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Football : une nouvelle ère de jeu
Par Grégory Schneider — 15 mai 2020 à 20:16
Après deux mois d’interruption, le championnat allemand reprend ce samedi malgré les réticences, dans des stades vidés de leurs supporteurs. Un tour de force qui interroge.
C’est reparti. Près de deux mois après l’interruption de la quasi-totalité des championnats européens pour cause de coronavirus et dans un contexte de trouille généralisée et de paralysie (de fait en Angleterre ou en Italie, acté aux Pays-Bas ou en France), la Bundesliga allemande reprend du service samedi à 15 h 30 avec le censément incandescent Borussia Dortmund-Schalke 04. Avec 81 000 places vides en guise de «Mur Jaune» (le fameux kop de Dortmund, tombant à pic derrière les buts), huis-clos oblige, des masques pour ceux qui s’assiéront sur le banc de touche et un préparateur mental qui, depuis des semaines, conditionne les vice-champions d’Allemagne à accepter l’absence de réaction perceptible sur l’instant du monde extérieur.
Une donnée potentiellement déséquilibrante, selon le coach du Borussia, Lucien Favre : «Tu fais une passe, un tir et personne ne réagit. Il faut se préparer à ça. C’est très important. C’est un grand défi pour les entraîneurs et les équipes, mais on le sait, c’est notre travail.» Et un club est une entreprise commerciale : alors que les joueurs du monde entier étaient confinés chez eux à faire du vélo d’appartement ou à poster sur les réseaux sociaux des jongles avec des rouleaux de papier toilette, les équipes allemandes ont très vite repris le chemin de l’entraînement, aménagé certes - exercices par petits groupes, douche à la maison - mais entraînement tout de même, en usant du droit de travailler comme n’importe qui.
«Imprévisibilité»
De là à organiser un spectacle dans un pays où toute l’industrie du loisir est à l’arrêt, il y avait un sacré pas. Christian Seifert, le patron de la Ligue pro, fut l’homme de ce tour de force : la chancelière Angela Merkel et les seize Länder ont fini par plier sous le poids du projet de reprise de 41 pages, de vagues de tests (dans un pays qui, il est vrai, n’en manque pas), d’une «Corona task force» montée avec la Fédération, et plus encore du «concept», consistant, pour faire court, à limiter tous les contacts - y compris entre coéquipiers - en dehors des situations de match.
Dit autrement, les joueurs pourront se bousculer, se tacler… mais pas s’embrasser après un but. On a hâte d’y être. Le président de l’Union européenne de football (UEFA), Aleksander Ceferin, a salué «le dialogue constructif entre le sport et le politique dans le but de trouver conjointement une solution responsable et sage» : «Il est clair que le football, avec toutes ses émotions, son imprévisibilité et ses joies, doit revenir dans notre vie. Je suis sûr que cette initiative [allemande] va redonner du courage aux gens.»
Au chausse-pied
«Les joueurs n’ont pas eu voix au chapitre», a expliqué de son côté le défenseur de l’Union Berlin et ex de Saint-Etienne Neven Subotic. Le milieu belge du FC Cologne Birger Verstraete a exprimé des inquiétudes après le contrôle positif de trois coéquipiers. Il a été contraint à une autocritique très soviétique : «Au lieu de m’exprimer sur le coup de l’émotion, j’aurais dû contacter le médecin du club et il aurait pu répondre à mes questions.»
Le foot à toute force, au chausse-pied, sans le moindre match amical de préparation et après une interruption trois à quatre fois plus longue qu’une trêve estivale habituelle. Pour faire oublier les tracas quotidiens des gens, en plus de sauver ce qui reste des droits télé et le gagne-pain d’une demi-douzaine de milliers de personnes : un peu les jeux du cirque, la dizaine de cas positifs au coronavirus recensée jusqu’ici dans les vestiaires de Bundesliga n’ayant en rien ébranlé les convictions des décideurs politiques et sportifs.
Le protocole de distanciation porte jusqu’à l’entourage des joueurs, et même leur foyer, alors que certaines instances européennes (la Ligue pro anglaise, la Liga espagnole, l’UEFA qui compte bien finir sa Ligue des champions en août) étudient sans rire la piste d’un casernement pur et dur des équipes et de leur entourage technique. «La reprise allemande a aussi été rendue possible parce que leur syndicat des joueurs est relativement proche de la Ligue pro, tenue par les dirigeants, explique à Libération une source de la Fifpro, le syndicat international des joueurs regroupant la plupart des syndicats nationaux mais pas celui de la Bundesliga. Pour l’expliquer, il faut paramétrer beaucoup de choses. La capacité à tester, la culture plus ou moins volontariste du pays, la volonté politique, le poids dont bénéficie le foot… En France, l’incertitude a pesé lourd dans la décision d’arrêter les championnats professionnels : on entendait tout et son contraire sur les tests, la contamination, l’immunité… Les Allemands, eux, se sont lancés.»
En aveugle, au jour le jour, parce que «le football fait du bien au psychisme des gens», comme l’a déclaré l’ancien joueur et Ballon d’or en 1990, Lothar Matthäus. La Bulgarie, la Croatie et la Serbie devraient reprendre d’ici à la fin du mois, la Turquie en juin, contre la quasi-unanimité des joueurs et entraîneurs du pays. Le foot est en terre inconnue.
Grégory Schneider