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A l’Olympique lyonnais, une com à fables
Englués en milieu de classement de la Ligue 1 après leur match nul (2-2) contre Caen samedi, les Gones déballent des storytellings contradictoires pour expliquer leur supériorité contrariée.
16 septembre 2018 à 20:36
Par Grégory Schneider, envoyé spécial à Caen (Calvados) —
On confesse avoir toujours trouvé à l’Olympique lyonnais une sorte de charme canaille, et on s’est souvent senti très seul avec cette pensée-là. Car on ne voit rien. Il n’est nulle part. Enfin si : il faut faire résonner les situations entre elles, penser à quelque chose (un mot, une attitude) puis à quelque chose d’autre, et imaginer un ping-pong entre les deux.
On s’est pointé au stade Michel-d’Ornano de Caen samedi pour voir des Lyonnais au bord de la crise de nerfs arracher grâce à l’appui de l’arbitre Johan Hamel un nul (2-2) inespéré contre des Normands affichant un budget prévisionnel annuel représentant environ 12 % de celui de l’OL (285 millions d’euros, un mastodonte) et l’image avec laquelle on est reparti est celle du défenseur brésilien des Gones, Rafael Da Silva Pereira dit Rafael ; regard clair, discours transparent, le type sous la double toise de sa responsabilité personnelle et des réalités de son sport.
Ça donnait quelque chose comme : «[Nos difficultés] ne sont pas dues à un manque d’agressivité ou un défaut d’attitude mais à un manque de sensations collectives. Nous ne sommes pas ensemble.» Dix minutes plus tôt, dans une salle attenante, son entraîneur, Bruno Genesio, s’était pourtant dit écœuré «par le manque d’engagement, d’investissement et d’intensité» des joueurs lyonnais. Du coup, on a convoqué l’attaquant Memphis Depay sur le sujet.
Un présent : «Vous êtes d’accord avec votre coach ?»
Depay : «Je ne sais pas. Il a dit quoi ?»
Un journaliste : «Que vous manquiez d’engagement. D’agressivité.»
Depay : «Ah. Si c’est ça, je suis d’accord. Il a raison.» Et il a filé.
Tourmenteur
Mais alors ? Et Rafael ? Il a raison aussi. Pendant les arrêts de jeu, il a marché sur le pied du milieu guinéen du stade Malherbe de Caen, Baissama Sankoh, qui a mimé un coup de tête en retour : le Brésilien tombe comme foudroyé et carton rouge pour Sankoh, qui a retrouvé son tourmenteur tout à son ironie - sur le mode «tu as vu, je t’ai bien baisé» - en revenant dans le couloir menant à son vestiaire après le match. Les Lyonnais sont des diables. Il y a quelque chose de l’embourgeoisement (peu de courses, pas d’intensité) qui les traverse mais pour autant, ils sont encore capables d’aller puiser au fond des enfers pour en ramener les maléfices nécessaires à leur propre survie. Samedi, le champion du monde tricolore Nabil Fekir n’en a pas foutu une rame. Au cœur de la seconde période, il n’en mettra pas moins sa tête sur un ballon dégagé du pied par le défenseur de Caen Alexander Djiku, ce qui conduisit à l’expulsion de celui-ci : si le staff caennais déplorait après-coup la «naïveté» de Djiku, Fekir n’en a pas moins pris le risque de se faire ouvrir le crâne pour la cause. C’est très difficile à comprendre.
Mais on peut essayer. Une vision noire consisterait à y lire une manière de décadence au long cours, des joueurs très cher payés privés de titres (le championnat, les deux Coupes) depuis que les gazo-dollars qataris ont mis le Paris-SG hors d’atteinte et qui vivent dans un espace schizophrène entre le lustre du club et l’impossibilité de gagner, ce qui expliquerait à la fois le découragement et les ruades. Une vision sportive décrirait les maléfices - la rouerie des joueurs, l’arbitrage systématiquement favorable - comme les dernières traces d’un savoir-faire ancien ; le président du club, Jean-Michel Aulas siégeant par exemple depuis mars 2017 au comité exécutif d’une Fédération française de foot qui, faut-il le rappeler, exerce une tutelle hiérarchique sur les hommes au sifflet. «Ben sûr qu’on est lésé par l’arbitre, expliquait du reste sans ambages l’attaquant caennais Enzo Crivelli samedi. Les gros sont avantagés. C’est le foot. Il est comme ça.»
«Mister Nobody»
Aulas, lui, change d’échelle géographique et historique, ce qui lui permet de dérouler un storytelling à l’opposé : le pot de terre (lui) contre le pot de fer. C’est la vision romanesque, celle d’un club en résistance contre la mondialisation, c’est-à-dire contre son époque. Cette résistance a un visage : celui de Bruno Genesio, figure d’un club dont il aura défendu les couleurs dix saisons comme joueur (1985-1995) avant d’y revenir en 2005 pour faire son chemin dans l’encadrement technique. Puisque la concurrence surfe sur des théoriciens brillants (l’Allemand Thomas Tuchel au Paris-SG, les Portugais Leonardo Jardim et Miguel Cardoso à Monaco et Nantes) ou des hommes de réseaux (Rudi Garcia à Marseille, Jean-Louis Gasset à Saint-Etienne), Genesio eu tôt fait d’apparaître comme un Mister Nobody, voire une marionnette que son président manipule à l’envi, entraîneur d’autant moins contrariant qu’il ne sait tirer sa légitimité que d’un homme et d’un seul. La ficelle est un peu grosse.
