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Marseille
Le sale air des jalousies
Cette saison aura été traversée par les innombrables remous créés par la politique salariale de l’OM. Des crispations qui pourraient coûter cher aux Phocéens. Texte Nabil Djellit et Dave Appadoo
«Dis-moi combien tu gagnes, je te dirai ton statut. » Si la taille du chèque est scrutée à la loupe par chaque membre d’un effectif, rarement une grille salariale aura autant accaparé les esprits que cette saison à la Commanderie. Et comment nier que l’immense retard à l’allumage de l’OM, que ce soit en Ligue 1 ou dans les différentes coupes où il n’aura fait que de la figuration, est en grande partie dû aux différents remous créés par les histoires de porte-monnaie des uns et des autres.
Quand la rumeur Balotelli crée des tensions
Ce qui est fou, c’est qu’au sortir du printemps dernier, la direction était loin d’imaginer le fiasco à venir. L’OM avait réveillé la cité phocéenne avec un parcours enthousiasmant jusqu’en finale de Ligue Europa et tout semblait indiquer que sur cette lancée, les Marseillais allaient poursuivre leur ascension, avec comme double objectif de garder quasiment intact le groupe déjà présent, à l’exception (notable) de Zambo Anguissa, et de se renforcer. Au vrai, le point de départ des ennuis, pour ne pas dire autre chose. D’ailleurs, dès l’été, Jacques-Henri Eyraud avait prévenu. Pour justifier le non-recrutement de Mario Balotelli, le boss invoque justement le risque du déséquilibre salarial au sein du vestiaire : « L’arrivée de Balotelli à l’OM était une opportunité. Mais aucune opportunité, aussi talentueuse soit-elle, ne mérite que l’on remette en cause les fondements économiques, l’équilibre sportif et la ligne de conduite, y compris éthique, que nous nous sommes fixés », explique-t-il de manière assez claire. En effet, le dossier Super Mario et les chiffres annoncés lors des premières négociations sont suivis avec intérêt par Florian Thauvin et surtout Dimitri Payet. Déjà bien échaudé par sa mésaventure en Ligue Europa, où le Réunionnais avait joué blessé en finale, risquant ainsi de rater la Coupe du monde en Russie en cas de rechute, avec l’épilogue funeste que l’on sait, le capitaine olympien n’apprécie vraiment pas de perdre son statut de joueur le mieux payé de l’OM au profit du fantasque attaquant italien. Une pression à laquelle la direction de l’OM n’est pas insensible, comme l’avoue Eyraud, d’autant que Rudi Garcia n’est pas pleinement convaincu du bien-fondé du choix Balotelli. Un Rudi Garcia qui, lui, a plutôt jeté son dévolu sur un autre gros nom du football international : Kevin Strootman.
Quand Strootman cristallise les aigreurs
Un joueur qu’a bien connu le coach de l’OM du temps où il officiait sur le banc de l’AS Roma. Toujours aussi friand de joueurs d’expérience, Garcia convainc son ancien poulain de quitter la Louve et la Serie A pour venir en Ligue 1, le tout contre une indemnité de transfert de quelque 25 M€ et un salaire de 4,5 M€ net par an (alors que le Néerlandais touchait environ 3,2 M€ à la Roma), soit le plus gros salaire de l’effectif marseillais. Une sorte de banco de la direction de l’OM qui va créer de sérieux remous. Car le Batave va dès lors cristalliser quelques sévères jalousies dans le vestiaire marseillais, notamment chez Dimitri Payet et Florian Thauvin dans un premier temps, avant que la crispation ne s’étende. Car, fatalement, les nouveaux coéquipiers de l’Oranje veulent voir pourquoi le club a cassé sa tirelire, alors que beaucoup savent que depuis ses différentes blessures, il est désormais bien loin du joueur de premier plan aperçu jusqu’en 2014. Désormais âgé de vingt-huit ans, Kevin Strootman ne convainc personne lors de ses premières apparitions. Pis, il est souvent