après les tests Covid, et je leur ai dit merci. J'ai eu beaucoup d'entre eux au téléphone, pendant des jours d'incertitude par rapport à mon futur à l'OM, et ils ont fait en sorte que je change d'avis. Parfois, une personne peut changer d'avis. J'espère qu'à la fin de la saison on dira que c'était une bonne chose. On a bien travaillé cette saison, on mérite la deuxième place, et je suis heureux d'avoir reçu tous ces appels qui, petit à petit, m'ont aidé à changer mon opinion.
Vous avez parlé aux joueurs, avez-vous parlé à Zubizarreta, aussi ?
Oui. Quand je suis rentré à Marseille pour voir le président (Jacques-Henri Eyraud) , le 13 mai, il m'a dit qu'il partait, que Albert (Valentin, le bras droit de Zubizarreta et responsable de la cellule de recrutement) partait aussi, et de continuer sans eux. J'étais surpris, parce que j'ai toujours pensé à nous comme une unité. Cela a rendu les choses difficiles pour moi.
"Avec Frank McCourt, on a une ligne directe qui n'était pas là avant
Vous avez dit plusieurs fois, la saison dernière, que son destin et le vôtre étaient liés.
Oui, tout à fait. C'est dur, mais le plus grand hommage que je peux faire est de continuer à penser à leur présence ici, à mes côtés. Par exemple avec le mercato qu'on est en train de faire, sur des joueurs que nous avions ciblés en janvier. Ce travail, qu'ils ont fait, est toujours là. Aujourd'hui, j'ai des rapports un peu plus directs avec le président et le propriétaire. Pendant ce moment d'incertitudes, pour la première fois, j'ai parlé directement au téléphone à Frank McCourt. Cela n'était pas arrivé de la saison, il a d'autres choses à penser. On a une ligne directe qui n'était pas là avant, parce qu'on avait une direction sportive qui fonctionnait bien.
Que s'est-il passé entre le moment où vous avez décidé de partir, dans la foulée du départ de Zubizarreta, et le moment où vous avez décidé de rester ? Vous avez pensé à la Ligue des champions ?
Oui, la Ligue des champions, un peu, j'y ai pensé.
Est-ce que votre agent vous a conseillé, ou vos proches, en vous disant de réfléchir ?
(Rires.) Vous savez, je prends toujours mes décisions tout seul, c'est pour ça que ma carrière a connu cette trajectoire, avec ces choix qui, parfois, sont pris dans l'émotion davantage que dans la rationalité. C'est toujours ma façon de vivre les choses. Mais les joueurs, comme je vous l'ai dit, ont fait la différence. Ils m'ont rassuré sur l'aspect sportif, sur la qualité, sur l'état d'esprit. Et ce rapport qu'on a m'a donné envie de continuer. Et puis évidemment, il y a l'OM, comme club, la ville de Marseille, qui m'a toujours respecté, et le fait que je me sente très bien en France.
Frank McCourt, avec qui vous avez parlé, vous a-t-il donné des garanties ? Comment vous a-t-il convaincu ?
Il m'a dit quelque chose de marquant : il voudrait continuer à faire des investissements pour l'OM mais il est mis en difficulté par le fair-play financier. J'ai senti qu'il était sincère, qu'il voulait continuer à investir mais que juridiquement il ne peut pas. De toute façon, Andoni, Albert et moi avions plutôt pensé à l'équilibre des comptes de l'OM, on a toujours su qu'on devait vendre et acheter des joueurs pas trop chers, ou libres, ou prêtés. Moi, j'ai expliqué à Frank que, si je restais, cela aurait un effet direct sur le groupe. Comme on a un bon groupe, établi, des bons rapports entre nous, cela donne envie aux joueurs de rester avec le coach. Si je quittais l'OM, cela pouvait donner envie aux joueurs de chercher des sorties. J'ai voulu bien l'expliquer à Frank et Jacques-Henri. Ils m'ont dit qu'ils voulaient absolument que je reste, et ils m'ont proposé une prolongation (il lui reste un an de contrat) . Mais ils sont avertis de l'effet que cela pourrait avoir sur le groupe.
Pensez-vous vraiment que tous les joueurs vont rester ?
Je leur ai dit que tous les projets sportifs dont ils pensent qu'ils sont plus ambitieux sportivement et plus intéressant financièrement pour eux, individuellement, ils devaient venir m'en parler. Et si cela se fait, ils n'auront pas de problème avec le club, parce qu'on a besoin de vendre. Maintenant, on va voir qui a des offres. Si personne n'en a, je serai extrêmement content. Si des offres arrivent, on va avoir besoin de remplacer les partants.
