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LE CAMÉLÉON
La réussite de l’actuel entraîneur de Lille tient pour beaucoup à sa capacité à se fondre dans son environnement socio-économique et humain, à Saint-Étienne comme dans le Nord. BERNARD LIONS
Christophe Galtier l’a fracturé. Le club le lui a facturé. Pas grave. Avoir dû payer le panneau publicitaire cassé d’un coup de pied victorieux à l’issue de Boulogne - Saint-Étienne n’est rien à côté de ce que lui aurait coûté la relégation des Verts. Mais en marquant à 87e minute, Emmanuel Rivière officialise le maintien de l’ASSE lors de la 36e journée d’une saison 2009-2010 que l’équipe termina à la dix-septième place (1-0, le 5 mai 2010). Cent quarante et un jours après son intronisation comme entraîneur numéro 1 de l’AS Saint-Étienne, Christophe Galtier a réussi. Pour lui, le stade de la Libération n’a jamais aussi bien porté son nom que ce soir-là. Alain Blachon, son premier adjoint (2010-2015), confirme : « C’était comme s’il avait évacué toute la pression et la passion d’un coup. Christophe sentait qu’il n’avait pas le droit à l’erreur. Quand tu es jeune entraîneur, tu ne peux pas te permettre de débuter par un échec. »
“Un entraîneur est comme un chef étoilé, qui est passé par beaucoup de brigades au sein desquelles il a emmagasiné un savoir, se l’est approprié, avant de se faire sa propre idée
Alain Blachon,
ancien adjoint de Galtier à Saint-étienne
Surtout, quand ta nomination est passée au forceps. Ne pouvant ni verser les indemnités de licenciement à Alain Perrin, débarqué le 15 décembre 2009, ni se payer un nouvel entraîneur, les dirigeants de l’ASSE s’étaient résignés à accepter le deal de Jean-Pierre Bernès, alors agent du duo Perrin-Galtier : donner sa chance au second. En échange, Perrin serait payé plus tard et Galtier gardait son salaire d’adjoint. Six mois plus tard, il ne touchera même pas sa prime de maintien. Il demandera qu’elle soit partagée entre toutes les petites mains du club. La Coupe de la Ligue passera aussi dans chacune d’entre elles, en 2013, sur les conseils de Bernard Lacombe, le conseiller de Jean-Michel Aulas, côtoyé quelques années auparavant. « Christophe est malin, dans le bon sens du terme, loyal et fédérateur, observe René Lobello, l’un de ses derniers seconds à Saint-Étienne (2016-2017). Les Verts ont trouvé en lui un bâtisseur. » Qui, dans un premier temps, s’est attaché à restaurer un état d’esprit club.
Éveillé au football grâce à l’épopée des Verts de 1976, ce Marseillais de naissance se rapproche vite des glorieux anciens. Alors que Robert Herbin a été mis à la porte de L’Étrat, le centre d’entraînement et de vie de l’ASSE, quelques années auparavant, Galtier la rouvre en grand à son illustre prédécesseur sur le banc des Verts. Il se lie également avec Dominique Rocheteau, propulsé coordinateur des Verts au sortir de la Coupe du monde 2010. Après avoir punaisé le poster de « l’Ange vert » dans sa chambre d’adolescent, Galtier en devient l’ami. Comme il l’est toujours du fils de Roland Romeyer, le président du directoire de l’ASSE. Il sympathisera plus tard avec Carlo Ancelotti et José Mourinho, venu le visiter à deux reprises à Lille ce printemps.
Toujours cette envie, chez lui, de se nourrir de tout et de rien et, souvent, des plus grands. « Un entraîneur est comme un chef étoilé, qui est passé par beaucoup de brigades au sein desquelles il a emmagasiné un savoir, se l’est approprié, avant de se faire sa propre idée, rappelle Blachon. Christophe est comme ça. À l’écoute. »
Pour asseoir son statut de numéro 1, il s’inspire ainsi de la méthode de Didier Deschamps à l’OM en réintroduisant le virus de la gagne dans un vestiaire stéphanois de losers. Comment ? En recrutant des joueurs aguerris à la Ligue 1, dotés d’un « état d’esprit à l’ancienne » (selon l’expression de l’ancien défenseur Jean-Pascal Mignot) et, surtout, qui ont déjà gagné dans leurs précédents clubs (Mignot à Auxerre, François Clerc et Jérémy Clément à Lyon, Brandao à l’OM…) Un jour, alors que l’un de ses joueurs se plaint d’un tacle trop appuyé de Clerc, Galtier laisse jouer. Tous sont désormais là pour gagner leur place à l’entraînement. Un autre jour, voyant ses cadres se moquer de Banel Nicolita, il les réunit pour leur dire que, le jour où ils auront joué et gagné autant de grands matches que l’ancien capitaine du Steaua Bucarest et international roumain, ils pourront se permettre de le chambrer.
