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VIRAGE NORD
LES MAUVAIS FLASH-BACKS
Créés à Lyon en 1987, les Bad Gones ont connu des dérives avant de s’institutionnaliser dans les années 2000 au sein du Kop Virage Nord. L'association de supporters est un partenaire de confiance de l’OL, même si des incidents ont terni son image. Les mauvais flash-backs du virage nord
Créés à Lyon en 1987, les Bad Gones ont connu des dérives avant de s’institutionnaliser dans les années 2000 au sein du Kop Virage Nord. L'association de supporters est un partenaire de confiance de l’OL, même si des incidents ont terni son image. de notre envoyé spécial
GRÉGOIRE FLEUROT Lyon – Les Bad Gones n’avaient plus connu une semaine aussi délicate depuis plusieurs années. Le 19 septembre, un membre du Kop Virage Nord (KVN), l’association officielle dont les « BG » forment le noyau historique, était filmé en train d’effectuer un salut nazi lors de la victoire sur le terrain de Manchester City (2-1). Quatre jours plus tard, un texte contenu dans le magazine interne, distribué lors d’une autre victoire de prestige face à l’OM (4-2) et signé « Bad Gones Lyon », qualifiait Marseille de « ville où règne le sida », déclenchant des réactions jusque dans le monde politique.
Après une semaine de silence, le KVN s’est défendu vendredi dans un communiqué. L’association y affirme son caractère « apolitique ». Elle indique avoir entamé une procédure d’exclusion contre l'auteur du salut nazi, tout en dénonçant « les amalgames douteux » dont elle serait victime. Que croire entre des accusations politiciennes et la communication de crise d’un groupe sous pression ? La réalité est sans doute à chercher entre les deux. Elle ne peut se comprendre qu’avec un retour sur sa sinueuse histoire.
Le sujet est sensible. Le Kop Virage Nord, fidèle à sa politique, n’a pas souhaité répondre à nos questions. Plusieurs interlocuteurs ont accepté de parler avant de se rétracter. Au milieu des années 1980, alors que l’OL galère en D 2, une trentaine de copains se regroupe les jours de match en tribune Jean-Bouin du stade Gerland, au niveau de la ligne médiane. Ils mettent l'ambiance avec les moyens du bord. Leur tambour ? Un cadeau du président lyonnais d’alors, Charles Mighirian. Leurs fumigènes ? Des pots de chlorate de soude, un désherbant hautement inflammable et toxique. « Il y avait de la fraternité, se souvient Laurent (*), un ancien, cinquante et un ans aujourd’hui. Ça ne nous empêchait pas de mettre des coups de poing entre deux bières, mais ça faisait partie du folklore. »
En 1987, Jean-Michel Aulas prend les commandes du club. La bande se choisit un nom : les Bad Gones voient le jour. Deux ans plus tard, l’OL monte en D 1 et les « BG » connaissent leur première révolution. Ils migrent lors de la saison 1989-1990 vers un virage nord qu’ils ne quitteront plus.
En 1992, cinq Bad Gones profanent un cimetière juif
C’est l’époque des premiers signes politiques dans les tribunes françaises. À Lyon, la tendance est à l’extrême droite. On aperçoit des drapeaux et autres saluts nazis et une écharpe siglée Bad Gones arborait une croix celtique et la devise SS « Notre honneur s’appelle fidélité »... Si les premiers signaux passent quasiment inaperçus, un épisode va marquer l’image du groupe. Dans la nuit du 12 au 13 septembre 1992, des membres des « BG » profanent le cimetière juif de la Mouche. Cinq individus, dont trois mineurs, sont condamnés à des peines de prison. Le début des années 1990 est aussi synonyme de hooliganisme, alors en plein essor. Le 30 août 1993, au retour d’un déplacement à Auxerre, des Bad Gones mettent à sac une station-service sur l’A6, à Avallon (Yonne). Et, le 4 avril 1994, le Progrès titre « Fort Alamo à Gerland » après une bagarre contre des Toulousains.
Le groupe se retrouve face à un dilemme à la fin des années 1990 : rester radical, et risquer de disparaître, ou se structurer. Les tenants de l’institutionnalisation l’emportent. En 2001, les Bad Gones créent l’association Kop Virage Nord (KVN), qui fédère l’ensemble des fans du virage. « Le groupe a fait le choix d’accompagner le club dans son développement économique », explique Xavier Pierrot, responsable sécurité et billetterie de l’OL entre 2000 et 2006. L’actuel stadium manager, aujourd’hui encore l’un des principaux interlocuteurs des supporters, poursuit : « Le président Aulas a construit le KVN avec les responsables des Bad Gones en étant très clair sur ce qu’il accepterait ou pas. Il y a un contrat de confiance. » Le Kop Virage Nord devient un véritable « syndicat » au sein de l’entreprise OL, comme aime l’appeler Jean-Michel Aulas. Les principales négociations portent, chaque printemps, sur le prix des abonnements dans le virage pour la saison suivante.