Tous les entraîneurs du monde sont à la merci de leur président : Genesio comme les autres, lequel Genesio a placé Lyon sur le podium la saison passée avec une qualification en Ligue des champions à la clé (un bon point) avant de peiner à relancer la machine cette saison (un mauvais point). La grande affaire de ce début de saison lyonnais fut celle-ci : le 1er septembre, soit vingt-quatre heures après la défaite (0-1) des Rhodaniens devant l’OGC Nice, une courte vidéo est apparue sur les réseaux sociaux montrant le coach des Gones coursant un individu au cœur de la nuit.
Les premières réactions furent compatissantes : l’énième provocation d’un supporteur dans un contexte de rejet d’une partie du public envers un Genesio jugé par les fans un peu court pour le poste de coach, une insulte envers sa propre fille, le coach lyonnais réagissant comme vous et moi. Une enquête du journal l’Equipe a cependant désintégré l’hypothèse du traquenard. Cette nuit-là, l’entraîneur, qui fêtait ses 52 ans, a été vu dans trois établissements différents sans que personne ne lui tombe dessus, l’embrouille résulte d’un selfie réclamé avec plus ou moins d’insistance selon les versions, il était tout de même 4 h 30 du matin passé au moment de l’altercation et après tout, c’est Genesio qui prend une personne en chasse et non l’inverse. Samedi, on s’est posé devant l’intéressé pendant qu’il dévidait posément sa «colère» envers ses joueurs avec l’idée de superposer le noctambule et l’entraîneur de club.
Et on y est parvenu sans difficulté. On parle, là, d’un type normal, qui dit (et fait donc, rapport à l’altercation) à peu près les choses comme il les sent, décrivant les errances lyonnaises à Caen non pas comme une trahison à son endroit, mais comme un décalage avec l’implication que nécessite le sport de haut niveau, ainsi qu’un déficit de loyauté des joueurs envers le club et les conditions (logistique, compétences, salaire) dont ils bénéficient dans la deuxième équipe la plus riche de France. Le brave type dans le dur, qui regarde ses interlocuteurs dans les yeux par correction et qui, pour avoir consacré toute sa vie au football, ne s’exprime qu’à travers les codes de celui-ci. Au bout du bout, Genesio s’est vu poser la question qui tue : est-ce qu’il a encore l’impression que son message passe, la récurrence de ses critiques envers l’investissement de ses ouailles laissant pour le moins planer comme un doute ? Autant lui demander carrément s’il sert encore à quelque chose.
Mais le Lyonnais n’a même pas tiqué : «Il faut poser la question aux joueurs. Ils sont en mesure de vous répondre, pas moi.» Demander aux joueurs ? A Houssem Aouar par exemple, 20 ans seulement, et une tête de six pieds de long samedi parce que son coach a eu l’outrecuidance de le juger en méforme et de le mettre sur le banc en début de saison ? A l’attaquant burkinabé Bertrand Traoré, qui jouait face à Caen comme on descend en bas de chez soi pour promener son chien ? A Rafael, celui qui ne voit aucun manque d’implication à l’issue d’un match où des joueurs à 200 000 euros mensuels se sont fait marcher dessus par des joueurs à 35 000 ? Mais bon sang, à quoi on joue ?
Toutes les histoires
Qu’est-ce que Genesio fait là, à répondre honnêtement et à courser des types à pas d’heure, alors que le dispositif lyonnais pèse des tonnes et que le coach qui en supporte le poids est de facto le ministre de quelque chose, un ministre ne pouvant décemment être vu - donc possiblement filmé - en train de courir après un type à qui il vient de refuser un selfie ? A force de raconter toutes les histoires en même temps, à commencer par celle d’un club ancré dans l’Hexagone luttant à armes inégales avec des équipes sous pavillon qatari (le Paris-SG), russe (Monaco) ou américain (Marseille), l’Olympique lyonnais finit aussi par poser toutes les questions en même temps. Quel est le périmètre exact du travail d’entraîneur dans le foot d’aujourd’hui ?
Qu’est-ce que raconte vraiment une compétition (la Ligue 1) si inégalitaire qu’un club comme l’OL est assuré de terminer chaque saison entre la deuxième et la cinquième place par la seule force de sa masse salariale, alors que son coach passe raconter devant les micros toutes les cinq ou six semaines que ses joueurs se foutent du monde ? L’OL est-il la preuve d’une déviance (l’individualisme des joueurs) disant l’époque ou révèle-t-il la nature profonde du football ? Surtout, quel est le calcul d’un Aulas bataillant sur tous les fronts (Twitter, les instances, la construction de son stade) pour faire exister le club tout en dupliquant à l’infini le même modèle managérial aux commandes techniques du club ; des coachs droits, exclusivement nourris par le foot hexagonal, scolaire, un peu vintage aussi ?
Mercredi, le club ira promener ses tourments existentiels sur la pelouse de Manchester City en Ligue des champions. Ils peuvent toujours gagner ou perdre : l’impression générale est que ces gars-là pédalent dans le vide. Et que les histoires qu’ils racontent pour le cacher sont de plus en plus difficiles à trouver.
Grégory Schneider envoyé spécial à Caen (Calvados)