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Contrôles antidopage : pourquoi le Real Madrid a été blanchi
Il y a quelques semaines, les Football Leaks révélaient que le club madrilène avait échappé à des sanctions après trois contrôles antidopage rocambolesques. Explications.
Erreur sur des documents médicaux, refus d'obtempérer aux ordres d'un officier antidopage, intervention des médecins du club dans le déroulement d'un contrôle... Le 23 novembre, l'hebdomadaire allemand Der Spiegel, relayé en France par le site Mediapart, montrait du doigt l'UEFA et l'agence espagnole antidopage en racontant comment le Real Madrid avait dribblé les autorités antidopage à trois reprises lors des deux dernières années. Des récits basés sur des documents et des échanges de courriers confidentiels révélés dans le cadre des Football Leaks. L'Équipe s'est replongée dans ces trois dossiers.
Cas n° 1 : les corticoïdes, rappel des faits
Sergio Ramos fait partie des joueurs contrôlés le soir de la finale de la Ligue des champions 2017 (Real-Juventus : 4-1), le 3 juin, à Cardiff. Le 5 juillet, l'Unité antidopage de l'UEFA est informée que l'échantillon du défenseur contient de la dexaméthasone, un glucocorticoïde aux effets anti-inflammatoires et anabolisants qui figure sur la liste des produits interdits en compétition. Il est autorisé hors compétition (c'est-à-dire au moins 24 heures avant celle-là), mais son utilisation doit alors être renseignée sur le formulaire du contrôle antidopage par le médecin du club.
Problème : sur le document, c'est un autre glucocorticoïde qui a été indiqué par le docteur : la betaméthasone. Le médecin du Real explique que Sergio Ramos souffre de « pathologies chroniques au genou gauche », soutient qu'il s'est trompé dans le contexte particulier du contrôle (il évoque notamment l'euphorie de la victoire et le passage dans le vestiaire de Juan Carlos, l'ancien roi d'Espagne) et plaide « l'erreur humaine ».
Les explications
Un responsable de l'antidopage d'un grand sport l'affirme : les erreurs de déclaration ne sont pas fréquentes, mais pas exceptionnelles non plus. Dans ce cas, il faut vérifier la bonne foi du médecin, et c'est assez aisé. « Quand on remplit une déclaration, on peut se tromper, confirme un expert que l'Agence française contre le dopage (AFLD) consulte régulièrement pour analyser les demandes d'autorisations à usage thérapeutique (AUT). En l'occurrence, les deux noms sont très proches. L'important, dans ce cas précis, c'est que les deux molécules ont les mêmes propriétés. Leur activité anti-inflammatoire est sensiblement la même. À quoi cela servirait-il de déclarer une molécule pour cacher l'autre ? »
Comme c'est l'usage en pareil cas, l'Unité antidopage de l'UEFA a missionné un expert qui a délivré son avis après échange de courriers et d'explications avec le joueur et le docteur : il a conclu à la bonne foi du médecin. Le dossier n'a donc pas donné lieu à l'ouverture d'une procédure disciplinaire pour violation des règles antidopage et, conformément aux règlements, n'a pas été rendu public. De l'avis unanime des experts consultés, c'était la bonne décision.
Cas n° 2 : le contrôle par les médecins du club, rappel des faits
Le 1er février 2017, à deux semaines du huitième de finale de Ligue des champions contre Naples, l'Unité antidopage de l'UEFA dépêche deux médecins préleveurs au centre d'entraînement du Real pour contrôler dix joueurs. Rapidement, la situation leur échappe. Ils doivent s'y reprendre à deux fois pour piquer Ronaldo, qui montre son agacement. Kroos est prélevé à son tour, mais la tension monte, la maladresse des contrôleurs exaspère les joueurs. Les médecins du Real entrent alors en scène et effectuent eux-mêmes les prélèvements sur les huit autres athlètes. Une opération strictement interdite par le règlement.
Explications
C'est le cas le plus épineux. « Un médecin de club n'est évidemment pas habilité à effectuer un contrôle, affirme le docteur Jacques Liénard, ancien président de la commission médicale et membre du Panel antidopage de l'UEFA. C'est impensable ! Le médecin préleveur est missionné personnellement, il n'a même pas la possibilité de déléguer à une autre personne. C'est un vice de forme ! Le médecin de club peut avoir le rôle de facilitateur, en rappelant le règlement au joueur et en calmant le jeu lorsque la situation est tendue, mais c'est tout... »
À Madrid, ce jour-là, les médecins préleveurs ont été totalement dépassés par les événements. Dans l'échange de courriers entre le club et l'UEFA, le directeur général du Real, José Angel Sanchez, les a accusés « d'insuffisance » et a dénoncé leur « manque de professionnalisme, de compétence et d'expertise ».