Père peinard capable de se transformer en père Fouettard
« Grâce à ses années d’adjoint, il a gardé ce côté protecteur et très proche des joueurs », note Mignot, arrivé durant l’été 2011, quand Galtier peut, « grâce à son amitié avec Stéphane Tessier (directeur général des services de l’ASSE de janvier 2010 à septembre 2015), remodeler le groupe à son image. Si vous rajoutez (Jonathan) Brison, (Renaud) Cohade, (Fabien) Lemoine, sans oublier (Jessy) Moulin et (Loïc) Perrin, déjà au club, nous étions une dizaine de joueurs “jumeaux”. Il nous a laissés prendre les commandes du vestiaire, tout en gardant un œil dessus. On pouvait faire des tables de tarot avant les entraînements. Même Brandao s’y est mis. On savait aussi profiter de la vie. Il nous demandait d’être le plus professionnels possible, en gardant une certaine autonomie. » Libertaire, Galtier ? Plutôt un père peinard capable de se transformer en père Fouettard. Sachant que des joueurs ont arrosé en charmante compagnie la mise au vert précédant la réception de Toulouse (0-1, le 8 mai 2010), Galtier obtient que deux d’entre eux ne portent plus jamais le maillot vert. Afin de solidifier sa défense, il déboulonne Jérémie Janot (au profit de Stéphane Ruffier), « lofte » Bayal Sall et Sylvain Monsoreau (qui rejoignent ainsi Boubacar Sanogo), durant l’été 2011.
Après une victoire à Dijon (1-0, le 29 avril 2012), il apprend que des joueurs se sont fait livrer de la restauration rapide lors de la mise au vert à L’Étrat. Que d’autres ont dégusté une bonne bouteille de vin. « Il nous avait mis à l’amende dans le vestiaire… », évacue Mignot. Se sentant trahi, Galtier utilise des mots violents à leur encontre, refusant même de les entraîner. « Il est au courant de tout ce qui se passe dans le football, les mouvements comme le dessous des histoires, s’étonne Lobello. Posséder des réseaux, côtoyer du monde et savoir leur parler lui permet d’être en permanence au goût du jour et jamais en retard dans les infos. Il a un grand sens de l’adaptation. C’est une éponge, capable de tout absorber, un caméléon. Quels que soient le milieu et la situation, il va s’en sortir. »
L’ASSE n’a plus les moyens de ses ambitions ? Il va puiser dans son centre de formation, lançant tour à tour Josuha Guilavogui, Faouzi Ghoulam, Idriss Saadi, Kurt Zouma, tous internationaux depuis. En plus d’offrir une seconde carrière à Loïc Perrin en le replaçant dans l’axe, il permet à Pierre-Émerick Aubameyang d’éclore, enfin. Cela faisait seize ans que les Verts n’avaient plus remporté le derby contre Lyon ? Il gagne le cœur des supporters en décrochant le centième, à Gerland (1-0, le 25 septembre 2010). Puis quatre autres. « Il sait tirer la quintessence du talent de chaque joueur », admire Blachon. Galtier en sera doublement récompensé, offrant la première Coupe de la Ligue de son histoire à l’ASSE (1-0 devant Rennes, le 20 avril 2013), puis se voyant décerner le Trophée UNFP (Union nationale des footballeurs professionnels) du meilleur entraîneur de L 1, à égalité avec le Parisien Ancelotti, un an seulement après avoir obtenu son diplôme… d’entraîneur. Rester toujours sur le qui-vive et dans le doute l’aide à continuer à avancer. Et à se remettre en question. Cela vaut aussi pour ses adjoints, dont il est un grand consommateur (Blachon, Romain Revelli, Laurent Batlles, Lobello, Thierry Oleksiak).
“Il a été mon entraîneur préféré. Parce qu’avant d’en être un, c’est un homme. Qui a besoin d’être rassuré
Jean-Pascal Mignot, ancien défenseur de Saint-Étienne
Quand Saint-Étienne se redessine une ambition européenne, il se tourne vers un recrutement à l’international (Max-Alain Gradel, Ole Selnaes, Alexander Söderlund, Ricky Van Wolfswinkel, Oussama Tannane…). Quand il ne parvient plus à communiquer avec Nolan Roux, il va consulter un psychologue. Avant de demander à l’attaquant de vider son casier et de quitter le vestiaire. Soucieux de s’adapter aux qualités de son effectif, il ne s’interdit rien sur le plan tactique. « Les gens lui ont fait le procès d’être un entraîneur défensif. Mais pas du tout, assure Mignot. Avant de parler de défendre, il nous expliquait comment ressortir le ballon pour mettre le bloc adverse en difficulté. Il a été mon entraîneur préféré. Parce qu’avant d’en être un, c’est un homme. Qui a besoin d’être rassuré. »
Il ne l’était pas franchement en débarquant à Lille, le 22 décembre 2017. Surtout que, après être devenu « un manager à l’anglaise chez les Verts » (Lobello), Galtier voyait ses prérogatives ramenées à celles de simple entraîneur d’un LOSC alors au bord de la relégation. Une fois de plus, habile communicant et charmeur, il a su composer avec Luis Campos, l’omnipotent conseiller du président Gérard Lopez, croire à la parole de ce dernier, surmonter un climat délétère marqué notamment par l’envahissement de la pelouse à l’issue de Lille-Montpellier (1-1, le 10 mars 2018) et apprendre à travailler avec un staff dans lequel il a juste choisi Oleksiak. « Il s’est encore nourri de ça, des gens d’expérience autour de lui, du contexte, de ce staff international et de son esprit fédérateur pour poser sa patte personnelle sur le club, analyse Blachon. Et puis, après Aubameyang, Brandao et Gradel à Saint-Étienne, il a (Jonathan) Bamba, (Jonathan) Ikoné et (Nicolas) Pépé à Lille. » Le premier trio lui avait offert, avec la Coupe de la Ligue, son premier titre d’entraîneur. Le second devrait lui permettre, à cinquante-deux ans, de découvrir la Ligue des champions.
L'Equipe