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L’arbitrage vidéo crève l’écran
L’adoption de l’assistance vidéo à l’arbitrage (VAR), introduite en Ligue 1 depuis le début de la saison, bouleverse l’expérience du téléspectateur ainsi que le travail des réalisateurs télé, qui ont dû apprendre à la « scénariser ». PAR JEAN-MARIE POTTIER
Les téléspectateurs français n’ont pas été dépaysés. Ils avaient quitté la Coupe du monde, le 15 juillet, sur un penalty accordé pour une main repérée par l’assistance vidéo à l’arbitrage (VAR), qui a remis les Français aux commandes de leur finale face à la Croatie (4-2). Ils ont retrouvé la Ligue 1, le 10 août, sur une action identique qui a permis au Marseillais Dimitri Payet d’inscrire le premier but de la saison face à Toulouse (4-0). À chaque fois, ils ont pu apprécier en détail à l’écran la réflexion de l’arbitre et les interrogations des joueurs, ce qui n’était pas le cas des premiers matches télévisés lors des deux années où cette nouvelle procédure a été testée. « Une époque où il n’y avait pas grand-chose d’acté et aucune façon de mettre le VAR en images », se souvient Dominick Brette, un des réalisateurs qui travaillaient sur la retransmission du match amical France-Espagne en mars 2017 (0-2), marqué par les deux premiers recours au VAR sur une pelouse de l’Hexagone.
Les chaînes ont appris à sortir l’arbitrage vidéo de sa boîte noire. Au cours des tests menés ces dernières saisons lors des Coupes nationales ou des barrages d’accession, France 2, Eurosport et beIN Sports affichaient un petit bandeau précisant « Assistance vidéo à l’arbitrage » mais sans montrer l’intérieur de la régie VAR ni les images visionnées par l’arbitre central, par exemple lors de l’invalidation contestée par Mikael Lesage d’un but de Mbappé en finale de Coupe de France PSG-Les Herbiers (2-0), le 8 mai dernier.
En Coupe de la Ligue, Canal + utilisait de son côté un système de split-screen permettant de faire coexister à l’écran, grâce à trois fenêtres, l’arbitre central, les vingt‑deux joueurs, l’intérieur de la régie VAR et les images utilisées par les arbitres vidéo, produites par les caméras du diffuseur. Un dispositif ensuite adopté pour la Coupe du monde par la société de production HBS, responsable du signal international. La consigne, synthétise Jean-Jacques Amsellem, un des huit réalisateurs du tournoi : « Être rigoureux, didactique, factuel. » Aux manettes lors de France-Australie (2-1), marqué par le premier penalty-VAR de l’histoire du Mondial, le Français résume le défi visuel posé par cette nouvelle procédure : « Il fallait bien assurer le multifenêtrage et ne pas envoyer une première salve de ralentis trop tôt. Quand l’arbitre mettait la main à l’oreille, il fallait rester en direct pour ne pas rater le geste de la vidéo. »
« On vit une période pédagogique où il faut faire comprendre qu’il y a une interaction entre une équipe en dehors du stade, l’arbitre et le terrain. L’idée de cette triple fenêtre est de rester dans le match tout en montrant qu’il se passe autre chose pendant ce temps-là », explique Laurent Lachand, lui aussi présent en Russie et principal réalisateur des soirées de Canal+ avec Amsellem. « À partir du moment où l’arbitre vient regarder le moniteur, on voit dans la fenêtre principale ce qu’il voit et cette image prend presque une valeur réglementaire. » Sans, d’ailleurs, que cela soit explicitement signalé au téléspectateur… Peut-être une piste d’amélioration pour la suite, le même dispositif multifenêtres ayant désormais cours en Ligue 1 sur Canal+ comme sur beIN Sports.
Les réalisateurs interrogés abordent cette installation du VAR dans la durée avec un relatif optimisme. « Objectivement, j’ai plutôt adhéré, explique Jean-Jacques Amsellem. Ce sont des faits de jeu qui ne perturbent pas le rythme de la réalisation. Il faut que ça reste quelque chose de ponctuel : il n’y a pas de VAR pendant un match ? Ça n’est pas grave ! » Un optimisme tempéré par la nécessité de ne pas faire du VAR un outil magique. « Dans un premier temps, l’arbitre ne siffle pas la main de Perisic en finale parce qu’il ne la voit pas ou ne la juge pas volontaire. On voit ensuite qu’il revisionne beaucoup les images parce qu’elles donnent lieu à interprétation. C’est là pour aider mais il y aura toujours des discussions… », estime Serge Bergli, réalisateur sur la Ligue 1 pour beIN Sports. « Quand on met une loupe sur une action, on a l’impression qu’il y a faute à chaque fois. D’ailleurs, les arbitres regardent beaucoup de choses à vitesse réelle », ajoute Laurent Lachand – ils suivent en cela la procédure prônée par le Board pour juger l’intensité d’une faute ou l’intentionnalité d’une main.
Le téléspectateur sera parfois aussi indécis qu’eux. « Il n’est pas toujours facile de comprendre quand vous voyez sur l’écran de l’arbitre deux ou trois images en même temps ou quatre secondes en boucle, comme cela a parfois été le cas en Russie », reconnaît Marcin Serafin, directeur opérationnel d’Ekstraklasa Live Park, la société chargée de la captation du Championnat de Pologne, où le VAR a été généralisé au début de l’année 2018. D’autant que, contrairement à ce qui se pratique au rugby, le téléspectateur n’a que les images, pas le son. « Si vous donnez les images sans l’échange entre l’arbitre vidéo et l’arbitre central, vous éclaircissez les choses sans les éclaircir jusqu’au bout », estime Dominick Brette. Lors de la Coupe du monde, Pierluigi Collina, le président de la commission des arbitres de la Fifa, avait jugé l’idée de rendre ces dialogues disponibles pour les diffuseurs et les téléspectateurs « intéressante » mais prématurée : « Avant de courir, vous devez apprendre à marcher. »•
L"Equipe Mag