Selon nos informations, les officiers de contrôle antidopage ont plaidé coupable et expliqué que l'équipe médicale du Real était intervenue avec leur consentement, qu'elle était en quelque sorte venue à leur aide pour permettre le bon déroulement du contrôle. L'UEFA a jugé l'esprit plus que la lettre et accepté leurs explications, considérant que l'intervention des médecins du club n'était pas délibérée.
Cas n° 3 : la douche, rappel des faits
Le 15 avril , le Real s'impose à Malaga (2-1), en Championnat. Là encore, Sergio Ramos est désigné pour le contrôle antidopage. Le défenseur du Real explique qu'il ne veut pas faire attendre ses coéquipiers et annonce au médecin contrôleur qu'il va se doucher avant le contrôle, ce qui est formellement interdit. Le contrôleur dépêché par l'agence antidopage espagnole (AEPSAD) lui rappelle ce point de règlement, mais le joueur passe outre l'avertissement et se douche devant lui.
Il faudra attendre septembre pour que l'AEPSAD demande des explications au joueur. L'agence s'en satisfera : elle conclut que si le joueur a désobéi, le contrôle lui-même n'en a pas été affecté et qu'il s'est déroulé dans des conditions satisfaisantes. « Les résultats de l'enquête n'ont pas établi de faits qui pouvaient constituer une violation des règles antidopage », écrit-elle.
Explications
Si la douche est interdite, c'est pour éviter une manipulation de la part de l'athlète dans le but de fausser un contrôle urinaire (souvenez-vous de la poire de Pollentier [*]). « Mais il est toujours admis que le sportif puisse prendre sa douche dans le local antidopage, à condition que le médecin préleveur ait donné son accord et qu'il s'exécute sous la surveillance de ce dernier », explique le Jacques Liénard.
Dans ce cas précis, Ramos a refusé d'obtempérer aux injonctions du médecin préleveur. Mais il n'a jamais échappé à sa surveillance ; le contrôle s'est donc déroulé dans de bonnes conditions. Son attitude méritait au moins un rappel du règlement mais ne justifiait pas l'ouverture d'une procédure.
Conclusion
L'UEFA rappelle que « ni l'AMA, ni la FIFA n'ont interjeté appel au TAS (Tribunal arbitral du sport) ». L'Agence mondiale antidopage a validé par un e-mail du 7 novembre (soit avant la révélation du dossier par le Spiegel) la décision de l'UEFA dans l'affaire des corticoïdes. Début décembre, après qu'on l'a interrogée sur l'autre cas (l'intervention des médecins du Real dans le contrôle), elle a mené son enquête et conclu qu'elle était « satisfaite par la manière dont l'UEFA l'avait traité et par les mesures qu'elle avait prises ». Quelles mesures ? Ni l'AMA, ni l'UEFA, ni le Real Madrid, n'ont souhaité en dire davantage. Il s'agit vraisemblablement de rappels à l'ordre et au règlement, puisqu'aucune procédure disciplinaire n'a été engagée.
L'Unité antidopage de l'UEFA, l'AEPSAD et l'AMA ont retenu qu'aucun des trois cas ne justifiait l'ouverture d'une procédure disciplinaire pour violation des règles antidopage ou établissait une quelconque volonté de tricher. Les explications du club ou des intervenants sont effectivement plausibles. En revanche, leur accumulation interroge. Le comportement des joueurs et de l'encadrement médical du Real révèle une profonde méconnaissance des règlements ou un penchant à s'en accommoder plutôt troublants à ce niveau. Une attitude désinvolte, aussi, comme si la toute-puissance sportive du club lui délivrait forcément des passe-droits.
(*) Le cycliste belge Michel Pollentier utilisait une poire remplie d'urine « propre » qu'il plaçait sous son aisselle. Il pressait la poire et faisait sortir le liquide par un tuyau caché le long de son bras, sous son maillot afin de contourner les contrôles antidopage. Cette technique était assez répandue. En 1978, sur le Tour de France, un médecin lui demanda de se déshabiller pour effectuer le contrôle, causant la perte de Pollentier, qui se fit suspendre.