Avec les succès sportifs des années 2000, l’ambiance de Gerland rivalise, les soirs de grand match, avec les meilleures de France. Des joueurs comme Éric Carrière ou Florent Laville assistent à des rencontres dans le virage. La relation avec le président Aulas est parfois fusionnelle. « Tu as vu un jeune entrepreneur devenir un grand président » écrivent les « BG » sur une banderole le 3 octobre 2015. Quand les choses vont mal, le groupe conserve sa fibre contestataire. Le 1er octobre 2010, il accroche simultanément cinquante banderoles « Puel démission » en ville. La saison dernière, il a demandé celle de Bruno Genesio.
Quand Gérard Collomb assiste à l'inauguration du nouveau local du KVN
Passé à 6 500 adhérents avec le déménagement au Groupama Stadium, le KVN est aujourd’hui la plus grosse association de supporters en France. Dans la tribune, un public jeune et masculin, des familles aussi. Peu de diversité ethnique, mais pas moins que dans de nombreuses autres tribunes, même celles qui s’affichent antiracistes.
Le groupe est une institution locale à Lyon : le 18 mai 2016, Gérard Collomb, le maire d’alors, et Gérard Gavory, préfet délégué à la sécurité, assistent à l’inauguration de son nouveau local de Décines. Un partenaire respecté, en contact régulier avec un club qui le défend dans les moments délicats comme celui-ci. « On n’a pas de problèmes majeurs avec le KVN, soutient Xavier Pierrot. On sanctionne les individus quand il y a des actes isolés mais depuis les années 2000, qu’est-ce qu’on peut reprocher à l’association ? Le dernier gros incident, c’est Bollène. » Le 18 mai 2013, des cars lyonnais et marseillais s’étaient croisés inopinément sur une aire d’autoroute. Bilan de la bagarre, 17 blessés, dont 16 Gones. De fait, ces dernières années, le virage sud lyonnais a plus fait parler de lui. C’est là que les hooligans de la Mezza Lyon ont brièvement déployé une banderole Refugees not welcome (« les réfugiés ne sont pas les bienvenus »), le 12 septembre 2015 face à Lille. Là encore qu’un symbole SS et des saluts nazis ont été aperçus et sanctionnés par l’UEFA lors d'un match contre le CSKA Moscou, le 15 mars (2-3 en C 3). Là toujours que se sont mobilisés les identitaires auteurs des violences en marge de Lyon-Besiktas le 13 avril 2017 (2-1 en C 3).
“Même s’il y a certains durs au nord, le gros noyau hooligan est au sud
Nicolas Hourcade, sociologue spécialiste des supporters
« Le virage nord est une tribune composée entièrement d’abonnés, ce qui permet au KVN de plutôt bien cadrer ses troupes depuis les années 2000, estime Nicolas Hourcade, sociologue spécialiste des supporters. Au sud, il y a une association (Lyon 1950) qui n’a jamais occupé pleinement sa tribune, ce qui laisse la place à des indépendants. Même s’il y a certains durs au nord, le gros noyau hooligan est au sud. Les liens y sont aussi plus étroits avec les groupuscules identitaires lyonnais, même si tous les hooligans du virage sud ne sont pas nationalistes. »
Il n’empêche, le salut nazi de Manchester n’est pas le seul « acte isolé » impliquant des membres du virage nord depuis quelques mois. Selon Antoine Mordacq, le chef de la Division nationale de lutte contre le hooliganisme (DNLH), certains des individus qui avaient agressé des policiers en marge de la réception du CSKA ont ensuite assisté au match du côté des Bad Gones. Il est plus inquiet que le club. « Le groupe a certes un dialogue qui fonctionne bien avec l'OL. Mais ça fait deux incidents récents. Il y a une vraie question sur les liens avec la mouvance identitaire lyonnaise. »
Pour Alain Blum, président de la LICRA Auvergne-Rhône-Alpes, la politique consistant à traiter uniquement les cas individuels, même de manière intransigeante comme le fait l’OL, n’est pas suffisante. « Pour éradiquer ce type de phénomènes, il faut une vraie stratégie juridique, judiciaire et pédagogique. » Son association, qui a déjà mené des actions de formation auprès d'employés de l’OL, a un rendez-vous avec le club cette semaine. Jeudi, une autre réunion, organisée par la préfecture, réunira les différents groupes et des représentants du club, dont Jean-Michel Aulas.
(*) Le prénom a été changé.
L'Equipe