Vos relations avec Jacques-Henri Eyraud n'ont pas toujours été faciles, cette saison. Et aujourd'hui ?
Ça va mieux. La ligne directe a changé un peu les choses, parce qu'on est obligés d'être en contact tous les jours. On a maintenu une ligne correcte, professionnelle, et cela marche bien. Évidemment, avec Albert et Andoni, en plus du rapport professionnel, il y avait de l'amitié. Maintenant, ils ne sont pas là, mais je suis habitué à travailler comme ça, en ligne directe avec un président. Il y a des aspects positifs et des aspects négatifs. Tu dois avoir les agents au téléphone, tu dois avoir un regard sur la formation, tu dois t'occuper de détails logistiques que géraient Andoni.
En fait, vous êtes le nouveau "head of football" ?
Non, le président est le président, et moi je me focalise sur l'équipe première, je ne peux pas m'occuper de tout le monde. Le club cherche un directeur sportif, quand il sera trouvé on pourra retourner à la normalité. Je ne perds pas trop de temps sur la formation, mais je perds du temps avec les agents. C'est un travail que je ne faisais pas.
Vous avez reçu une offre de prolongation de Frank McCourt, le 19 mai. Vous l'avez immédiatement refusée. Pourquoi ?
C'était trop tôt. On venait d'avoir une grosse confrontation, et je ne pensais pas que c'était le moment.
Donc vous pourriez prolonger un jour ?
Je ne sais pas, les choses sont bien comme ça, on travaille bien, on va regarder comment la saison va se dérouler. Tout le monde connaît mes intentions, je n'ai pas besoin de les répéter tout le temps. J'ai entraîné onze ans, je veux faire plus ou moins quinze ans, il me reste quatre ans.
Ce refus de prolonger n'est pas définitif...
Cela ne dépend pas de moi. J'ai reçu une offre que j'ai refusée.
La saison passée, vous avez souvent dû bricoler, à cause de la justesse de l'effectif.
Le projet est de compléter l'effectif actuel avec quatre joueurs. Et ceux qui partent doivent tous être remplacés numériquement. Je pense que cela va suffire. On a l'idée de se renforcer avec des jeunes, sauf si une grosse opportunité se présente. On va rester sur cette ligne. C'est vrai qu'on ne va pas avoir beaucoup de joueurs qui ont l'expérience de la Ligue des champions dans l'effectif, mais on prendra le risque.
"Balerdi ? Oui, il fait partie de notre liste
Connaissez-vous bien Pape Gueye ?
Oui, on le suit depuis plusieurs mois, il était dans notre liste, on pensait qu'on l'avait perdu au profit de Watford. Je laisse la partie juridique à Jacques-Henri (1), il m'a dit qu'il était possible de revenir sur ce dossier, on a donné le feu vert. On sait qu'il peut se passer des choses avec Watford, mais on fait confiance à notre département juridique et j'espère avoir le joueur toute la saison. Il a la capacité athlétique, il peut jouer 6 ou 8, il a des qualités techniques pour une personne de sa taille (1,89 m) . Il doit évoluer sur l'aspect tactique, mais il a de l'expérience en termes de leadership, aussi, il a parfois été capitaine. Il s'est très bien intégré.
Sur cette liste de joueurs ciblés, y a-t-il Leonardo Balerdi, le défenseur argentin du Borussia Dortmund ?
Oui, c'est un joueur qu'on a suivi l'année dernière, mais il a signé à Dortmund pour 16 millions. On a présenté quatre noms à Jacques-Henri et il en fait partie. C'est un profil intéressant, on va voir ce qui va se passer. Mais on est prêts sur les trois autres dossiers, au cas où.
Mais c'est vous qui gérez le recrutement en plus de l'entraînement ?
Tout ce travail a déjà été fait au début du mois de mars. La liste est prête depuis longtemps. On a retardé quelques réunions à cause du confinement. Mais la liste reste plus ou moins la même que celle qu'on avait avec Andoni et Albert. J'ai seulement ajouté deux noms.
Serez-vous consulté sur le futur "head of football" ?
Mon choix est de ne pas intervenir. Un directeur sportif est pris pour la durée, il doit penser sur le long terme, ce n'est pas à l'entraîneur, qui a un an de contrat, de dicter les choses sur la direction sportive. Je préfère rester en dehors de ça et laisser le club prendre la décision.
Avez-vous déjà échangé avec Paul Aldridge (2) ?
Non, jamais. Je ne l'ai jamais rencontré.
