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Bleus - Pourquoi les remplaçants de Russie ont-ils tous (ou presque) plongé cette saison ?
Presnel Kimpembe n'est pas le seul champion du monde à avoir mal digéré le sacre moscovite. Entre blessures, "burn-out" et prestations en dents de scie, c'est quasiment l'ensemble des seconds couteaux de juillet dernier qui n'est toujours pas retombé sur terre. Pourquoi ? Tentative de réponse.
Les souvenirs sont doux, chauds comme un été qu'on aurait aimé éternel. De Kazan à Saint-Pétersbourg, d'Ekaterinbourg à Moscou : que des sommets et des palpitations très fortes dans la poitrine. Des émotions fortes jusqu'au point culminant, un soir de déluge au Loujniki. Les vingt-trois chanceux choisis par Didier Deschamps ont démarré l'été dans un tourbillon. Tous sont montés très haut. La suite ? Le vide forcément. Nombre d'entre eux n'en sont pas encore revenus. Ils ont tous un point commun : leur temps de jeu en Russie est proportionnel à leur rendement actuel. Pour le dire autrement, à de rares exceptions, ceux qui n'ont pas ou peu joué l'été dernier n'ont retrouvé ni leurs esprits ni leur niveau.
Il y a ceux qui ont subi des blessures longue durée (Mendy, Tolisso), ceux qui ont été écartés du onze (Dembélé, Rami), ceux qui jouent mais mal (Kimpembe, Mandanda, Fekir, Nzonzi), ceux qui ont très longtemps traîné leur misère (Sidibé, Lemar) ou ceux qui stagnent (Aréola). Parmi les 12 remplaçants de Russie, une seule exception : Florian Thauvin qui a longtemps maintenu l'OM à flot cette saison avec des statistiques tout à fait honorables (13 buts, 8 passes décisives). Mais pour lui comme pour ses camarades du banc de touche, le rendement n'a rien à voir avec celui de l'an passé.
Thauvin et Rami à Moscou avec la Coupe du mondeGetty Images
Burn-out de Rami, black out de Kimpembe
Pour les remplaçants de Russie, cette saison ressemble au mieux à un coup pour rien, au pire à un calvaire sans fin. Une main qui a coûté une qualification en C1, un csc qui coûte une Coupe de France au PSG et des prestations décevantes pour Presnel Kimpembe, une saison blanche pour Corentin Tolisso, un déclassement dans l'effectif marseillais pour Adil Rami, une influence en baisse totale à l'OL pour Nabil Fekir, des coaches (Pep Guardiola et Didier Deschamps) qui le recadre sur son hygiène de vie pour Benjamin Mendy : les exemples sont légion. "Ils ont atteint le but de leur vie professionnelle", décortique Denis Troch, ancien entraineur de Troyes ou Amiens devenu coach mental. "Derrière, il y a soit une décompression naturelle soit une dépression parce qu'ils ont atteint leur but et qu'ils ont du mal à se rattacher à quelque chose de plus grand. C'est un mécanisme naturel après un moment fort en émotion."
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Voilà pourquoi Adil Rami a parlé de burn-out. Le Marseillais (un seul match joué en 2019 !) a "galéré mentalement et physiquement depuis la Coupe du monde". Ils sont nombreux à partager cette usure mais il fut le seul à témoigner à visage découvert. "Il faut faire le deuil de sa première vie professionnelle dont on a atteint l'objectif et revisiter ses rêves", continue Troch. "Les champions du monde de 1998 ont trouvé une autre vie ailleurs pour trouver d'autres buts dans le cinéma, la publicité, les médias. Ils voulaient être reconnus en tant qu'homme et plus seulement en tant que champion du monde."
Kimpembe et Lemar avec la Coupe du mondeGetty Images
Pourquoi les titulaires s'en sortent-ils mieux ?
Pourquoi la carrière des remplaçants semble plus compliquée à redémarrer que celle des incontestables titulaires de la campagne russe ? Hormis Benjamin Pavard, en difficulté à Stuttgart, les autres sont plutôt dans leurs standards habituels (Lloris, Hernandez, Mbappé, Griezmann, Matuidi pour ne citer qu'eux). "C'est beaucoup plus dur à vivre pour les remplaçants", témoigne Troch. "Ils ont le titre mais inconsciemment, il manque quelque chose. Le vrai Graal, c'est d'avoir été titulaire. Ils doivent accepter d'avoir été champion du monde sans jouer ou en jouant peu. La situation est doublement inhabituelle : être champion du monde, ça n'arrive pas tous les jours, et être remplaçant. C'est doublement plus dur à accepter."
Le retour sur terre est rude. Parce que le statut a changé. Parce que désormais, les responsabilités sont plus lourdes à porter. Les supporters, le club et son environnement attendent des champions du monde qu'ils les fassent désormais gagner, surtout dans des formations moins huppées comme Marseille ou Lyon. Au Real, au Barça ou à la Juventus, ils partagent les responsabilités avec de grands noms qui ont déjà gagné la C1 ou la Coupe du monde et il est sans doute moins difficile d'y faire accepter son nouveau statut.
Nabil Fekir face à GuingampGetty Images
"Et maintenant, je fais quoi ?"
Adil Rami et Steve Mandanda sont sans doute les cas les plus symptomatiques, eux qui ont littéralement plongé depuis juillet dernier. Pour Troch, ce n'est pas un hasard : "Kylian Mbappé n'a pas connu de décompression parce qu'il a des buts précis à atteindre et des objectifs qu'il s'est fixé : gagner autant de Coupes du monde que Pelé par exemple. Mais pour les champions du monde en fin de carrière, c'est beaucoup plus dur de trouver un sens. Ils doivent se demander : "Et maintenant, je fais quoi ?" On peut comparer aux trois temps de la courbe du deuil. D'abord, le déni, on n'y croit pas. Puis la colère contre soi ou les autres et on se demande pourquoi c'est tombé sur moi. Et enfin, la peur ou la tristesse et on se demande ce qu'on va devenir."
Quelle est la solution ? "Comprendre qu'être champion du monde, c'est leur nouvelle normalité", répond Troch. "Le temps peut faire son œuvre." Les remplaçants de Russie doivent commencer à le trouver long…