dépassé par le tempo de la Ligue 1 et son fameux pied gauche censé « casser » les lignes adverses par la passe demeure à ce jour une énigme. Ce qui fait dire à un cadre du vestiaire que Strootman « ne correspond pas à notre philosophie de jeu, il multiplie les passes latérales ». Ambiance... D’ailleurs, dès l’automne, le coach de l’OM doit taper du poing sur la table en interne devant les joueurs : « Personne n’est irréprochable. Arrêtez de regarder dans l’assiette du voisin. » Strootman lui-même confesse le 3 mars dernier dans L’Équipe un réel malaise par rapport à ses revenus qui ferait jaser ses partenaires: « Tu es nouveau, tu lis dans certains articles qu’ils ne sont pas contents à cause de ton salaire, ce genre de choses. Peut-être que certains joueurs pensent ainsi. Je sais comment ça marche dans le football. Si vous jouez bien, l’équipe vous accepte. Si vous ne jouez pas bien, tout le monde va essayer de trouver des problèmes, des raisons... À moi de m’appliquer. »
Quand Luiz Gustavo tape du poing sur la table
Au milieu de ce marasme, les bannis (Abdennour, Hubocan, etc.) observent avec délectation les soucis de Rudi Garcia pendant que d’autres n’en finissent plus de nourrir une forme de rancœur envers l’ancien technicien de Lille. À tel point que Luiz Gustavo est obligé de monter lui-même au créneau face à des partenaires pour ramener tout le monde à la raison, comme le révèle France Football le 9 janvier: « Parlez de football dans le vestiaire, de tactique, de détermination, de faire les efforts ensemble, mais arrêtez de me parler d'autre chose. » Avant de s’adresser notamment à Thauvin et Payet : « Ne pleurez pas sur votre sort. J’aurais pu partir pour trois ou quatre fois plus en salaire, je suis resté pour le club, pour les supporters. » Car, aux yeux de tous, Garcia est comptable de la politique de recrutement, où il a pesé de tout son poids, une tare létale au vu des piètres résultats, notamment vis-à-vis des plus jeunes qui ont été fragilisés en première partie de saison par les choix sportifs où certains ont eu l’impression d’être des boucs émissaires un peu faciles au regard des prestations parfois pires de certains « gros salaires ». À l’image de Maxime Lopez ou Boubacar Kamara, très circonspects face à l’arrivée des jeunes prospects comme Duje Caleta-Car et Nemanja Radonjic, deux joueurs qui gagneraient autour de 200 000-220 000 € brut par mois sans être très performants, quand Lopez émarge à environ 125 000€ et Kamara à moins de 45 000 € brut. Deux actifs du club qui vont alors contre-attaquer, notamment Kamara qui, conseillé par les agents de Sakho et M’Vila, entreprend des négociations en vue de percevoir 200 000 €, alors que le club lui propose une base de 90 000 € évolutive, un dossier qui devrait aboutir dans les prochaines semaines. De son côté, Lopez laisse filtrer depuis plusieurs semaines qu’il ne serait pas insensible à l’attention de quelques gros clubs européens qui commencent à sérieusement lorgner le minot, comme le FC Séville, toujours très attentif à la Ligue 1. Dans l’entourage du club, on constate que bizarrement, depuis, Rudi Garcia a fait des deux jeunes pousses locales des titulaires de cette fin de saison. Une fin de saison enfin placée sous le signe de l’union sacrée où cette fois personne n’a moufté devant les émoluments de Balotelli débarqué en janvier, autant en raison de la plus-value immédiate de l’Italien que de l’urgence de la situation qui a poussé Garcia a effectué quelques choix forts, n’hésitant pas à laisser quelques « huiles » sur le banc. Surtout, Marseille n’a plus le temps pour les états d’âme. Mais si jamais l’OM devait échouer au pied du podium, nul doute que ce serait l’heure des règlements de comptes. En l’occurrence, de mauvais comptes.
France Football