Le club doit vendre. Êtes-vous prêt à voir partir un joueur comme Boubacar Kamara ? Ou certaines portes sont-elles fermées ?
Je ne peux pas le mettre dans ce type de position. Pour moi, c'est plus facile d'être dans une position d'attente, et de regarder si les offres arrivent. On a besoin de ventes, mais j'attends. Les joueurs vont m'avertir si quelque chose se passe. Ce n'est pas le cas pour le moment. Le marché français se ferme, on verra. Un club comme l'OM, en Ligue des champions, c'est attirant pour les joueurs qui sont à l'extérieur, mais aussi ceux qui sont dedans. Sauf s'il y a une excellente proposition, il n'y aura pas de départ.
Dans les échanges au téléphone, les joueurs vous ont dit aussi qu'ils voulaient rester pour vivre la C1 ensemble.
Oui, c'est vrai. Après, tout peut vite changer dans le football. On attend aussi la fin des Championnats européens, on verra ce que font ces équipes sur le mercato.
Kevin Strootman, par exemple, pourrait être laissé libre en cas d'offre.
C'est entre Kevin et le président. Kevin a été un joueur important pour moi, je compte sur lui, je ne pense pas qu'il veuille partir.
"En Ligue 1, les matches sont très intéressants. Ce n'était pas toujours le cas en Premier League
La saison dernière, vous vouliez le podium. Ce sera la même chose cette saison ?
Oui, l'objectif reste le même, continuer à démontrer notre force en France. J'attends Monaco et Lyon plus compétitifs pour se mêler à la lutte avec Lille et Rennes. Nous, on devra mesurer l'effet de la Ligue des champions. On n'aura plus la Coupe de la Ligue, mais on a un calendrier qui est pire, resserré, avec la C 1 en plus. C'est pour ça qu'il faut qu'on complète l'effectif. Mais on peut être compétitifs en France. Et le fait de jouer très vite les six premières journées de Ligue des champions est un avantage, à mon avis. Parce que tu peux être fixé après trois ou quatre journées. Le problème, ça va être le calendrier un peu lourd.
Florian Thauvin sera là dès le début de la saison. C'est une bonne nouvelle.
La saison dernière, souvent, on a raté les occasions de vivre des matches plus tranquilles, des victoires plus confortables, parce qu'on a été maladroits, parfois. Florian pourra faire la différence, il fait des passes décisives, il marque, il va apporter beaucoup. Je veux qu'il trouve le rythme le plus vite possible, il a raté toute une saison. On a des choses à améliorer dans notre qualité de jeu, et il va nous y aider, je pense. Cela peut donner plus d'options à Dario (Benedetto) .
Comment jugez-vous le Championnat de France, après une saison ?
J'ai bien aimé l'expérience. D'abord, pour l'ambiance, deuxièmement, pour la compétitivité. Les matches sont compliqués, on a eu par exemple de grosses difficultés contre Amiens, contre Nîmes aussi. Les équipes sont très bien préparées, physiquement et tactiquement. Cela donne des matches très intéressants, que j'ai envie de préparer. Ce n'était pas toujours le cas en Premier League, où les équipes se ferment derrière et sortent avec de longs ballons, sans principes de jeu.
En Ligue 1 aussi, les équipes sont souvent fermées derrière, non ?
Oui, mais toujours avec une idée de jeu, des entraîneurs qui se préparent pour l'adversaire et qui ont des principes bien définis. En Angleterre, non, c'est plus chaotique, ce sont des contre-attaques, c'est lié à l'émotionnel, à l'ambiance des stades, cela donne du spectacle mais pas pour nous, entraîneurs, qui voulons contrôler... J'ai bien aimé la France, vraiment. À l'OM, il y a aussi beaucoup d'amour pour le club et j'ai apprécié, évidemment. J'espère rester dans le coeur des supporters.
Il vous reste quatre ans à entraîner. Quatre ans à l'OM ?
(Rires.) On va voir... J'ai toujours voulu faire une Coupe du monde. J'ai de l'attirance pour le Japon, c'est un poste qui me plairait, j'étais proche de leur sélection, à une époque. On verra. »
(1) Le joueur avait initialement signé un pré-contrat avec Watford mais l'a résilié unilatéralement en s'appuyant sur ce qu'il considère comme des anomalies dans le processus de recrutement. Le club anglais envisage de dénoncer son engagement à Marseille.
(2) Recruté en janvier, l'Anglais, sorte de « conseiller spécial » , d'après Eyraud, a notamment pour mission d'ouvrir les portes du marché anglais aux joueurs marseillais.