Information
L’Europe qui révolte (presque) toute la L 1
Si le projet de nouvelle Ligue des champions, prévu pour 2024, va au bout, le Championnat de France y sera sous-représenté et perdra de sa valeur. Certains présidents appellent à la mobilisation générale. ÉTIENNE MOATTI
Face à la menace qui se précise, Noël Le Graët, le président de la FFF, a sollicité un entretien avec Aleksander Ceferin, le patron de l’UEFA, et Andrea Agnelli, le président de la Juventus et de l’ECA, l’association des clubs européens. Le rendez-vous sera groupé et pourrait se tenir dans les jours qui viennent. Le patron du football français a décidé de monter au front au vu des craintes suscitées en France par le projet de réforme de la Ligue des champions prévu pour 2024. Dans le schéma imaginé par les « grosses cylindrées » européennes pour servir au mieux leurs intérêts (voir par ailleurs), il y aurait quatre groupes de huit équipes dans cinq ans en C 1, les cinq premières étant automatiquement qualifiées pour l’édition suivante. Les sixièmes et les septièmes de chaque groupe se disputeraient les quatre derniers billets pour la Ligue des champions suivante par le biais d’un barrage. À l’arrivée, ce sont donc vingt-quatre clubs sur trente-deux qui seraient assurés de disputer la Ligue des champions, même s’ils n’y parvenaient pas au travers de leur Championnat. Les deux derniers de chaque groupe, soit huit équipes au total, seraient remplacés par les quatre demi-finalistes de la Ligue Europa et quatre champions de pays qui ne sont pas déjà qualifiés en C 1.
Si la réforme envisagée par l’ECA et reprise à son compte par l’UEFA va au bout, un club qui finirait deuxième de Ligue 1 ne serait pas forcément qualifié pour la Ligue des champions la saison suivante. Ce serait le cas de Lille aujourd’hui. Avec le futur schéma de C 1 imaginé par les « gros bras » du football européen, si les Nordistes terminaient juste derrière le PSG en fin de saison, ils ne seraient pas admis dans la plus prestigieuse des Coupes d’Europe. « Pour moi, c’est le début d’une Ligue fermée, qui va à l’encontre de l’équité sportive, se désole Olivier Létang, le président de Rennes. Cela me paraît complètement impossible à accepter. On ne peut pas dire à un club qui finit deuxième qu’il ne peut pas participer à la Ligue des champions. Le Championnat va perdre tout intérêt. »
“Quand il y a un danger de mort, il faut une vraie révolte
Bertrand Desplat, président de guingamp
Mais le danger n’est pas que là. Avec huit dates supplémentaires à trouver (14 journées en phase de groupes contre 6 actuellement), et vingt et une journées au total qui s’étalent à chaque fois sur les mardis et les mercredis (entre 41 et 45 soirées), la C 1 va phagocyter les Championnats nationaux. « Si ce projet était amené à voir le jour, ce serait le plus gros braquage de l’histoire du football, s’emporte Bertrand Desplat, le président de Guingamp. C’est la confiscation par l’instance européenne de la valeur du football à son profit et à celui des plus grands clubs. C’est ni plus ni moins qu’une ligue fermée qui ne dit pas son nom et qui va totalement dégrader la valeur des Championnats nationaux. Donc celle des droits de diffusion et des revenus (la L 1 percevra 1,153 milliard par an à partir de 2020) de ceux qui ne font pas partie de la folle aventure. Que les grands clubs réfléchissent à maximiser leurs recettes, ça ne me pose pas de problème. Sauf quand ils commencent à venir manger dans ma gamelle. Ce qui était partagé sera confisqué entre quelques privilégiés. »
Déjà critiquée pour son manque supposé d’intérêt, la L 1 plongerait, selon Desplat, dans les abîmes. « Ce n’est même pas un problème d’équité sportive, sur laquelle il y aurait beaucoup à dire, poursuit-il. Mais si demain vous avez le PSG, Lyon, voire Marseille jouant quatorze matches aller-retour dans leur groupe de C 1 au lieu de six, l’essentiel pour eux sera d’être dans les six premiers des poules parce que cela leur donnera la garantie de repartir dans cette belle aventure la saison d’après. Entre l’accumulation de matches et le manque d’enjeux financiers liés au Championnat, ils ne mettront plus leur équipe 1 en L 1. Ils mettront une équipe 2 ou même 3. Comme la compétition nationale n’aura plus aucun intérêt financier pour eux, ils vont la galvauder. »
“C’est le sens de l’histoire, et il sera très difficile de lutter contre
Jacques-henri eyraud, président de l’Om
Ce soir, la plupart des clubs de L 1 sont réunis à Paris pour évoquer cette grave affaire. « On a intérêt à se mobiliser, prévient Olivier Delcourt (Dijon). S’il y a plus de dates pour la Ligue des champions, cela voudrait peut-être dire qu’il faudrait passer de vingt à dix-huit clubs en L 1. On reviendrait dans ces méandres-là. Ce serait dramatique pour le Championnat. C’est déjà assez compliqué comme ça… On n’a déjà pas beaucoup de clubs qualifiés en C 1 (deux directement, le troisième pour le tour préliminaire) par rapport à d’autres. Si ça se réduit encore, ça sera vraiment fort regrettable. » Très remonté, Desplat appelle, lui aussi, à la mobilisation générale. « Il va falloir qu’il y ait une prise de position extrêmement claire et ferme des instances du football français. Qu’il y ait un calage national sur une stratégie commune et qu’ensuite, on aille chercher les alliés naturels que nous devons avoir dans les autres pays. À part les vingt-quatre ou vingt-huit heureux, tous les autres sont les dindons de la farce. Quand il y a un danger de mort, il faut une vraie révolte. » Et ne pas attendre que la réforme soit votée par le comité exécutif de l’UEFA, en 2020, pour s’agiter, comme en 2016, lorsque les quatre grands Championnats (Espagne, Angleterre, Allemagne et Italie) ont obtenu quatre places chacun en C 1. « La France n’a rien vu venir ou elle a été mal défendue, se souvient Desplat. Il ne s’agit pas de refaire deux fois la même erreur. »
Mais tout le monde n’est pas exactement sur la même ligne. Si Jacques-Henri Eyraud (OM) est d’accord pour dire que « ce projet sera difficile à mettre en œuvre s’il se fait au détriment des ligues domestiques, qui gardent la préférence des supporters », il rappelle aussi d’autres réalités. « J’ai déjà dit que la Ligue des champions était déjà de facto une compétition fermée, enchaîne le président marseillais. C’est le sens de l’histoire, et il sera très difficile de lutter contre. Nous sommes largués et plutôt que de rejeter immédiatement tout projet de ce type, nous devrions nous battre pour obtenir une représentativité accrue des clubs français dans cette élite européenne. »
L'Equipe